En plus de mon faux raglan… ça me ferait tout de même de la chaleur… et toujours la culotte cycliste !… Comme linge, c’était fleur totale ! pas une seule liquette !… Question des tatanes ?… les miennes elles tenaient encore, je les avais un peu fendues à cause des pointures trop étroites… et puis rambinées par-dessous avec des sandales… c’était souple mais c’était froid !… La daronne elle aurait du mal à finir la route à cause de ses charentaises enfilées dans des caoutchoucs. C’est ça qui retenait bien la flotte… Elle se les est enroulées en paquets avec des ficelles et autour des vieux journaux… pour que ça lui fasse des vraies bottes et que ça branle plus dans les panards… Persant c’était encore assez loin !… Et Beauvais bien davantage… Il était plus question de voiture !… On s’est fait repasser un peu de jus… Et puis on s’est rassemblés avec le pandore… C’est lui qui devait nous escorter, il tenait son gaye par la bride qu’avait toujours pas son fer !… Le curé aussi voulait venir !… J’aurais bien aimé qu’on le plante là !… Qu’on l’enferme à clef derrière nous… Mais il faisait un boucan infect aussitôt qu’il se croyait tout seul… C’était donc pas une solution !… Supposons qu’on le laisse en carafe, qu’on le boucle dans sa case… Et puis qu’il fracasse tout ?… Qu’il s’échappe ce possédé… qu’il escalade sur les toits ?… Et qu’il se foute en bas d’une gouttière ?… Et qu’il se casse deux ou trois membres ?… Alors qui c’est qu’est bonnard ?… Qui c’est qu’on accuse ?… Bien sûr c’est encore notre pomme. C’est nous qu’on écroue !… ça faisait pas l’ombre d’un petit pli !… J’ai donc été ouvrir sa lourde… Il s’est projeté dans mes bras !… Il me chérissait éperdument… Par exemple, on trouvait plus le clebs… On a perdu au moins une heure à le filocher… dans le hangar, dans la grange… Il n’était nulle part… ce puceux… Enfin il a rappliqué… Nous étions fin prêts…
Tous les ploucs dehors, dans l’attente, ils ont rien dit de nous voir partir… Ils ont pas fait ouf !… Pas un mot ! On leur a passé juste sous le nez… Y en avait plein les caniveaux ! Des terreux… des terreux encore… On s’est donc lancés sur la route… Lancés… enfin c’est beaucoup dire… On marchait assez prudemment… Y avait que l’autre cloche qui se dératait… Il gambadait par-ci, par-là… Ça l’intriguait fort lui le cureton de connaître notre itinéraire… « On va voir Charlemagne ?… » qu’il s’est mis à demander tout haut… Il comprenait rien aux réponses !… mais il voulait plus nous quitter… Pour le semer c’était midi !… La balade ça l’émoustillait… Il cavalait par-devant avec le petit clebs… Il bondissait sur un talus… Il embouchait son cor de chasse… Il soufflait dedans un petit taïaut !… Et juste en arrivant au ras il rejoignait vivement la troupe… Il emballait comme un zèbre… On est arrivés comme ça en très forte fanfare aux maisons… à l’entrée même de Persant… Le gendarme il a tourné à gauche… c’était fini sa consigne… Il nous laissait nous démerder… Il tenait plus à notre compagnie… C’était pas dans sa direction… Nous on a pris le chemin de la gare… On s’est renseignés tout de suite quant aux heures des trains… Celui de la vieille pour Beauvais, il partait juste dans dix minutes !… Une heure avant celui de Paris… Elle passait sur le quai, d’en face… C’était le moment de se dire « au revoir »… On s’est rien dit bien spécialement… On s’est rien promis du tout… On s’est embrassés…
« Ah ! mais ! tu piques Ferdinand !… » C’était ma barbe qu’elle remarquait. Une plaisanterie !… Elle était brave… c’était du mérite en pleine caille… Elle savait pas où elle allait… Moi non plus d’ailleurs. Ça faisait tout de même une petite paye qu’on affurait dans les malchances !…
Cette fois on s’était fait étendre !… Ça pouvait bien se prévoir en somme… Y avait pas trop rien à dire…
Le curé dans la gare comme ça il a pris tout de suite un peu peur… Il se ratatinait dans un coin… Seulement il me quittait pas des yeux… Il regardait que moi sur la plateforme… écarquillé… Les gens autour ils se demandaient ce qu’on pouvait bien-foutre ?… Surtout lui avec sa trompe… La rombière et son pantalon… Moi mon costard à ficelles… Ils osaient pas trop se rapprocher… À un moment la buraliste elle cherchait, elle nous a reconnus… « mais c’est les fous de Blême ! » qu’elle a proclamé !… Y a eu alors comme une panique… Le train de Beauvais entrait en gare… heureusement… Y a eu diversion… La grosse choute s’est élancée… Elle a grimpé à contre-voie… Elle est restée dans la portière avec le petit clebs à Dudule… Elle me faisait des signes « au revoir » !… Je lui ai fait aussi des gestes !… Au moment que le train démarrait… il lui a pris une détresse… Ah ! quelque chose d’infect !… Elle me faisait des grimaces atroces dans le trou de sa portière… Et puis « rrah ! rrah ! » qu’elle faisait comme des râles d’égorgement… comme une espèce d’animal…
— Herdinand ! Herdinand ! qu’elle a encore pu gueuler… comme ça à travers la gare… Par-dessus tous les fracas… Le train a foncé dans le tunnel… Jamais on s’est revus !… Jamais avec la daronne… J’ai appris beaucoup plus tard qu’elle était morte à Salonique, j’ai appris ça au Val-de-Grâce en 1916. Elle était partie infirmière à bord d’un transport. Elle est morte d’une vérole quelconque, je crois bien que ce fut du typhus, l’exanthématique. On est donc restés tous les deux, le chanoine et moi sur l’autre quai, sur celui de Paris. Il comprenait toujours rien… à la raison qu’on était là… Mais enfin il jouait plus du cor !… Il avait juste la panique que je le plaque en route… À peine le train arrivé il a sauté aussi dans le dur, derrière moi… Jusqu’à Paris qu’il m’a collé… Je l’ai perdu un petit moment en sortant de la gare… Je me suis faufilé par une autre porte… Il m’a rejoint tout de suite la canule !… Je l’ai reperdu rue Lafayette… juste en face de la pharmacie… J’ai profité du trafic… J’ai bondi dans un tramway entre les amas des voitures… Je l’ai quitté un peu plus loin… Boulevard Magenta… Je voulais être un peu tout seul… réfléchir, comme j’allais m’orienter…
J’étais fort étrangement vêtu… pas présentable dans une ville… Les gens ils me fixaient curieusement… c’était le moment de la sortie des magasins, des burlingues… Il devait être un peu plus de sept heures… Je faisais quand même sensation avec mon raglan raccourci… Je me suis planqué sous une porte, c’était le coup de mon pardessus le plus sec à avaler… tout bouffant dans ma culotte qui me donnait la forme étonnante ! Et je pouvais pas me rhabiller là… Et puis j’avais plus de chemise ! Mon grimpant tenait que par l’épaisseur !… J’avais plus de chapeau non plus… J’avais que le petit à Dudule, un Jean-Bart en cuir bouilli. Je mettais ça là-bas… Ici, c’était impossible… Je l’ai balancé derrière une porte… Y avait toujours trop de passants… pour que je me risque sur les trottoirs, sapé fantaisie… Je voulais attendre que ça se dégage… Je regardais la rue passer… Ce qui m’a frappé en premier lieu, c’était les récents autobus… leur modèle sans « impériale » et les nouveaux taxis-autos… Ils étaient plus nombreux que les fiacres… Ils faisaient un barouf affreux… J’avais bien perdu l’habitude des trafics intenses… Ça m’étourdissait… J’étais même un peu écœuré… J’ai acheté un petit croissant et un chocolat… C’était l’heure… Je les ai remis tout de suite dans ma poche… L’air ça paraît toujours mou quand on revient de la campagne… C’est le vent qui vous manque… Et puis alors, je me suis demandé si je rentrerais au Passage ?… et directement ?… Et si les bourres venaient me cueillir ?… Ceux du zozoteur…