Plus haut dans le boulevard Magenta, j’ai retrouvé la rue Lafayette, celle-là, j’avais qu’à la descendre, c’était pas très difficile, la rue Richelieu, puis la Bourse… J’avais qu’à suivre toutes les lumières… Ah ! Je le connaissais moi le chemin !… Si au contraire, je piquais à droite, j’allais tomber sur le Châtelet, les marchands d’oiseaux… le quai aux fleurs, l’Odéon… C’était la direction de mon oncle… Le fait de trouver un lit quelque part c’était pas encore le plus grave… Je pourrais toujours me décider au dernier instant… Mais pour trouver un emploi ? ça c’était coton !… Comment qu’il faudrait que je me renippe ?… J’entendais déjà la séance !… Et puis où j’irais m’adresser ?… Je suis sorti un peu de ma planque… Mais au lieu de reprendre le Boulevard j’ai tourné par une petite rue… Je m’arrête devant un étalage… Je regarde un œuf dur… un tout rouge !… Je me dis : « Je vais l’acheter !… » À la lumière je compte mes sous… Il me restait encore plus de sept thunes et j’avais payé mon chemin de fer et celui du cureton… Je l’épluche l’œuf sur le comptoir, je mords dedans… Je le recrache tout de suite… Je pouvais plus rien avaler !… Merde ! Ça passait pas… Merde, que je me dis, je suis malade… J’avais le mal de mer… Je sors à nouveau… Tout ondulait dans la rue… Le trottoir… Les becs de gaz… Les boutiques… Et moi sûrement que j’allais de travers… Voilà un agent qui se rapproche… Je me hâte un peu… Je biaise… Je me replanque dans une entrée… Je veux plus bouger du tout… Je m’assois sur le paillasson… Ça va tout de même un petit peu mieux !… Je me dis : « Qu’est-ce que t’as Toto ?… T’es pas devenu tellement fainéant ?… T’as plus la force d’avancer ?… » Et toujours ce mal au cœur… La rue, elle me foutait la panique… de la voir comme ça devant moi… sur les côtés… à droite… à gauche… Toutes les façades tout ça si fermé, si noir ! Merde !… si peu baisant… c’était encore pire que Blême !… pas un navet à chiquer… J’en avais les grolles par tout le corps… et surtout au bide… et à la tête ! J’en aurais tout dégueulé… Ah ! Je pouvais plus repartir du tout ! J’étais bloqué sur la devanture… Là vraiment on pouvait se rendre compte !… C’était pas du charre… au pied du mur quoi !… Comment qu’elle s’était évertuée, ça me revenait, la pauvre daronne, pour qu’on crève pas tous !… C’était en somme à peine croyable !… Merde ! J’étais tout seul maintenant !… Elle était barrée Honorine !… Merde !… C’était une bonne grognasse !… absolument courageuse… elle nous avait bien défendus !… On était tous polichinelles !… J’étais bien sûr de plus la revoir… C’était positif !… Ça devenait bien moche tout ça d’un seul coup !… Et puis tout à fait infect !… C’était encore les nausées… J’ai retrouvé un paillasson… J’ai vomi dans la rigole… Des passants qui se rendaient compte… Il a fallu que je démarre… Je voulais avancer quand même…
Je me suis encore arrêté à l’extrême bout de la rue Saint-Denis… Je voulais pas aller plus loin, j’ai découvert une encoignure, là on me voyait plus du tout… Ça allait mieux une fois assis… c’est la bagotte qui m’écœurait… Quand je me sentais m’étourdir, je regardais plutôt en l’air… Ça m’atténuait les malaises de relever la tête… Le ciel était d’une grande clarté… Je crois que jamais je l’avais vu si net… Ça m’a étonné ce soir-là comme il était découvert… Je reconnaissais toutes les étoiles… Presque toutes en somme… et je savais bien les noms !… Il m’avait assez canulé l’autre olibrius avec ses orbites trajectoires !… C’est drôle comme je les avais retenus sans bonne volonté d’ailleurs… ça il faut bien le dire… La « Caniope » et « l’Andromède »… elles y étaient là rue Saint-Denis… Juste au-dessus du toit d’en face… Un peu plus à droite le « Cocher » celui qui cligne un petit peu contre « les Balances »… Je les reconnais tous franco… Pour pas se gourer sur « Ophiuchus »… c’est déjà un peu plus coton… On la prendrait bien pour Mercure, si y avait pas l’astéroïde !… Ça c’est le condé fameux… Mais le « Berceau » et la « Chevelure »… On les méprend presque toujours… C’est sur « Pelléas » qu’on se goure bien ! Ce soir-là, y avait pas d’erreur !… C’était Pelléas au poil !… au nord de Bacchus !… C’était du travail pour myope… Même la « Grande nébuleuse d’Orion » elle était absolument nette… entre le « Triangle » et « l’Ariane »… Alors pas possible de se perdre… Une unique chance exceptionnelle !… À Blême, on l’avait vue qu’une fois ! pendant toute l’année l’Orion… Et on la cherchait tous les soirs !… Il aurait été bien ravi l’enfant de la lentille de pouvoir l’observer si nette… Lui qui râlait toujours après… Il avait édité un guide sur les « Repères Astéroïdes » et même un chapitre entier sur la « nébuleuse d’Antiope »… C’était une surprise véritable de l’observer à Paris… où il est bien célèbre le ciel pour son opacité crasseuse !… J’entendais comme il jubilait le Courtial dans un cas pareil !… Je l’entendais déconner, là, à côté de moi, sur le banc…
« Tu vois, mon petit, celle qui tremble ?… ça c’est pas même une planète… Ça c’est qu’une trompeuse !… C’est même pas un repère !… Un astéroïde !… C’est qu’une vagabonde !… tu m’entends ?… Fais gafe !… Une vagabonde !… Tiens encore deux millions d’années, ça fera peut-être une lumière profuse !… Alors elle donnera peut-être une plaque !… Maintenant c’est qu’une entourloupe et tu paumeras toute ta photo !… Et puis c’est tout ce que t’en aurais… Ah ! c’est trompeur une “ vaporide ” mon petit gniard !… Pas même une comète d’“ attirance ”… Te laisse pas berner, troubadour ! Les étoiles c’est tout morue !… Méfie-toi avant de t’embarquer ! Ah ! c’est pas les petites naines blanches ! Mords-moi ça ! Comme dynamètre ! Quart seconde exposition ! Brûle ton film en quart dixième ! Qu’elles sont terribles ! Ah ! défrisable ! Gafe-toi Ninette ! Les plaques c’est pas donné aux “ Puces ” !… Mais mon cher Evêque !… » Je les rentendais toutes ses salades !… « Une seule fois, quand tu regardes une chose… Tu dois la retenir pour toujours !… Te force pas l’intelligence !… C’est la raison qui nous bouche tout… Prends l’instinct d’abord… Quand il bigle bien, t’as gagné !… Il te trompera jamais !… » J’en avais plus moi de la raison… J’avais les guibolles en saindoux… J’ai marché quand même encore… Et puis j’ai retrouvé un autre banc… Je me suis tassé contre le dossier… Il faisait vraiment plus très chaud… Il me semblait qu’il était là… et de l’autre côté de la planchette, qu’il me tournait le dos, le vieux daron. J’avais des mirages… Je déconnais à sa place… Ses propres mots absolus… Il fallait que je l’entende causer… qu’ils me reviennent bien tous… Il était devant moi sur l’asphalte !… « Ferdinand ! Ferdinand ! L’ingéniosité c’est l’homme… Ne pense pas toujours qu’au vice… » Il me racontait tous ses bobards… et je me souvenais de tous à la fois !… Je discutais maintenant tout haut !… Les gens s’arrêtaient pour m’entendre… Ils devaient penser que j’étais ivre… Alors j’ai bouclé ma trappe… Mais ça me relançait quand même… ça me tenaillait toute la caboche. Ils me possédaient bien les souvenirs… Je pouvais pas croire qu’il était mort mon vieux vice-broquin… Et pourtant je le revoyais avec sa tête en confiture… Toute la barbaque qui remuait toujours… et que ça grouillait plein la route !… Merde ! Et la ferme à pic du talus ! et puis le fils à la garce Arton… Et la truelle ?… Et la mère Jeanne ? et leur brouette ? et tout le temps qu’on l’avait roulé avec la daronne !… Ah ! La vache ! Il était terrible !… Il me recavalait en mémoire !… Je repensais à toutes les choses… Au bar des Émeutes… à Naguère !… Au Commissaire des Bons-Enfants… et aux effluves à la gomme !… Et à toutes les patates infectes… Ah ! C’était dégueulasse au fond… comme il avait pu nous mentir… Maintenant il repiquait la tante !… Il était là, juste devant moi… à côté du banc… Je l’avais son odeur de bidoche… J’en avais plein le blaze… C’est ça la présence de la mort… C’est quand on cause à leur place… Je me suis redressé tout d’un coup… Je résistais plus… J’allais crier une fois terrible… Me faire embarquer pour de bon… J’ai relevé les châsses en l’air… pour pas regarder les façades… Elles me faisaient trop triste… Je voyais trop sa tête sur les murs… partout contre les fenêtres… dans le noir… Là-haut Orionte était partie… J’avais plus de repère dans les nuages… Tout de même j’ai repiqué Andromède… Je m’entêtais… Je cherchais Caniope… Celle qui clignait contre l’Ours… Je me suis étourdi forcément… J’ai repris quand même ma promenade… J’ai longé les grands Boulevards… Je suis revenu Porte Saint-Martin… Je tenais plus sur mes guizots !… Je déambulais dans le zigzag !… Je me rendais tout à fait compte… J’avais une peur bleue des bourriques !… Ils me croyaient saoul eux aussi !… Devant le cadran du « Nègre » j’ai fait « pst ! pst ! » à un fiacre !… Il m’a embarqué…