Выбрать главу

Arrivée à l’Arc de Triomphe, toute la foule s’est mise en manège. Toute la horde poursuivait Mireille. Y avait déjà plein de morts partout. Les autres s’arrachaient les organes. L’Anglaise coltinait son auto, au-dessus de sa tête, à bout de bras ! Hurray ! Hurray ! Elle en culbute l’autobus. Le trafic est intercepté par trois rangs de mobiles au port d’armes. Les honneurs c’est alors pour nous. La robe à Mireille s’envole. La vieille Anglaise bondit sur la môme, lui croche dans les seins, ça gicle, ça fuse, tout est rouge. On s’écroule, on grouille tous ensemble, on s’étrangle. C’est une grande furie.

La flamme sous l’Arc monte, monte encore, se coupe, traverse les étoiles, s’éparpille au ciel… Ça sent partout le jambon fumé… Voici Mireille à l’oreille qui vient me parler enfin. « Ferdinand, mon chéri, je t’aime !… C’est entendu, t’es plein d’idées ! » C’est une pluie de flammes qui retombe sur nous, on en prend des gros bouts chacun… On se les enfonce dans la braguette grésillantes, tourbillonnantes. Les dames s’en mettent un bouquet de feu… On s’est endormi les uns dans les autres.

25 000 agents ont déblayé la Concorde. On y tenait plus les uns dans les autres. C’était trop brûlant. Ça fumait. C’était l’enfer.

Ma mère et Mme Vitruve, à côté, elles s’inquiétaient, elles allaient et venaient dans la pièce en attendant que ma fièvre tombe. Une ambulance m’avait rapporté. Je m’étais étalé sur une grille avenue Mac-Mahon. Les flics en roulettes m’avaient aperçu.

Fièvre ou pas, je bourdonne toujours et tellement des deux oreilles que ça peut plus m’apprendre grand-chose. Depuis la guerre ça m’a sonné. Elle a couru derrière moi, la folie… tant et plus pendant vingt-deux ans. C’est coquet. Elle a essayé quinze cents bruits, un vacarme immense, mais j’ai déliré plus vite qu’elle, je l’ai baisée, je l’ai possédée au « finish ». Voilà ! Je déconne, je la charme, je la force à m’oublier. Ma grande rivale c’est la musique, elle est coincée, elle se détériore dans le fond de mon esgourde… Elle en finit pas d’agonir… Elle m’ahurit à coups de trombone, elle se défend jour et nuit. J’ai tous les bruits de la nature, de la flûte au Niagara… Je promène le tambour et une avalanche de trombones… Je joue du triangle des semaines entières… Je ne crains personne au clairon. Je possède encore moi tout seul une volière complète de trois mille cinq cent vingt-sept petits oiseaux qui ne se calmeront jamais… C’est moi les orgues de l’Univers… J’ai tout fourni, la bidoche, l’esprit et le souffle… Souvent j’ai l’air épuisé. Les idées trébuchent et se vautrent. Je suis pas commode avec elles. Je fabrique l’Opéra du déluge. Au moment où le rideau tombe c’est le train de minuit qui entre en gare… La verrière d’en haut fracasse et s’écroule… La vapeur s’échappe par vingt-quatre soupapes… les chaînes bondissent jusqu’au troisième… Dans les wagons grands ouverts trois cents musiciens bien vinasseux déchirent l’atmosphère à quarante-cinq portées d’un coup…

Depuis vingt-deux ans, chaque soir il veut m’emporter… à minuit exactement… Mais moi aussi je sais me défendre… avec douze pures symphonies de cymbales, deux cataractes de rossignols… un troupeau complet de phoques qu’on brûle à feux doux… Voilà du travail pour célibataire… Rien à redire. C’est ma vie seconde. Elle me regarde.

Ce que j’en dis c’est pour expliquer qu’au Bois de Boulogne il m’est venu un petit accès. Je fais souvent beaucoup de bruit quand je cause. Je parle fort. On me fait signe de parler moins haut. Je bavouche un peu c’est forcé… Il me faut faire des drôles d’efforts pour m’intéresser aux copains. Facilement je les perdrais de vue. Je suis préoccupé. Je vomis quelquefois dans la rue. Alors tout s’arrête. C’est presque le calme. Mais les murs se remettent en branle et les voitures à reculons. Je tremble avec toute la terre. Je ne dis rien… La vie recommence. Quand je trouverai le Bon Dieu chez lui je lui crèverai, moi, le fond de l’oreille, l’interne, j’ai appris. Je voudrais voir comment ça l’amuse ? Je suis chef de la gare diabolique. Le jour où moi je n’y serai plus, on verra si le train déraille. M. Bizonde, le bandagiste, pour qui je fais des petits « articles », il me trouvera encore plus pâle. Il se fera une raison.

Je pensais à tout ça dans ma crèche, pendant que ma mère et Vitruve déambulaient à côté.

La porte de l’enfer dans l’oreille c’est un petit atome de rien. Si on le déplace d’un quart de poil… qu’on le bouge seulement d’un micron, qu’on regarde à travers, alors c’est fini ! c’est marre ! on reste damné pour toujours ! T’es prêt ? Tu l’es pas ? Êtes-vous en mesure ? C’est pas gratuit de crever ! C’est un beau suaire brodé d’histoires qu’il faut présenter à la Dame. C’est exigeant le dernier soupir. Le « Der des Der » Cinéma ! C’est pas tout le monde qu’est averti ! Faut se dépenser coûte que coûte ! Moi je serai bientôt en état… J’entendrai la dernière fois mon toquant faire son pfoutt ! baveux… puis flac ! encore… Il branlera après son aorte… comme dans un vieux manche… Ça sera terminé. Ils l’ouvriront pour se rendre compte. Sur la table en pente… Ils la verront pas ma jolie légende, mon sifflet non plus… La Blême aura déjà tout pris… Voilà Madame, je lui dirai, vous êtes la première connaisseuse !…

J’avais beau être au fond des pommes, la Mireille me revenait quand même…

J’étais tranquille qu’elle avait dû aller baver tout son content.

« Ah ! qu’ils diraient à la Jonction… Le Ferdinand il est devenu insupportable ! Il va au Bois se faire miser !… (vu qu’on exagère toujours). Il amène en plus la Mireille !… Il débauche toutes les jeunes filles !… On va se plaindre à la Mairie !… Il a sali son emploi ! C’est un violeur et un factieux !… »

Tel quel ! Ça me faisait bouillir dans mon plume de me représenter ces salades, je suintais de partout comme un crapaud… J’en étouffais… je me tortille… Je me démène encore… Je balance toutes les couvertures… Je me retrouve une garce vigueur. Et c’est pourtant bien exact qu’ils nous ont suivis les satyres !… Je sens le brûlé de partout ! Une ombre énorme me cache la vue… C’est le chapeau à Léonce… Un chapeau de militant… Des bords si vastes qu’un vélodrome… Il a dû éteindre le feu… C’est Poitrat Léonce ! J’en suis sûr ! Il me filature depuis toujours… Il me cherche ce gars-là ! Il passe à la Préfecture bien plus souvent qu’à son tour… Après 18 heures… Il est par là, il se dépense, il milite chez les apprentis, il s’adonne aux avortements… Je lui plais pas… Je l’indispose… Il veut ma peau. Il l’avoue…

À la clinique c’est lui le comptable… Il porte aussi une lavallière. Il me bouche un côté du sommeil avec son chapeau… La fièvre monte encore je crois… Je vais éclater… Il est mariole Léonce Poitrat, c’est un fortiche aux réunions… Dans les chantages confédérés il peut hurler pendant deux heures. Personne le fait taire… Si on a changé sa motion, il devient enragé sur un mot. Il gueule plus fort qu’un colonel. Il est bâti en armoire. Pour la jactance il craint personne, pour la queue non plus, il bande dur comme trente-six biceps. Il a un bonheur en acier. Voilà. Il est secrétaire du « Syndic des Briques, Couvertures » de Vanves La Révolte. Secrétaire élu. Les poteaux sont fiers de Léonce, qu’est si fainéant, si violent. C’est le plus beau maquereau du travail.

Quand même il était pas content, il me jalousait moi, mes idées, mes trésors spirituels, ma prestance, la façon qu’on m’appelle « Docteur ». Il restait là avec les dames, il attendait à côté… Que je me décide ? Que je fasse enfin mon paquet ?… J’étais pas bon !… Et rien que pour l’emmerder… Je resterais par terre !… je tournerais au Miracle !… Je l’embrasserais même pour qu’il en crève !… Par contagion !…