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Un trou tout noir fondit du ciel et les engloutit.

L’interface tremblota, hésitante, aussi vide qu’une poche de pauvre, et continua de se ratatiner.

* * *

La porte de devant s’ouvrit. Ysabell passa la tête dehors.

« Il n’y a personne à la maison, dit-elle. Vous feriez mieux d’entrer. »

Ses trois compagnons pénétrèrent en file dans le vestibule. Coupefin s’essuya consciencieusement les pieds.

« C’est un peu petit, critiqua Kéli.

— C’est beaucoup plus grand à l’intérieur, dit Morty qui se tourna vers Ysabell. Tu as regardé partout ?

— Je n’ai pas trouvé Albert non plus. Je ne me souviens même pas l’avoir déjà vu absent. »

Elle toussa, se rappelant ses devoirs d’hôtesse.

« Quelqu’un veut boire quelque chose ? » proposa-t-elle. Kéli l’ignora.

« Je m’attendais au moins à un château, dit-elle. Immense, noir, avec de grandes tours sombres. Pas à un porte-parapluies.

— Il y a une faux dedans, remarqua Coupefin.

— On va tous aller dans le cabinet, on va s’asseoir et je suis sûre qu’on se sentira mieux », dit précipitamment Ysabell qui poussa la porte matelassée noire.

Coupefin et Kéli franchirent le seuil en se chamaillant. Ysabell prit le bras de Morty.

« Qu’est-ce qu’on fait, maintenant ? demanda-t-elle. Père va être drôlement en colère s’il les voit ici.

— Je vais trouver quelque chose, dit Morty. Je vais récrire les autobiographies, n’importe quoi. » Il eut un faible sourire. « T’inquiète pas. Je vais trouver quelque chose. »

La porte claqua derrière eux. Morty se retourna pour tomber nez à nez avec la figure rigolarde d’Albert.

Le grand fauteuil de cuir de l’autre côté du bureau pivota lentement. La Mort regarda son apprenti par-dessus des doigts réunis en clocher. Une fois assuré d’avoir capté toute l’attention horrifiée de son auditoire, il déclara :

« VAUDRAIT MIEUX T’Y METTRE TOUT DE SUITE. »

Il se leva, parut grandir tandis que la pièce s’assombrissait.

« PAS LA PEINE DE T’EXCUSER », ajouta-t-il.

Kéli enfouit son visage dans la poitrine imposante de Coupefin.

« JE SUIS REVENU. ET JE SUIS EN COLÈRE.

— Maître, je… commença Morty.

— TAIS-TOI », le coupa la Mort. D’un index calcaire, il fit signe à Kéli. Elle se tourna vers lui pour le regarder, son corps n’osait pas désobéir.

La Mort avança le bras et lui toucha le menton. La main de Morty se porta vers son épée.

« EST-CE LÀ LE VISAGE QUI A POUSSÉ MILLE VAISSEAUX À PRENDRE LA MER ET EMBRASÉ LES TOURS GIGANTESQUES DE PSEUDOPOLIS ? » s’étonna la Mort. Kéli fixait, hypnotisée, les têtes d’épingle rouges à des kilomètres de profondeur dans les orbites sombres.

« Euh… excusez-moi, fit Coupefin qui tenait respectueusement son chapeau à la manière mexicaine.

— OUI ? fit la Mort, ramené à la réalité.

— Ce n’est pas elle, monsieur. Vous devez confondre avec un autre visage.

— COMMENT TU T’APPELLES ?

— Coupefin, monsieur. Je suis mage, monsieur.

— « JE SUIS MAGE, MONSIEUR », se moqua la Mort. TAIS-TOI, MAGE.

— Monsieur. » Coupefin recula.

La Mort se tourna vers Ysabell.

« MA FILLE, EXPLIQUE-TOI. POURQUOI AS-TU AIDÉ CET IMBÉCILE ? »

Ysabell exécuta une révérence nerveuse.

« Je… je l’aime, Père. Je crois.

— C’est vrai ? s’étonna Morty. Tu l’as jamais dit !

— Ça ne semblait jamais le moment. Père, il ne voulait pas…

— TAIS-TOI. » Ysabell baissa les yeux. « Oui, Père. »

La Mort fit le tour du bureau de son pas raide pour s’arrêter bien en face de son apprenti. Il le considéra un long moment.

Puis, d’un seul geste à peine visible, sa main frappa Morty en pleine figure et l’envoya à terre.

« JE T’INVITE SOUS MON TOIT, dit-il, JE TE FORME, JE TE NOURRIS, JE T’HABILLE, JE T’OFFRE DES CHANCES DONT TU NE RÊVAIS MÊME PAS, ET VOILÀ COMMENT TU ME REMERCIES. TU DÉTOURNES MA FILLE DE MOI, TU NÉGLIGES LE SERVICE, TU FAIS DES VAGUES DANS LA RÉALITÉ QU’ON METTRA UN SIÈCLE À GUÉRIR. TES INTERVENTIONS INTEMPESTIVES ONT CONDAMNÉ TES CAMARADES À L’OUBLI. C’EST LE MOINS QU’EXIGERONT LES DIEUX.

« BREF, PETIT, TU COMMENCES BIEN MAL DANS TON PREMIER EMPLOI. »

Morty se mit péniblement en position assise en se tenant la joue. Elle brûlait d’un feu froid, comme de la glace de comète. « Morty, rectifia-t-il.

— ÇA PARLE ! ET ÇA DIT QUOI ?

— Vous pourriez les laisser partir. Ils étaient là comme ça. C’était pas de leur faute. Vous pourriez arranger…

— POURQUOI JE FERAIS ÇA ? ILS M’APPARTIENNENT À PRÉSENT.

— Pour eux, je suis prêt à me battre contre vous, dit Morty.

— TRÈS NOBLE. LES MORTELS SE BATTENT TOUT LE TEMPS CONTRE MOI. TU ES VIRÉ. »

Morty se remit debout. Il se rappelait avoir été la Mort. Il en retrouva la sensation, la laissa remonter à la surface… « NON, dit-il.

— AH. TU ME DÉFIES D’ÉGAL À ÉGAL, ALORS ? »

Morty déglutit. Mais au moins la marche à suivre était claire maintenant. Quand vous tombez d’une falaise, votre vie prend une direction bien définie.

« S’il le faut, dit-il. Et si je gagne…

— SI TU GAGNES, TU SERAS EN POSITION DE FAIRE TOUT CE QUI TE CHANTE, dit la Mort. SUIS-MOI. »

Il passa devant l’apprenti de sa démarche raide et sortit dans le vestibule.

Les quatre autres regardèrent Morty.

« Tu es sûr de savoir ce que tu fais ? demanda Coupefin.

— Non.

— Tu ne peux pas battre le maître », dit Albert. Il soupira. « Crois-moi.

— Qu’est-ce qui va se passer si vous perdez ? fit Kéli.

— Je ne perdrai pas. C’est ça l’ennui.

— Père veut qu’il gagne, dit amèrement Ysabell.

— Vous voulez dire qu’il va laisser Morty gagner ? fit Coupefin.

— Oh, non, il ne va pas le laisser gagner. Il veut seulement qu’il gagne. »

Morty approuva de la tête. Tandis qu’ils suivaient la forme sombre de la Mort, il imagina un avenir à servir éternellement le dessein mystérieux que le Créateur avait en tête, à vivre hors du Temps. Il ne pouvait reprocher à la Mort de vouloir lâcher le métier. La Mort avait dit que les os n’étaient pas obligatoires, mais peut-être que ça n’aurait pas beaucoup d’importance. L’éternité donnerait-elle une impression de longueur, ou est-ce que toutes les vies – d’un point de vue personnel – avaient exactement la même durée ?

Salut, fit une voix dans sa tête. Tu te souviens de moi ? Je suis toi. C’est moi qui t’ai fourré dans ce pétrin.

« Merci », dit-il avec aigreur. Les autres lui jetèrent un regard.

Tu pourrais t’en sortir, reprit la voix. Tu as un gros avantage. Tu as été lui, et lui n’a jamais été toi.

La Mort traversa rapidement le vestibule pour passer dans la Longue Salle, où toutes les bougies s’allumèrent docilement d’un coup à son entrée.

« ALBERT.

— Maître ?

— VA ME CHERCHER LES SABLIERS.

— Maître. »

Coupefin saisit le bras du vieillard.

« Vous êtes mage, siffla-t-il. Vous n’êtes pas obligé de faire ce qu’il dit !

— T’as quel âge, mon gars ? demanda gentiment Albert.

— Vingt ans.

— Quand t’auras le mien, les choix t’apparaîtront autrement. » Il s’adressa à Morty. « Excuse-moi. »

Morty dégaina son épée à la lame presque invisible dans la lumière des bougies. La Mort se retourna et lui fit face, mince silhouette devant un immense casier de sabliers.