Donc Alison l’aimera, je suppose. Ce n’était pas assez, avant. Il n’a vraiment voulu d’elle que quand il a pensé qu’elle était morte.
Dans la dernière partie du livre, quand Nicholas, de retour à Londres, veut retourner dans le mystère, quel qu’il soit, c’est exactement ce que je ne veux pas être. Je n’aurais jamais dû essayer de parler à cette fée. Que quelqu’un d’autre fasse quelque chose pour la graphiose de l’orme. Ce n’est pas mon problème. J’en ai fini de vouloir sauver le monde, et je n’ai jamais attendu de lui la moindre gratitude, de toute façon. J’ai cette stupide douleur lancinante qui m’obsède et je ne comprends que trop bien Nicholas. Mais je ne veux pas être pitoyable comme lui.
Jeudi 25 octobre 1979
Comme il ne pleuvait pas, pour la première fois depuis des siècles, et que ma jambe allait un peu mieux, je suis sortie pendant la demi-heure après l’étude. Je suis descendue à la limite du terrain de sport, près du fossé où j’avais vu la fée et j’ai fait un feu de joie de toutes les lettres. Il faisait presque nuit et elles se sont enflammées tout de suite à la première allumette. Ça venait sans doute du papier photo, déjà partiellement brûlé, qui attendait avec avidité le feu. « Souvent la volonté du mal ruine le mal », comme a dit Gandalf. Souvent, pas toujours. On ne peut pas y compter, mais cela semble assez souvent.
Je me suis sentie beaucoup mieux une fois qu’elles ont flambé. Quelques fées sont venues danser autour des flammes, comme elles le font toujours. Nous les appelions salamandres, et ignéides. Elles sont d’une couleur étonnante, d’un bleu qui palpite et devient orange. La plupart faisaient comme si elles ne pouvaient pas me voir, ou comme si je ne pouvais pas les voir, mais l’une d’elles m’a regardée, furtivement. Elle a changé le jaune des taches sur l’écorce de l’arbre en me voyant la regarder et j’ai compris qu’elle savait ce que j’avais demandé. « Que puis-je faire ? » ai-je dit, pitoyable malgré ce que j’ai dit hier de Nicholas.
Au son de ma voix, elles ont toutes disparu, mais sont revenues au bout d’un moment. Elles n’étaient pas tout à fait comme les fées de chez nous. Peut-être est-ce parce que celles-ci ne vivent pas dans les ruines. Elles semblent toujours préférer les endroits où la nature s’est réinstallée. Nous ne faisons des clôtures que depuis peu de temps. Le pays entier était couvert d’espaces sauvages partagés – comme le pré commun, je suppose, où les paysans pouvaient faire paître leurs animaux, ramasser du bois ou cueillir des mûres. Ils n’appartenaient à personne en particulier. Je parie qu’ils étaient pleins de fées. Puis les seigneurs ont persuadé les gens de bâtir des clôtures et des fermes bien proprettes, sans comprendre, avant que les prés communs ne disparaissent, à quel point les gens seraient à l’étroit sans eux. La campagne est censée être parcourue de veines de nature sauvage, sans quoi elle souffre. Ici, la campagne est plus morte qu’une ville. Le fossé et les arbres sont là uniquement parce qu’il y a une école, et les arbres près de la librairie font partie d’un domaine.
Les fées ne m’ont pas parlé, pas même dit quelques mots comme celle sur l’arbre. Mais la jaune a continué à me regarder, prudemment, pour que je sache qu’elle avait compris. Ou plutôt qu’elle avait compris quelque chose. On ne peut jamais être sûr de quoi. Les fées sont comme ça. Même celles que nous connaissions bien, celles à qui nous avions donné des noms et qui nous parlaient tout le temps, pouvaient se comporter bizarrement.
Puis elles ont toutes à nouveau disparu. Les lettres n’étaient plus que des cendres – le papier brûle vite – et Ruth Campbell m’a surprise et m’a collé dix points d’avertissement pour avoir failli provoquer un incendie. Dix ! Il faut trois points d’équipe pour annuler un point d’avertissement, ce qui est parfaitement injuste, si vous voulez mon avis. Au cours du trimestre, j’avais gagné jusqu’ici quarante points d’équipe, pour mes notes. Et j’avais eu onze avertissements, qui m’en annulaient l’équivalent de trente-trois. C’est un système stupide et je m’en fiche, mais honnêtement, est-ce que ça vous semble juste ?
Le plus bizarre, c’est que Ruth semblait plus embêtée que moi par cette histoire. Elle est préfète, et elle est Scott, si bien qu’en me donnant dix points d’avertissement, elle handicapait sa propre équipe, et elle se soucie de ça beaucoup plus que moi. Quand on a dix points d’avertissement, on est privée de sortie le samedi suivant, mais comme cette semaine c’est les vacances, ça ne compte pas. Je ne risquais rien, de toute façon, j’ai assez de points d’équipe à annuler, mais je ferais mieux de faire attention à l’avenir.
De toute manière, je n’aurais pas pu mettre le feu à l’école. C’était un tout petit feu, sous contrôle, et je fais de petits feux depuis des années. Je savais ce que je faisais. Même si je n’avais pas su, j’étais très loin des bâtiments, le sol était détrempé par la pluie et le fossé plein d’eau. Il y avait aussi beaucoup de feuilles mouillées avec lesquelles étouffer le feu en cas de danger. J’ai accepté les avertissements, parce je ne voulais surtout pas que le problème vienne aux oreilles d’un professeur. Mieux valait éviter de les mêler à ça. Ruth a aussi confisqué mes allumettes.
C’est un grand soulagement que ces lettres soient détruites. Je me sens beaucoup plus légère maintenant qu’elles ne sont plus là.
Vendredi 26 octobre 1979
Aujourd’hui, il régnait à l’école une atmosphère presque palpable d’excitation contenue. Toutes étaient impatientes de sortir. Elles parlaient de leurs projets pour la semaine, tous plus magnifiques les uns que les autres. Sharon devait partir dans la matinée, car en plus d’une foule d’interdits, les juifs ne peuvent pas voyager le vendredi soir et le samedi. Qu’arrive-t-il s’ils le font ? Je me le demande.
Quelques filles sont parties juste après les cours de l’après-midi. Les autres regardaient par les fenêtres de la bibliothèque pour voir quel genre de voiture venait les chercher et ce que portaient leurs mères. La grande sœur de Deirdre est passée la prendre dans une Mini blanche. Je suppose qu’on va lui en parler longtemps. Les mères, semblerait-il, se doivent de porter un Burberry avec un foulard en soie. Burberry est une marque d’imperméable de luxe.
Personne ne m’a demandé ce que porte ma mère, parce que personne ne me parle. Mais c’est aussi bien. Elle pioche au hasard dans sa garde-robe et ses tenues se succèdent dans un ordre étrange qu’elle seule connaît. Je ne sais pas si elle fait ça parce que c’est magique ou parce qu’elle est folle. On a vraiment du mal à voir la différence. Parfois on dirait un vrai garçon, et à d’autres moments elle a l’air parfaitement normale – en général parce qu’elle sent que ça pourrait lui être utile –, par exemple, la dernière fois que je l’ai vue au tribunal, elle avait l’air modeste et respectable. Il y a longtemps, quand elle tenait un jardin d’enfants, elle avait toujours l’allure d’une institutrice parfaitement raisonnable – mais c’était parce que Gramma était encore en vie et pouvait la surveiller. Sinon, je l’ai vue porter sa robe de mariée pour aller faire les courses, un manteau d’hiver au mois de juillet ou pratiquement rien sur le dos en janvier. Ses cheveux sont longs et noirs et, même peignés, ils ressemblent à un nœud de vipères. Si elle portait un Burberry et un foulard de soie, elle aurait l’air déguisée avec une nappe prise à un autel sur lequel on a sacrifié un animal.
Mon père est arrivé en même temps qu’une nuée d’autres parents et personne ne m’a fait de commentaire à son propos. Il était toujours égal à lui-même. Je crains d’avoir recommencé à l’observer à la dérobée. Je ne sais pas pourquoi, c’est vraiment absurde alors que tout ce temps nous nous sommes écrit comme des êtres humains. Il m’a ramenée au Vieux Manoir.