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C’était un mince volume des classiques Penguin. « Si ça me plaît, je pourrai en commander d’autres à la bibliothèque, ai-je dit.

— Bonne idée. Ne fais pas comme Daniel, toujours à lire de la fiction et jamais le temps pour les lectures sérieuses. Je suis tout le contraire. Je n’ai pas le temps pour la fiction.

— J’ai une amie à l’école qui est comme ça. Elle lit des essais scientifiques pour se distraire. »

Il se trouve que Sam avait lu plusieurs essais scientifiques d’Asimov, et il avait même un livre qu’il avait écrit sur la Bible ! « C’est l’œuvre d’un juif athée sur la Bible, alors je l’ai achetée, bien sûr. »

À la tombée du soir, mon père a commencé à s’agiter et a insisté pour nous emmener dîner. Nous sommes allés dans un restaurant voisin où on nous a servi du saumon fumé et du fromage frais avec des petites crêpes appelées blinis, qui étaient absolument délicieux, c’était peut-être la meilleure chose que j’aie jamais goûtée. Ensuite on a eu droit à de succulentes boulettes de pommes de terre au fromage, qui auraient été la meilleure chose que j’aie mangée depuis des mois si elles n’étaient pas venues après l’exquis saumon fumé, et pour finir une autre sorte de crêpes à la confiture. Dans cet endroit, tout le monde semblait connaître Sam et ne cessait de venir dire bonjour et se faire présenter. C’était un peu embarrassant au début, mais je m’y suis vite habituée, parce que Sam faisait comme si c’était normal. J’ai vu qu’il se comportait parmi ces gens comme si c’était sa famille, il vivait en communauté avec eux.

J’aime bien Sam. J’étais triste de lui dire au revoir. J’ai noté son adresse et lui ai donné la mienne à l’école. J’avais envie de lui demander ce que ça faisait d’être juif, de lui parler de ce que m’avait dit Sharon, et aussi de mon idée d’être une « juive de riz », mais ça me gênait de le faire en présence de mon père. Les choses sont plus faciles avec Sam. Je n’ai pas à me sentir reconnaissante envers lui, et lui n’a pas à se sentir coupable vis-à-vis de moi.

Après, nous sommes allés à l’hôtel. Il n’a pas grand-chose à voir avec celui où nous descendions dans le Pembrokeshire. Il est très anonyme. Nous partageons une chambre, ce à quoi je ne m’attendais pas, mais comme il est descendu au bar presque tout de suite, j’ai l’endroit pratiquement pour moi toute seule. On change d’heure cette nuit, ce qui veut dire une heure en plus à dormir !

Le Banquet est brillant. C’est exactement comme The Last of the Wine, mais ça se passe avant, bien sûr, quand Alcibiade était jeune. Ça devait être formidable de vivre à cette époque.

Dimanche 28 octobre 1979

Je suis dans le train, le rapide Londres-Cardiff. Il traverse indifféremment villes et campagnes, filant sur ses rails infinis. Je suis assise dans un coin du wagon et personne ne fait attention à moi. Il y a une voiture-bar où on peut acheter des sandwiches infects et d’horribles boissons pétillantes ou du café. J’ai acheté un Kit Kat que je mange très lentement. Il pleut, ce qui donne à la campagne l’air plus propre et aux villes plus sale.

C’est un soulagement de porter mes propres vêtements. Je les avais hier aussi, mais je n’y ai pas trop fait attention. Enfin, assise là, toute seule, à regarder par la fenêtre, c’est un plaisir de porter mon jean et mon tee-shirt Tolkien au lieu de cet affreux uniforme.

C’est drôle, j’écris tout ceci en miroir, afin que personne ne puisse me lire, mais j’ai envie d’écrire ce qui vient en double miroir ou quelque chose, au cas où. Mon carnet est muni d’un cadenas. J’ai de la chance de pouvoir écrire en miroir de la main gauche. Avec mon entraînement, je suis presque aussi rapide que de la droite.

Bref…

Hier soir, après avoir écrit dans mon journal, j’ai lu un peu (Le Monde des Ptavvs, de Niven) puis j’ai éteint la lumière. Je me suis endormie, mais plus tard il, mon père – je devrais vraiment l’appeler Daniel, c’est son nom, et c’est comme ça que Sam l’appelle –, Daniel est entré et a allumé la lumière, ce qui m’a réveillée. Il était ivre. Il pleurait. Il a essayé d’entrer dans mon lit et de m’embrasser, j’ai dû le repousser.

Je sais, j’ai dit que j’allais être pro-sexe, mais…

En un sens, c’est agréable de penser que quelqu’un a envie de moi. Et les caresses sont agréables. D’autre part, le sexe, eh bien, il n’y a pas non plus d’intimité à l’école, mais j’ai eu une occasion la nuit d’avant. (Combien de temps cela prend-il ? La masturbation dure cinq, dix minutes maximum. Il n’est jamais dit, dans les livres, combien de temps. Bron et Spike l’ont fait pendant des heures, mais c’était une exhibition.) Et je sais, d’après Les Vies de Lazarus Long, qui est très explicite sur ce point, que l’inceste n’est pas mauvais par nature… ce n’est pas comme si j’avais vraiment l’impression qu’il est de la famille. Je n’arrive pas à imaginer avoir envie avec Grampar, pouah !

Mais avec lui, Daniel, il n’y a vraiment que le problème de consanguinité, parce que, en réalité, nous sommes des étrangers. C’est juste une affaire de contraception. Je n’ai que quinze ans ! Et c’est illégal, je pense, ça ne vaudrait pas le coup d’aller en prison. Mais il semblait me désirer, et qui d’autre va me désirer, éclopée comme je suis ? Je ne veux pas être dépravée, mais je le suis probablement. Bref, j’ai dit non sans réfléchir, parce qu’il était ivre et pathétique. Je l’ai repoussé et il est allé dormir dans l’autre lit où il s’est mis à ronfler, très fort, et je suis restée étendue à penser à Heinlein et à cette nouvelle de Sturgeon dans Dangereuses visions, « Si tous les hommes étaient frères, me permettrais-tu d’épouser ta sœur ? » Excellent titre.

Ce matin, il a fait comme s’il ne s’était rien passé. Nous ne nous regardions de nouveau plus, chacun mangeant sa tranche de bacon ramollie et son œuf sur le plat froid dans la salle du petit déjeuner de l’hôtel. Il m’a donné de l’argent pour le train et en plus un billet de 10 livres. Même si j’en dépense une partie pour me nourrir et pour le bus, je devrais pouvoir acheter au moins dix bouquins. Il est très bizarre avec l’argent, des fois il fait comme s’il n’en avait pas, puis il le distribue sans compter. Je dois rentrer à Shrewsbury samedi prochain, parce que je dois être à l’école dimanche soir. Mais ça me laisse toute une semaine. Il me retrouvera à la gare de Shrewsbury. Et tante Teg va m’attendre aujourd’hui à la gare de Cardiff, je l’ai appelée de Paddington. En attendant, je suis entre deux, entre tout, entre les mondes, je mange un Kit Kat et j’écris ceci. J’adore les trains.

Lundi 29 octobre 1979

Les vacances ne tombent pas aux mêmes dates, à Arlinghurst et ici, où tout le monde était en congé la semaine dernière. Typique. Donc tante Teg a ses cours et tous mes amis sont à l’école. Je suis arrivée hier soir, j’ai mangé une des tartes au fromage de tante Teg et suis tombée endormie juste après le dîner.