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On dirait que je n’ai que des questions, aujourd’hui.

J’étais claquée, et inutile de parler de ma jambe, je suis restée à la maison pour lire toute la journée. Puis j’ai préparé le dîner pour tante Teg quand elle rentrerait de l’école – une poêlée de champignons avec des oignons, du fromage et de la crème, et des pommes de terre au four avec encore du fromage, et des petits pois. Elle a dit « comme c’est gentil », en ajoutant qu’elle supposait que les hommes mariés y avaient droit tous les jours et que ce dont elle avait besoin ce n’était pas d’un mari qui compterait sur ça, mais d’une femme qui le ferait. C’était agréable de cuisiner de la véritable nourriture. Ça a quelque chose de formateur. Ce n’est pas de la magie, ça va au-delà de prendre des gros champignons et des pommes de terre crues pour les transformer en quelque chose d’absolument délicieux. Je préparais simplement le dîner. Mais je me demande dans quelle mesure cuisiner pour quelqu’un d’autre est de la magie. Je pense que c’est possible. La batterie de cuisine de tante Teg ne m’aime pas plus que Perséphone. Les couteaux et les éplucheurs ne me coupent pas, mais ils perdent de leur efficacité entre mes mains. Ils savent que je ne suis pas la personne censée les utiliser.

Il existe un livre d’heroic fantasy d’Heinlein intitulé Route de la gloire. Ça doit être quelque chose ! Je me demande si Daniel l’a. Sinon, il y a toujours le prêt entre bibliothèques.

Vendredi 2 novembre 1979

Je suis retournée aujourd’hui en bus à Aberdare. Il n’y avait pas la moindre trace de Mor ou des fées, mais j’avais le sentiment qu’elles disparaissaient dès que je les cherchais et apparaissaient juste au moment où je ne pouvais pas les voir. C’était un jeu, bien sûr, mais je n’avais pas envie d’y jouer. Je voulais des réponses, bien que j’eusse dû savoir qu’il était impossible d’obtenir d’elles une simple réponse, même quand elles voulaient quelque chose, ce qui n’était manifestement pas le cas en ce moment.

Je suis allée à la maison de Grampar. J’en ai encore une clef, bien que la serrure soit plus dure que jamais, et j’ai eu le plus grand mal à entrer. Tante Teg vient faire le ménage, mais il y avait quand même de la poussière et une odeur de demeure abandonnée. C’est une toute petite maison coincée entre deux autres. Quand tante Florrie y vivait, il n’y avait pas de salle de bains, on se lavait dans la cuisine et les toilettes étaient un ty bach, dehors. C’était déjà comme ça du temps de mes arrière-grands-parents. Mon grand-père avait installé toute la plomberie quand il était revenu. J’aimais beaucoup prendre mon bain dans la cuisine, près du feu de charbon. C’était étonnamment confortable. Mais je détestais sortir pour aller aux toilettes, surtout la nuit.

Grampar y avait emménagé quand Mor était morte, pour fuir ma mère. Tout le monde la fuit. Je n’ai jamais vécu officiellement là. J’étais censée habiter chez elle. J’ai même parfois passé un peu de temps avec elle, quand elle insistait, mais pas quand Grampar allait bien. J’avais ma propre chambre, avec mon lit qui venait de la maison et mon coffre bleu. La plus grande partie de mes livres et de mes vêtements étaient restés chez elle, mais j’ai trouvé un pull en laine appartenant à Mor et mon short en jean avec un lion dessus, et un numéro de Destinies. Destinies est une revue de science-fiction américaine qui se présente comme un livre de poche. Ils la reçoivent régulièrement chez Lears, et je l’adore. J’ai acheté le dernier numéro – « avril-juin » – lundi dernier. Je le garde pour le lire dans le train.

J’ai donc laissé quelques livres. Je sais que je ne pourrai pas les récupérer avant Noël, mais il y en avait vraiment des piles et je suis pratiquement sûre de ne pas vouloir relire de sitôt ceux que j’ai laissés. Il n’y a pas beaucoup de place à l’école. De toute façon, même s’ils me manquent, j’aime bien les savoir ici. Si Grampar va assez bien pour sortir de Fedw Hir et rentrer à la maison, je pourrai rentrer aussi. Daniel ne tient pas tant à moi, je suis sûre qu’il s’en fichera. J’ai l’impression que je ne vis effectivement nulle part et je déteste ça. La pensée qu’il y a huit livres en ordre alphabétique sur l’appui de fenêtre de ma chambre m’est un réconfort. C’est magique, aussi, c’est un lien magique. Ma mère ne peut pas entrer ici, et même si elle le pouvait, il y a les livres. On ne peut pas utiliser la magie avec les livres, à moins que ce soient des exemplaires très particuliers – et si elle pouvait, elle a déjà le reste de mes affaires. Elle a beaucoup trop de ce qui m’appartient, mais il n’y a pas moyen de le lui enlever.

Si je l’ai battue de nouveau, et je pense que c’est le cas, voudra-t-elle se venger ? Ce n’était pas du tout comme la dernière fois. C’est bizarrement décevant, surtout parce que je n’arrive pas à trouver Glorfindel pour lui poser les neuf millions de questions qui me tracassent.

Je n’ai pas réussi à refermer à clef la porte de devant. Je l’ai fermée de l’intérieur et je suis sortie par-derrière, puis j’ai mis la clef de derrière dans la boîte aux lettres. Je l’ai dit à tante Teg, qui sera la prochaine à venir.

J’ai vu Moira, Leah et Nasreen après leur sortie de l’école cet après-midi. Elles m’ont demandé comment était Arlinghurst, mais je ne leur ai pas dit, à part quelques détails anodins. Leah a un petit ami, Andrew, qui était très bon en maths à Park School quand nous étions petits. C’est ce que j’ai dit et Moira a répondu que certains d’entre nous étaient encore petits. Elle a fait une poussée de croissance. Je me demande si j’en ferai une. J’ai la même taille depuis l’âge de douze ans, quand nous étions les plus grandes de la classe, mais maintenant tout le monde m’a dépassée. Elles m’ont raconté tous les potins. Dorcas, qui était toujours première en français et en gallois et dont les parents ont une religion de cinglés, adventiste du septième jour ou je ne sais quoi, est tombée enceinte. Sue est partie avec ses parents qui ont déménagé pour l’Angleterre. Je me sentais réellement normale, mais aussi bizarre, comme si je faisais semblant.

Retour à Shrewsbury demain, juste quand elles n’auront pas école et que nous aurions pu faire quelque chose ensemble.

Samedi 3 novembre 1979

Le train de Crewe est bien plus petit que celui de Londres. Il y a un couloir et de petits compartiments où on peut tenir à huit, sur des banquettes en vis-à-vis. Il y a un filet à bagages et des photos de paysages en noir et blanc – dans mon compartiment, c’était Newton Abbott, dont je n’avais jamais entendu parler. Je me demande où c’est. Ça a l’air joli. Pendant la plus grande partie du trajet, j’ai eu le compartiment pour moi toute seule, à part une femme et ses deux enfants qui sont montés à Abergavenny et descendus à Hereford. Ils ne m’ont pas beaucoup dérangée. La plupart du temps, je regardais par la fenêtre ou je lisais, d’abord Destinies, puis Le Bar du coin des temps de Spider Robinson, que j’avais aussi acheté chez Lears.

Le train suit la frontière galloise. En s’éloignant de Cardiff et de Newport, il monte à travers champs et collines. Le soleil apparaissait et se cachait par intermittence, répandant cette étrange lumière automnale qui donne presque l’impression d’être sous l’eau. Les nuages faisaient des taches d’ombre sur les montagnes, et là où il y avait du soleil l’herbe irradiait presque de lumière. Du train, on voyait le Pain de Sucre. C’est une montagne très caractéristique. Nous allions de temps en temps à Abergavenny et il y avait une chanson que nous chantions dans la voiture : « À travers les collines jusqu’à Abergavenny, avec l’espoir que le temps sera beau. » Cela m’a fait chaud au cœur de voir le Pain de Sucre, ne serait-ce que de la gare, avec les collines derrière. Je dirai à Grampar que j’y suis passée quand je lui écrirai. Après Abergavenny, le train franchit la frontière avec l’Angleterre, parce que Hereford est en Angleterre, et Ludlow aussi. Cette dernière est une petite ville qui ressemble beaucoup à Oswestry, vue du train, mais en un peu plus chaleureuse.