Vous pouvez « lever les yeux vers les collines d’où vous vient l’aide »… un psaume qui m’a toujours paru aller de soi. Les collines étaient magnifiques, elles étaient vertes et il y avait des arbres et des moutons, et elles étaient toujours là. Elles étaient sauvages, dans le sens où n’importe qui pouvait y aller à tout moment. Elles n’appartenaient à personne, contrairement à la campagne plate et clôturée qui entourait l’école. Les collines étaient à tout le monde. Et même au fond des vallées il y avait des rivières, des forêts et des ruines, laissées par les fonderies qui avaient fermé, par les industries qui avaient été abandonnées. Sur les ruines avaient poussé des plantes qui étaient retournées à l’état sauvage, puis les fées s’étaient installées. Ce que nous pensions qu’il arriverait à la Phurnacite s’était effectivement passé. Cela avait simplement pris un peu plus longtemps que nous ne l’avions imaginé.
Nous avions passé notre enfance à jouer dans les ruines, parfois seules, parfois avec d’autres enfants ou avec les fées. Pendant longtemps, nous n’avions pas compris ce qu’étaient les ruines. Il y avait près de la maison de tante Florrie une ancienne fonderie où nous allions tout le temps jouer. Il y avait là d’autres enfants avec qui nous faisions parfois de merveilleuses parties de cache-cache. Je ne savais pas ce qu’était une fonderie. Si on avait insisté, j’aurais deviné que c’était un lieu où on avait dû fondre de l’acier, mais personne n’avait jamais insisté. C’était un endroit, une chose. C’était envahi de lauriers-roses en automne. Nous ne cherchions pas à savoir ce que c’était.
La plus grande partie des ruines où nous jouions, dans la forêt, n’avait pas de nom et il aurait pu s’agir de n’importe quoi. Nous les appelions la chaumière de la sorcière, le château du géant, le palais de la fée, et nous faisions comme si c’était la dernière redoute de Hitler ou les murailles d’Angband, alors qu’il s’agissait en réalité des vestiges croulants d’un site industriel. Ce n’étaient pas les fées qui les avaient construits. Elles les avaient investis en même temps que la végétation quand les gens les avaient abandonnés. Les fées ne pouvaient rien faire de réel. C’est pourquoi elles avaient besoin de nous. Nous ne le savions pas. Il y avait beaucoup de choses que nous ignorions, que nous n’avions pas pensé à demander. Avant que les gens viennent, je suppose que les fées vivaient dans la forêt et n’avaient pas de maison. Les fermiers mettaient peut-être du lait dehors pour elles. Il ne devait pas y en avoir tellement, d’ailleurs.
Les ancêtres des habitants des Vallées étaient arrivés là au début de la révolution industrielle. Sous les collines, il y avait du fer et du charbon et les Vallées étaient les villes-champignons de l’époque dans lesquelles ils s’entassaient. Si vous vous êtes jamais demandé pourquoi les Gallois n’avaient pas émigré vers le Nouveau Monde comme les Irlandais ou les Écossais, ce n’est pas parce qu’ils n’avaient pas besoin de quitter leurs fermes de la même façon. C’est parce qu’ils avaient quelque part chez eux où aller. Du moins considéraient-ils que c’était chez eux. Les Anglais aussi étaient venus. La langue galloise avait disparu. Le gallois était la première langue de ma grand-mère, la deuxième de ma mère et moi je ne sais que le baragouiner. La famille de ma grand-mère venait de l’ouest du pays de Galles, du Carmarthenshire. Nous y avons encore de la famille, Mary « de la campagne » et les siens.
Mes ancêtres sont venus comme tout le monde après la découverte du fer et du charbon. Ils ont commencé à construire des hauts fourneaux, des lignes de chemin de fer pour l’exportation, des maisons pour les ouvriers, encore des hauts fourneaux, des mines, des maisons, jusqu’à ce que les vallées ne soient plus que des bandes continues d’habitations. Les collines étaient toujours là, entre les Vallées, et les fées avaient dû s’y réfugier. Puis le fer s’était épuisé, ou il était moins cher à produire ailleurs, et s’il y avait toujours des mines de charbon, c’était un pitoyable souvenir de la folie que ç’avait été un siècle plus tôt. Les fonderies étaient abandonnées. Les puits fermés. Certains étaient partis, mais la plupart étaient restés. Ils s’y sentaient chez eux. Quand nous étions nées, le chômage chronique était une réalité quotidienne et les fées étaient revenues dans les Vallées, investissant les ruines dont personne ne voulait.
Nous avions grandi en jouant librement dans les ruines et n’avions aucune conscience de cette histoire. C’était un endroit merveilleux pour des enfants. Il était abandonné, envahi par la végétation et ignoré, et une fois qu’on s’éloignait des maisons… c’était la nature sauvage. On pouvait toujours aller dans les montagnes, où il y avait des rochers, des arbres et des moutons, gris de poussière de charbon et peu attirants. (Je ne comprends pas pourquoi les gens font du sentiment à propos des moutons. Nous avions l’habitude de leur crier « Sauce à la menthe ! » pour les faire détaler. Tante Teg tiquait toujours et nous disait de ne pas faire ça, mais nous ne l’écoutions pas. Ils descendent dans la vallée, renversent les poubelles et détruisent les jardins. C’est la raison pour laquelle il faut garder les grilles fermées.) Mais, même au fond de la vallée, il y avait des arbres et des ruines qui quadrillaient toute la ville. Ce n’était pas le seul paysage que l’on connaissait. Nous allions dans le Pembrokeshire pour les vacances, et dans les vraies montagnes – les Brecon Beacons –, et à Cardiff, qui est une grande ville, avec des boutiques. Dans les Vallées, nous étions chez nous, c’était le paysage de la normalité, et nous ne nous posions pas de questions à son sujet.
Les fées n’ont jamais dit qu’elles avaient construit les ruines. Je doute que nous le leur ayons demandé, mais si nous l’avions fait elles auraient simplement ri, comme à la plupart de nos questions. Elles étaient inexplicablement là, ou bien, certains jours, inexplicablement absentes. Parfois, elles nous parlaient, et d’autres fois, elles nous fuyaient. Comme les autres enfants que nous connaissions, nous pouvions jouer avec elles ou sans elles. Tout ce dont nous avions vraiment besoin, c’était l’une de l’autre et de notre imagination.
Les lieux de mon enfance étaient reliés par des chemins magiques que presque aucun adulte ne suivait. Ils avaient les routes, nous avions ces chemins que nous suivions à pied. Ils étaient différents et plus larges qu’un sentier, mais pas assez pour des voitures, parfois parallèles aux vraies routes et parfois coupant à travers nulle part, d’une ruine d’elfe au labyrinthe de Minos. Nous leur donnions des noms tout en sachant qu’ils s’appelaient en réalité « dramroads ». Si j’avais un peu réfléchi, j’aurais vu que c’était le mot « tram ». Le gallois pratique la mutation de la consonne initiale. En fait, toutes les langues le font, mais la plupart mettent des siècles pour cela, alors que le gallois le fait avant que vous ayez refermé la bouche. « Tram » devient « dram », bien sûr. Il y avait eu autrefois des trams qui roulaient sur ces « dramroads », des trams pleins de minerai de fer ou de charbon. Vides et jonchés de feuilles, fréquentés uniquement par les enfants et les fées, ils avaient jadis été de petites voies ferrées.
Ce n’est pas que nous ignorions l’histoire. Même en ne comptant que le monde réel, nous en savions plus que la plupart des gens. On nous avait appris les hommes des cavernes, les Normands et les Tudor. Nous connaissions les Grecs et les Romains. Nous savions des tas d’histoires sur la Seconde Guerre mondiale. Nous connaissions même beaucoup d’histoires de famille. Simplement, nous ne faisions pas le rapport avec le paysage. Et c’était le paysage qui nous formait, qui faisait de nous ce que nous étions, qui affectait tout. Nous pensions vivre dans un paysage de fantasy, alors qu’en fait nous vivions dans un décor de science-fiction. Dans notre ignorance, nous nous déplacions dans ce que les elfes et les géants nous avaient laissé, prenant les possessions des fées pour un titre de propriété. Je nommais les dramroads d’après des lieux du Seigneur des Anneaux quand j’aurais dû reconnaître qu’ils sortaient des Chrysalides.