Выбрать главу

Vendredi 1er février 1980

Miss Thackerly nous a passé un sacré savon pour avoir triché en maths. Deirdre et moi avions fait les mêmes erreurs. Elle nous a gardées après la classe et a dit qu’elle n’allait pas nous dénoncer cette fois, et qu’elle n’allait pas demander qui avait copié sur qui, mais que si jamais elle nous y reprenait nous nous exposions à un renvoi. Je ne savais pas que c’était si grave. Les filles copient tout le temps sur les brouillons les unes des autres. Deirdre a copié mes devoirs de latin de nombreuses fois, et tout le monde copie le français de Claudine. Je suppose que l’essentiel est de ne pas se faire prendre. J’ai promis à Miss Thackerly que nous ne le ferions plus – Deirdre était en larmes et pouvait à peine parler. Me faire renvoyer serait embêtant, mais pour elle ce serait la fin du monde.

Une lettre de Daniel, avec encore un billet de cinq. Je lui dirai que j’ai trouvé The Number of the Beast quand je lui écrirai. Ça commence bien.

Samedi 2 février 1980

J’ai presque regretté d’avoir une si grosse pile de livres qui m’attendaient à la bibliothèque, même si c’était bien sûr tous des choses que j’avais commandées. Greg était là et me les a tamponnés.

« Il y a un nouveau Heinlein, ai-je dit.

— The Number of the Beast, oui. Il est en tête de ma liste de commandes du mois d’avril.

— C’est injuste que les bibliothèques aient des budgets aussi limités », ai-je dit.

Il a grogné et pris les livres de la dame qui me suivait dans la queue. Mais je n’avais pas tort. On pourrait prendre tout l’argent dépensé à construire assez de bombes pour tuer tous les Russes de la Terre et le donner aux bibliothèques. Quel bien peut faire à la Grande-Bretagne une dissuasion nucléaire, auprès du bien des bibliothèques ? Quelqu’un s’était trompé dans ses priorités. Je ne suis pas vraiment communiste, même si on m’appelle Coco, mais je pense qu’il serait instructif de voir le budget des bibliothèques en Union soviétique.

Un soleil mouillé brillait quand j’ai descendu la colline. Je croyais être en avance à mon rendez-vous avec Wim, mais il était déjà là, assis à la table près de la vitrine, en train de manger un toast de pain brioché en buvant un café. Il a toujours l’air si à l’aise et détendu, je ne sais pas comment il fait. Il portait un col roulé bleu d’une nuance à peine plus foncée que ses yeux. J’étais consciente de porter, comme toujours, l’uniforme de l’école. On aurait dit un étudiant, presque un adulte, et moi j’étais là avec cette stupide jupe plissée et ce chapeau ridicule, l’air d’avoir douze ans. J’ai commandé et payé un thé et un gâteau au miel, comme toujours. J’avoue que j’ai hésité à commander quelque chose de plus sophistiqué, mais j’ai résisté à la tentation.

« Je suis surpris que tu sois venue », a-t-il dit tandis que je m’asseyais près de lui. Ses lèvres étaient grasses du beurre de son toast. J’aurais aimé les essuyer. Pendant que je passe en revue ce que j’aurais aimé faire, j’aurais aussi aimé toucher son pull pour voir s’il était aussi doux qu’il en avait l’air. Je n’ai pas souvent à réprimer ce genre d’impulsion.

« J’avais dit que je viendrais, ai-je répondu.

— Je pensais que Greg t’aurait prévenue à mon sujet.

— Alors c’est pour ça que tu l’as demandé devant tout le monde. Je n’avais pas compris pourquoi. » C’était sorti avant que j’aie pu me demander si c’était une bonne idée.

« Tu savais déjà ? Pour Ruthie et tout ça ?

— Janine me l’a dit, il y a des siècles, et Hugh aussi, mais lui plutôt plus gentiment. » La serveuse m’a apporté mon thé et mon gâteau.

« Hugh est un chic type, a-t-il dit en s’essuyant les lèvres avec sa serviette. Janine, elle, ne peut pas m’encadrer.

— Greg y a lui aussi fait allusion, en termes plus vagues.

— C’est l’ennui, avec les petites villes. Tout le monde sait, ou croit savoir, ce que fait tout le monde. Je suis impatient de secouer la poussière de mes souliers et je ne regarderai pas en arrière. » Il a porté les yeux de l’autre côté de la vitrine et remué son café sans le regarder.

« Tu comptes faire ça quand ? ai-je demandé.

— Pas avant d’avoir passé mes A Levels. En juin de l’année prochaine. Après, je demanderai une bourse et j’irai à l’université.

— Quelles matières prépares-tu ? » ai-je demandé. J’avais envie de manger mon gâteau, mais d’un autre côté je ne voulais pas avoir la bouche pleine. J’ai pris une toute petite bouchée.

« Physique, chimie et histoire, a-t-il dit. Tu ne croirais pas la panique que ça a été. C’est ridicule de n’étudier que trois matières et d’essayer de séparer l’art et la science.

— Je leur ai fait modifier tout leur emploi du temps pour pouvoir faire de la chimie et du français, ai-je dit. Pour les O Levels, en fait. Je les passe l’année prochaine. Chaque fois que nous avons un cours de français à l’heure du déjeuner la professeur me le reproche et s’excuse auprès des autres de la gêne que je cause à tout le monde. »

Wim a hoché la tête. « La lutte doit avoir été serrée.

— Je n’ai pas pu obtenir la même chose pour la biologie. Et Daniel, mon père, m’a soutenue. Et je pense qu’il paie pour ça.

— Mes parents s’en fichent pas mal.

— Je voudrais que nous ayons le même système éducatif que dans La Pierre des étoiles, ai-je dit. Le voilà, au fait. » Je l’ai sorti de sous les livres de la bibliothèque et le lui ai tendu. Il l’a tenu un moment à la main avant de le ranger dans la poche de son manteau. « Tu savais qu’un nouveau Heinlein est paru ? The Number of the Beast. Et il a emprunté l’idée d’un système éducatif où on étudie toutes sortes de choses et on ne s’inscrit et n’obtient son diplôme que quand on a assez d’unités en tout, et on peut toujours continuer à prendre des cours si on veut, mais il ne reconnaît nulle part ce qu’il doit à Zelazny. »

Wim a éclaté de rire. « C’est ce qui existe déjà en Amérique.

— Vraiment ? » J’avais la bouche pleine, mais je m’en fichais. Je me sentais gênée d’avoir été si stupide, mais aussi électrisée que ce soit vrai. « Ils font ça ? Ils le font vraiment ? Je veux aller à l’université là-bas.

— Tu ne peux pas te le permettre. Enfin, peut-être que toi tu peux, mais moi je ne pourrais jamais. Ça coûte des milliers de livres par semestre. Il faut être riche. C’est l’inconvénient. On peut obtenir une bourse quand on est brillant, mais sinon il faut emprunter. Qui me prêterait de l’argent ?

— N’importe qui. Ou, si c’est vrai, ils ont peut-être des universités où on peut aller gratuitement.

— Je ne pense pas.

— Imagine étudier un peu tout ce que tu veux », ai-je dit.

Nous avons gardé un moment le silence, plongés dans nos pensées. « Comment se fait-il que tu lises Heinlein ? a-t-il demandé. Je n’aurais pas pensé qu’il te plairait. Un fasciste comme lui. »

Je me suis étranglée. « Un fasciste ? Heinlein ? De quoi parles-tu ?

— Ses livres glorifient la loi et l’ordre. Oh, ses livres pour enfants, ça va, mais pense à Étoiles, garde-à-vous !

— Eh toi, pense à Révolte sur la Lune, ai-je répliqué. C’est une révolution contre l’autorité. Pense à Citoyen de la Galaxie. Il n’est pas fasciste ! Il défend la dignité humaine et l’indépendance, et des choses démodées comme la loyauté et le devoir, ce n’est pas être fasciste ! »