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Wim a levé une main pour m’arrêter. « Calme-toi. Je n’avais pas l’intention de déclencher une polémique. Simplement, je ne te voyais pas du genre à l’aimer, alors que tu aimes Delany, Zelazny et Le Guin.

— Je les aime tous, ai-je dit, déçue. Ce n’est pas exclusif, que je sache.

— Tu es vraiment bizarre, a-t-il dit en posant sa cuiller à café et me regardant avec intensité. Tu te préoccupes plus d’Heinlein que de l’histoire de Ruthie.

— Bien sûr que je m’en préoccupe », ai-je dit, puis je me suis sentie honteuse. « Ce que je veux dire, c’est que quoi qu’il se soit passé avec Ruthie, personne n’a prétendu que tu aurais agi délibérément pour la blesser. Vous avez été tous les deux stupides, et elle encore plus. Ça importe, en un sens, mais bon sang, Wim, sûrement que dans un sens plus général Robert A. Heinlein compte beaucoup plus, quelle que soit la façon dont tu le vois.

— Peut-être », a-t-il dit. Il a ri. J’ai vu la femme derrière le comptoir nous lancer un drôle de regard. « Je n’y avais pas pensé de cette façon. »

À mon tour, j’ai éclaté de rire. La femme derrière le comptoir et ce qu’elle pensait n’avait plus d’importance. « Vu depuis Alpha du Centaure, ou du point de vue de la postérité ?

— Ça aurait pu être la postérité, a-t-il dit plus sobrement. Si Ruthie avait été enceinte.

— Tu l’as vraiment laissée tomber parce que tu pensais qu’elle l’était ? » ai-je demandé. J’ai enfourné le dernier morceau de gâteau dans ma bouche.

« Non ! Je l’ai laissée tomber parce qu’elle l’a raconté à tout le monde avant de me le dire, si bien que le bruit courait partout et que je l’ai appris de quelqu’un d’autre. Elle est allée chez Boots et a acheté un test de grossesse. Elle l’a dit à sa mère. Elle l’a dit à ses amis. Elle aurait aussi bien pu s’acheter un mégaphone et s’installer sur la place du marché. Et puis elle n’était même pas enceinte, tout compte fait. Je l’ai laissée tomber à cause de ce que tu as dit, parce qu’elle est stupide. Stupide. Quelle idiote. » Il a secoué la tête. « Et alors le boycott a commencé. J’aurais aussi bien pu être pestiféré. Les gens semblaient penser que parce que j’avais couché avec elle je devais l’épouser et me lier à elle à jamais même s’il n’y avait pas de bébé.

— Pourquoi ne leur as-tu pas dit ça ?

— Le dire à qui ? À toute la ville ? À Janine ? Je ne pense pas. Ils ne m’auraient pas écouté, de toute façon. Ils pensent savoir quelque chose sur moi. Ils ne savent rien. » Son visage était dur.

« Mais tu as une petite amie maintenant », ai-je dit pour l’encourager.

Il a roulé des yeux. « Shirley ? En fait, je l’ai aussi laissée tomber. C’est une autre idiote, pas autant que Ruthie, mais pas loin. Elle travaille à la blanchisserie de l’école et elle sera très heureuse de continuer comme ça jusqu’à ce qu’elle se marie. Elle faisait un peu trop d’allusions au mariage, alors j’ai rompu avec elle.

— Ça va certainement s’arranger », ai-je dit, parce que je ne savais pas quoi dire.

« Ce serait différent avec une fille moins idiote », a-t-il dit en me regardant avec attention, et j’ai pensé qu’il voulait peut-être dire qu’il était intéressé, mais il ne pouvait pas l’être, pas Wim, pas par moi, et j’avais assez de mal à respirer.

« Allons voir si nous pouvons te trouver un elfe », ai-je dit.

Il a froncé les sourcils. « Écoute, ça va bien, a-t-il dit. Je sais que tu as dit ça seulement parce que… eh bien, je t’avais posé une question très bizarre et tu souffrais beaucoup sur cet engin et…

— Non, c’est réel. Je ne sais pas si tu pourras les voir, parce qu’il faut d’abord y croire, mais je pense que tu n’en es pas loin. Tu n’as pas les oreilles percées ni rien qui t’en empêcherait. Promets-moi simplement de ne pas te moquer ou m’en vouloir si tu ne vois rien.

— Je ne sais pas quoi penser, a-t-il dit en se levant. Écoute, Mori, tu m’aimes plutôt bien, non ?

— Oui », ai-je dit, prudemment, en restant à ma place. Il était loin au-dessus de moi, mais je ne voulais pas être maladroite en me relevant.

« Je t’aime plutôt bien, moi aussi », a-t-il dit.

Pendant un instant, je me suis sentie merveilleusement heureuse, puis je me suis souvenue de la magie du karass. J’avais triché. J’avais provoqué cette situation. Il ne m’aimait pas vraiment, enfin, peut-être qu’il m’aimait bien, mais c’était parce que la magie l’y avait poussé. Ça ne voulait pas dire qu’il ne pensait pas vraiment qu’il m’aimait bien maintenant, bien sûr, mais ça rendait les choses bien plus compliquées.

« Viens », ai-je dit, et je me suis levée laborieusement en enfilant mon manteau. Wim a mis son vieux duffle-coat marron et je l’ai suivi sur le trottoir.

Une Indienne avec un bébé dans une poussette sortait au même moment de la librairie. Elle portait un foulard sur la tête, ce qui m’a fait penser à Nasreen et je me suis demandé comment elle allait. Nous avons attendu qu’elle passe puis traversé la route vers la mare, où les colverts se pourchassaient.

« Tu ne veux pas en parler ? a demandé Wim.

— Je ne sais pas quoi dire. » Je ne voulais pas lui parler de la magie du karass, et je ne pouvais pas penser que c’était éthique si je l’avais accidentellement ensorcelé. C’était un peu grisant et un peu terrifiant, et ça donnait l’impression que la gravité n’était pas tout à fait aussi forte qu’avant, ou que quelqu’un avait diminué la pression d’oxygène ou je ne sais quoi.

« Je ne t’ai jamais vue à court de mots, a-t-il dit.

— Très peu de gens en ont eu l’occasion », ai-je répondu.

Il a ri et m’a suivie sous les arbres. « Cette histoire de magie, tu n’inventes pas ?

— Pourquoi le ferais-je ? » Je ne comprenais pas. « À vrai dire, je me suis juré de ne pas recourir à la magie sauf pour empêcher un mal, parce qu’il est si difficile d’en comprendre les conséquences. De toute façon, il est difficile de montrer la magie, parce qu’on peut toujours la contester. On peut dire que ce serait arrivé de toute façon. Et en ce qui concerne les, euh, les elfes » – je ne voulais pas dire les fées, ça faisait trop naïf – « tout le monde ne peut pas les voir, pas tout le temps. Tu as besoin de croire d’abord qu’ils sont là, avant de le pouvoir.

— Tu ne peux pas me donner un charme pour que je puisse les voir ? Ou m’apprendre leurs noms ? Je ne suis pas comme cet idiot de Thomas Covenant, tu sais.

— Un charme, c’est une bonne idée. » Je lui ai tendu ma pierre de poche et il l’a frottée entre ses doigts. « Ça devrait aider. » Ça ne l’aiderait pas exactement à voir les fées, car je l’avais placée sous une protection générale, et une protection spécifique contre ma mère, mais si Wim pensait que c’était efficace, ça pouvait marcher. « Je n’ai pas lu les histoires de Covenant. J’ai vu les livres, mais on les comparait à Tolkien sur la couverture, ça ne m’a pas donné envie de les lire.

— L’auteur n’est pas responsable de ce que l’éditeur met sur la couverture. Thomas Covenant est un lépreux qui erre tristement au sein d’un monde de fantasy dans lequel la plupart d’entre nous donneraient leur bras droit pour être transportés, mais qui refuse de croire que quoi que ce soit est réel.

— Si c’est écrit du point de vue d’un lépreux dépressif qui n’y croit pas, je suis contente de ne pas l’avoir lu ! »

Il a ri. « Il y a quelques géants qui valent le coup. Et c’est un monde de fantasy, à moins qu’il soit fou, ce qu’il pense être, on ne peut pas le savoir. »