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« Comment est-elle morte ? a-t-il redemandé tandis que nous nous asseyions.

— Ce n’est pas l’endroit.

— Le bois n’était pas l’endroit et ici non plus ? » a demandé Wim. Il a posé sa main sur ma main, sur la table. J’ai eu le souffle coupé. « Raconte-moi.

— C’était un accident de voiture. Mais en fait c’était ma mère. Ma mère essayait de faire quelque chose, une invocation magique pour acquérir du pouvoir, s’emparer du monde, je pense. Les fées l’ont su et nous ont dit quoi faire pour l’arrêter. Elle a essayé de nous en empêcher en se servant de choses qui n’étaient pas réelles, de choses qui venaient vers nous. Il nous fallait continuer. Je pensais que nous allions toutes les deux mourir, mais ça en aurait valu la peine pour l’arrêter. C’était ce que les fées avaient dit et nous y étions prêtes toutes les deux. Il y avait tous ces objets qui étaient magiques, qui étaient des illusions. J’ai pensé que c’était ça, quand j’ai vu les phares, mais c’était une vraie voiture.

— Seigneur, c’est affreux pour le conducteur, a dit Wim.

— Je ne sais pas ce qu’il a vu, ni ce qu’il a pensé. Je n’étais pas en état de le lui demander.

— Mais vous l’avez arrêtée ? Ta mère ?

— Nous l’avons arrêtée. Mais Mor a été tuée. »

La serveuse nous a interrompus en posant sur la table du café noir dans des tasses rouges. L’une d’elles avait débordé dans la soucoupe sur les paquets de sucre. Wim a payé avant que je réagisse.

« Et qu’est-il arrivé ensuite ? »

Je ne pouvais pas lui parler, bien sûr, de ces affreuses journées après que Mor avait été tuée, les marques sur le côté de son visage, les jours où elle était dans le coma, la fois où ma mère avait débranché la machine, et après quand j’avais commencé à me faire passer pour elle et que personne ne m’avait contredite, même si j’étais sûre que tante Teg n’avait pas été dupe, et probablement Grampar non plus. Nous étions peut-être identiques, mais nous étions quand même deux personnes différentes.

« Mon grand-père a eu une attaque », ai-je dit, parce que, si insupportable que cela soit, c’était la seule chose supportable à dire ensuite. « C’est moi qui l’ai trouvé. On a dit que c’était une “flèche d’elfe”. Je ne sais pas si elle était responsable. »

J’ai goûté mon café. C’était horrible, encore plus mauvais que le café instantané, si c’est possible. En même temps, je voyais que je pouvais m’y habituer, si j’essayais très fort. Je ne suis pas sûre que ça en vaudrait l’effort. Après tout, ce n’est pas comme si c’était bon pour la santé.

« Que vas-tu donc faire à son sujet ? a demandé Wim.

— Je ne crois pas que j’aie besoin de faire quoi que ce soit. Nous l’avons arrêtée. Sa dernière chance était Halloween.

— Pas si ta sœur n’est pas allée sous la colline comme elle était censée le faire. Pas si elle est encore là. Elle pourrait utiliser ça. Tu dois faire quelque chose pour l’arrêter vraiment. Il faut la tuer.

— Je pense que ça serait mal », ai-je dit. Les autres filles de l’école se levaient toutes et j’ai compris qu’il devait être l’heure du bus.

« Je sais que c’est ta mère.

— Ça n’a rien à voir. Personne ne peut la haïr plus que moi. Mais je pense que la tuer serait une mauvaise action. Je sens que c’est mal. Je pourrais en parler avec les fées, mais si ça avait pu aider, je crois qu’elles me l’auraient déjà dit. Tu n’y penses pas de la bonne façon, tu fais comme si c’était une histoire.

— Mais c’est si bizarre…

— Il faut que j’y aille, je vais manquer le bus. » Je me suis levé, laissant le reste de mon café.

Il a bu le sien d’une gorgée. « Quand est-ce qu’on se revoit ?

— Mardi, comme toujours. Pour Zelazny. » J’ai souri. J’avais hâte d’y être.

« Bien sûr. Mais tout seuls ?

— Samedi prochain. » J’ai enfilé mon manteau. « C’est le seul moment possible. »

Nous avons commencé à quitter le café. « On ne te laisse jamais sortir ?

— Non. Pratiquement jamais.

— C’est comme une prison.

— Ça l’est, dans un sens. » Nous sommes descendus vers l’arrêt du bus. « Eh bien, à mardi », ai-je dit en arrivant à l’arrêt. Le bus était là et les filles y montaient toutes. Et puis… non, je dois le mettre tout seul sur sa ligne.

C’est là qu’il m’a embrassée.

Mardi 5 février 1980

Il m’a fallu jusqu’à aujourd’hui pour raconter tout ce qui s’est passé samedi.

Je ne suis pas sûre d’aimer vraiment The Number of the Beast. Il y a beaucoup de choses bien dedans, mais l’intrigue et les univers partent trop dans tous les sens. Je n’ai jamais lu Le Monde fantastique d’Oz ou Le Cycle du Fulgur, et je ne sais pas trop ce qu’ils viennent faire là.

En dehors de ça, il y a eu un moment d’intense excitation quand toutes les filles qui étaient dans le bus ont voulu tout savoir sur mon « petit ami », où je l’ai rencontré, d’où il vient, ce qu’il fait, et cætera, et cætera. Certaines qui nous avaient vus au café le connaissaient de réputation et m’ont mise en garde contre lui – quoi, un garçon de dix-sept ans qui a couché avec sa petite amie, quelle horreur ! Elles font preuve d’un curieux mélange de puritanisme et de lubricité. Les filles qui ont de petits amis locaux disent qu’il n’y a rien de sérieux entre eux, et les autres ont ce qu’elles appellent des petits amis sérieux chez elles. Ce qu’elles veulent dire par « sérieux », c’est simplement ce que Jane Austen aurait qualifié de « bon parti », un garçon du même milieu que l’on peut épouser. Elles s’encanaillent avec les garçons du coin et ceux-ci ne sont pas dupes. C’est immonde, elles sont immondes, tout ça est immonde et je ne veux pas mettre Wim dans le même panier.

La vraie différence est que nous ne sommes pas de milieux différents. Wim et moi sommes du même milieu et souhaitons aller à l’université. Je ne sais pas ce que fait son père, mais que sa mère travaille à la cuisine de l’hôpital alors que je vais à l’école ici est sans importance. Enfin, peut-être pas sans importance, mais hors sujet. De toute façon, je ne suis pas sûre que Wim soit mon petit ami, et même s’il l’est, ce n’est pas du tout ce dont elles parlent avec leur « sérieux » et « pas sérieux ». Je n’ai que quinze ans. Je ne suis pas sûre de vouloir jamais me marier. Je ne fais pas des folies en attendant et je ne cherche pas non plus à « bâtir quelque chose de solide ». Ce que je veux est beaucoup plus compliqué. Je veux quelqu’un avec qui parler de livres, quelqu’un qui serait mon ami, et pourquoi ne pourrions-nous pas faire l’amour si nous en avons envie ? (Et utiliser la contraception.) Je n’attends pas le « grand amour ». Lord Peter et Harriet me semblent un bon modèle. Je me demande si Wim a lu Dorothy Sayers ?

Mais c’est presque sans importance, parce qu’il y a aussi l’aspect éthique de la magie. Je devrais probablement lui dire, et alors il me haïrait, qui ne le ferait pas ?

J’ai demandé à l’infirmière de me prendre rendez-vous avec un docteur. Elle ne m’a pas demandé pourquoi.

Mercredi 6 février 1980

Discussion sur Zelazny, hier soir. Wim pense que c’est le plus grand styliste de tous les temps. Brian pense que le style n’est rien à côté des idées, et les idées de Zelazny sont banales, à part l’Ombre. C’est drôle comme les gens étaient partagés sur ce plan. Je crois que si nous avions voté pour savoir si c’est le style ou seulement les idées qui comptent, le résultat n’aurait pas été le même que si nous nous étions demandé si Zelazny avait de bonnes idées. Je pense qu’il en a, et je pense que les deux comptent, mais ça ne veut pas dire que la trilogie de Fondation ou les livres de Clarke sont nuls parce qu’ils n’ont pas de style. Zelazny peut faire preuve de virtuosité stylistique pure – je ne peux pas oublier Royaumes d’Ombre et de Lumière, qui m’a presque dégoûtée définitivement de lui. Mais en général il conserve l’équilibre.