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L’acupuncture s’est encore bien passée. L’acupuncteur a dit que la traction pourrait bien avoir fait quelque violence (c’est le terme qu’il a utilisé) à ma jambe et été une erreur. J’aurais employé un mot beaucoup plus fort qu’« erreur », mais je suppose que c’est parce que c’est ma jambe et, pour lui, juste n’importe quelle jambe. J’ai regardé le tableau pendant tout le temps que je passai sur la table, mémorisant où étaient les points et à quoi ils correspondaient. Ça pourrait être vraiment utile à savoir. Une simple pression pourrait aider. Quand les aiguilles sont en place, je sens la magie – le « chi » – se déplacer en douceur autour de mon corps avec un petit saut comme une étincelle à l’endroit de la douleur. Je vais essayer sans aiguilles et voir si je peux la faire partir. Le plus simple serait de la transférer dans quelque chose, un petit caillou ou un morceau de métal, mais alors quiconque le ramasserait risquerait d’en souffrir. L’acupuncture se contente de l’évacuer. Tant mieux, si je peux y arriver.

Après je suis descendue – plus vite que je n’avais monté – rejoindre Wim où je l’avais laissé. Je me suis assise en face de lui. La machine à café a lâché un panache de vapeur parfumée au café. « Allons ailleurs, a-t-il dit. J’en ai assez de cet endroit. »

Quand nous avons été dehors, il a retrouvé de l’entrain. Il m’a pris la main, c’était agréable, mais ça aurait été encore mieux s’il m’avait laissé une main libre. Nous sommes passés au rayon livres, sans rien trouver, mais ça faisait plaisir de regarder des livres ensemble. Il est beaucoup plus difficile que moi, et en plus il aime des auteurs que je n’aime pas, comme Dick. Il méprise Niven (!) et n’aime pas Piper (comment peut-on ne pas adorer H. Beam Piper ?). Il n’a jamais lu Zenna Henderson, et bien sûr il n’y en avait aucun. J’en emprunterai à Daniel pour les lui prêter.

Après ça, j’ai insisté pour l’inviter à manger, bien que ce fût déjà le milieu de l’après-midi. J’étais morte de faim. Nous avons trouvé un fish and chips avec quelques tables. Nous nous sommes assis et nous avons mangé des fish and chips avec du pain et du beurre. Mon thé était très mauvais, si infusé qu’il était orange foncé, et Wim a commandé un Vinto, en faisant remarquer qu’il n’en avait pas bu depuis l’âge de huit ans. Ça l’a fait sourire. Il m’a aussi caressé le dos de la main, ce qui était plus agréable que se tenir la main en marchant, et beaucoup plus confortable. Ça m’a donné des frissons partout.

Il y avait peu de monde, aussi quand nous avons eu fini de manger nous avons commandé un autre Vinto et une limonade – le thé était trop mauvais même pour faire semblant de le boire. Nous sommes restés assis au chaud et au sec pendant que nos manteaux séchaient doucement sur le dossier de nos chaises. Nous avons parlé de Tolkien. Il l’a comparé à Donaldson, et aussi à un livre, L’Épée de Shannara, que je n’ai pas lu, mais qui a l’air d’un plagiat complètement nul. Puis, petit à petit, nous en sommes venus à parler des elfes. « Ça pourrait être des fantômes, a-t-il dit.

— Les morts ne peuvent pas parler. Quand je l’ai vue, Mor ne pouvait pas parler. » J’ai réussi à dire son nom parfaitement normalement, sans même un tremblement.

« Peut-être pas quand ils sont morts de fraîche date. J’ai réfléchi à ça. Quand ils viennent de mourir, ils ne peuvent pas parler, et ils ont gardé leur apparence. Et on peut les faire parler en utilisant du sang comme dans Virgile, c’est ça ? Plus tard, ils tirent la vie des choses vivantes, plantes et animaux, et ils deviennent plus comme eux, moins comme des gens, et avec cette vie ils peuvent parler.

— Ils ne parlent pas vraiment comme des gens, même morts, ai-je dit. Ce que tu dis se tient, et ça irait parfaitement dans une histoire, mais je ne pense pas que ce soit exact.

— Ça expliquerait pourquoi ils aiment les ruines, a-t-il dit. J’y suis retourné après, samedi dernier. J’ai pu plus ou moins les apercevoir, du coin de l’œil, quand je touchais ta pierre. » Il a porté la main à sa poche en la mentionnant. J’aimais l’idée qu’il gardait sur lui quelque chose que j’avais eu si longtemps. En fait, ça ne ferait rien d’autre que le protéger de ma mère – mais ça ne pouvait pas être une mauvaise chose.

« Tu devrais être capable de les voir, ai-je dit. Il y en a partout.

— Ce sont des fantômes. Tu crois simplement que ce sont des elfes.

— Je ne sais pas ce qu’ils sont, et je ne sais pas si c’est vraiment important.

— Tu ne veux pas le découvrir ? » a-t-il demandé, l’œil brillant. C’est l’esprit de la science-fiction.

« Si », ai-je répondu, mais je n’en avais pas vraiment envie. Ils sont ce qu’ils sont, c’est tout.

« Alors, tu penses qu’ils ont à voir avec quoi ?

— Les lieux, ai-je dit avec assurance. Ils ne bougent pas tellement. Glor… mon ami a eu recours à la magie pour me faire descendre en Galles du Sud à Halloween, il n’est pas venu ici me parler.

— Alors, c’est comme les fantômes, ils restent à l’endroit d’où ils viennent. »

J’ai secoué la tête.

« Tu m’apprendras la magie ? » a-t-il soudain demandé.

J’ai sursauté. « Je ne pense vraiment pas que ce soit une bonne idée.

— Pourquoi donc ?

— Parce que c’est trop dangereux. Si tu ne sais pas ce que tu fais, et je ne veux pas dire toi, mais n’importe qui, quelqu’un qui n’en sait pas assez… il est extrêmement difficile de ne pas faire de choses qui te dépassent sans s’en rendre compte. » C’était l’occasion idéale de lui parler de l’invocation du karass, et je le savais, mais une fois au pied du mur, je n’en avais plus envie. « C’est comme George Orr dans L’Autre Côté du rêve, mais avec la magie, pas avec les rêves.

— Tu as déjà fait ce genre de chose ? » a-t-il demandé.

J’ai donc dû lui dire. « Tu ne vas pas aimer ça. Mais j’étais très seule et désespérée. Je faisais une protection magique contre ma mère, parce qu’elle n’arrêtait pas de m’envoyer tout le temps des terribles cauchemars. Et tant que j’y étais, j’ai fait une invocation pour me trouver un karass. »

Il m’a regardée sans comprendre. « Qu’est-ce que c’est, un karass ?

— Tu n’as pas lu Vonnegut ? Eh bien, tu vas l’aimer, je pense. Commence par Le Berceau du chat. Bref, un karass est un groupe de gens qui sont authentiquement interconnectés. Et le contraire est un granfalloon, un groupe qui a une fausse sorte de connexion, comme de fréquenter la même école. J’ai eu recours à la magie pour me trouver des amis. »

Il a eu un mouvement de recul, renversant presque sa chaise. « Et tu crois que ça a marché ?

— Le lendemain, Greg m’invitait au club de lecture. » J’ai laissé ma phrase en suspens pendant qu’il en tirait les conséquences.

« Mais nous nous rencontrions déjà depuis des mois. Tu nous as juste trouvés.

— Je l’espère. Mais je n’en savais rien avant. Je n’avais jamais vu aucune trace de vous. »

Je l’ai regardé. Un beau garçon comme ça, en chemise rouge à carreaux, qui lisait, réfléchissait et parlait de livres, c’était plus rare qu’une licorne. Quelle partie de sa vie avait été affectée par ma magie, pour le transformer ? Existait-il même avant ? Il n’y avait pas moyen de le savoir. Il était ici maintenant, j’y étais, c’était tout.

« Mais j’étais là, a-t-il dit. J’allais aux réunions. Je sais que j’étais là. J’étais à la Seacon de Brighton l’été dernier.