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Puis j’ai dû les laisser ensemble. Ils ont dit qu’ils passeraient me chercher après la séance. Je n’avais jamais éprouvé une telle appréhension avant une séance d’acupuncture, pas même la première fois quand j’avais peur des aiguilles. J’essayais juste de reprendre mentalement mon souffle quand je me suis trouvée sur la table, je ne me concentrais pas sur le diagramme, ni sur quoi que ce soit. Ça n’a pas semblé me faire autant de bien que les autres fois, ou bien j’allais mieux en entrant et je n’avais pas remarqué la différence. Ils m’attendaient quand je suis ressortie, tous deux appuyés contre le mur. À côté de Wim, Daniel avait l’air vieux et fatigué. Quand je suis arrivée près d’eux ils parlaient des souvenirs de Wim à la Seacon de Brighton et de ses espoirs pour l’Albacon de Glasgow. « Je voudrais pouvoir y aller, dit Daniel.

— Pourquoi n’y allez-vous pas ? » a demandé Wim.

Daniel a simplement haussé les épaules, l’air abattu.

Nous sommes allés au restaurant chinois, où nous avons mangé pratiquement les mêmes choses que la dernière fois, Wim et moi nous débattant avec les baguettes, en parlant de Silverberg, et de tout ce dont il avait été question le mardi précédent, au cours de la soirée Pavane. Daniel avait tout lu, sauf Futur intérieur. Je pouvais voir que Wim et lui étaient mutuellement impressionnés, ce que je trouvais merveilleux, et très bizarre. Quand Daniel est allé aux toilettes, Wim m’a pris la main. « J’aime bien ton père, a-t-il dit.

— Tant mieux.

— Tu as tellement de chance.

— Oui, je pourrais en avoir beaucoup moins », ai-je dit. La plupart des gens penseraient que Daniel ne vaut pas grand-chose comme père, mais on peut trouver bien pire. Puis je me suis rappelé la dernière fois que Wim avait dit ça et de quoi nous parlions alors. « Oh, c’est super, et il a dit qu’il financerait mes études jusqu’à la fin. Mais il n’a pas lu…»

Wim a éclaté de rire juste au moment où Daniel revenait, nous avons donc dû lui expliquer. Par chance, il a aussi trouvé que c’était drôle.

Le biscuit divinatoire de Wim disait : « On vous a fait un cadeau », celui de Daniel : « La fortune sourit aux audacieux », et le mien : « C’est le moment d’être heureux. »

Puis Daniel nous a raccompagnés. Il a demandé à Wim où il voulait être déposé et Wim a répondu n’importe où sur la route d’Arlinghurst, aussi l’a-t-il laissé près du rond-point. Je suis descendue pendant qu’ils sortaient le vélo du coffre et ai osé demander à Wim son numéro de téléphone. « Je pourrai t’appeler la semaine prochaine, quand je serai en vacances, lui ai-je dit. Et ça aurait aussi été utile cet après-midi.

— Non, ça n’aurait servi à rien, je suis venu directement de mon travail », a-t-il dit. Mais il me l’a donné et Daniel l’a noté aussi. Daniel a ensuite donné à Wim sa carte en échange. Wim m’a serrée dans ses bras et nous nous sommes embrassés, très convenablement, puis Daniel m’a ramenée à l’école à temps pour l’étude du soir.

Vendredi 15 février 1980

Les parents de Sharon sont passés la prendre la première, comme d’habitude. Il y a tout un tas d’avantages à être juif, si vous voulez mon avis. Mais il y a aussi un tas d’obligations à respecter. Il faut que je pense à demander à Sam ce qui se passe quand on enfreint les règles.

Mais Daniel est arrivé parmi les premiers parents ordinaires. « J’ai bien aimé ton jeune ami, a-t-il dit pendant que je montais en voiture.

— Il t’a bien aimé aussi, ai-je dit en bouclant ma ceinture.

— Je me suis dit que tu pourrais l’inviter à prendre le thé demain, au Vieux Manoir. S’il vient en train à Shrewsbury, nous pouvons l’y retrouver. Vous pourriez aller faire une promenade tous les deux et puis nous pourrions prendre le thé. »

Daniel avait l’air si hésitant et si plein d’espoir que je ne pouvais pas vraiment dire non. Je savais aussi que Wim serait d’accord. Il aimerait voir le Vieux Manoir et il aimerait voir les tantes, parce qu’il savait qu’elles avaient un rapport avec la magie. Il n’aurait pas peur d’elles, parce qu’il n’a peur de rien. Moi aussi, je voulais voir Wim, bien entendu, même dans des conditions moins qu’idéales. « Génial, ai-je dit. Mais tu as demandé à tes sœurs ?

— C’est Anthea qui l’a suggéré.

— J’aurais cru qu’elles désapprouveraient que je voie un garçon de la ville, ai-je dit.

— Eh bien…» Daniel a hésité. « Elles ont dit que de leur temps ça ne se faisait pas, mais je suis sûr qu’elles changeront d’avis quand elles auront rencontré Wim et auront vu comme il est intelligent et a de la conversation. »

Avoir de la conversation c’est le code pour de classe moyenne, au passage. J’ai découvert ça depuis que je suis à Arlinghurst. Quelqu’un a dit un jour que le système britannique de classes sociales était caractérisé par le langage. Wim a l’accent du Shropshire mais il manie correctement la grammaire. Il a l’air d’une personne éduquée. Il n’est pas vaniteux et prétentieux comme les filles de l’école, mais je suppose que je suis contente qu’il ait suffisamment de conversation aux yeux de Daniel. Tout cela est si stupide !

J’ai dîné avec eux tous et dû répondre à un tas de questions sur l’école et sur Wim et encore sur l’école. J’ai fait la Gentille Nièce du mieux que j’ai pu. Tout s’est passé sans anicroche. Il n’a pas été question de perçage d’oreilles.

Après le dîner, j’ai appelé Wim. Quelqu’un, sa mère, je suppose, a répondu, mais me l’a passé rapidement. J’étais soulagée qu’il soit là. Il aurait très bien pu aller à la discothèque avec Shirley. « Qu’est-ce que tu fais demain ? ai-je demandé.

— Pourquoi ?

— Daniel se demandait si tu aimerais venir ici pour le thé. Tu pourrais venir en train à Shrewsbury et nous t’y retrouverons.

— Je croyais que tu allais en Galles du Sud ? » Il avait l’air très loin.

« Pas avant dimanche, ai-je dit. Mais ce n’est pas grave si tu ne veux pas venir. Tu travailles le samedi, non ?

— Oui, mais uniquement le matin.

— Eh bien, à toi de décider. » Je ne voulais pas le forcer.

« Est-ce que je te verrai ? a-t-il demandé. Seul à seul, je veux dire. »

Merci, merci. « Daniel a dit que nous pourrions aller faire une promenade. Et la plus grande partie du temps on me laisse seule.

— Comment dois-je m’habiller, pour prendre le thé dans un manoir ? »

C’était si gentil de se préoccuper de ça. « Viens comme tu es, ça ira très très bien. Ce n’est pas un dîner en habit.

— Les sœurs seront-elles là ? a-t-il demandé.

— Absolument.

— Quel honneur ! a-t-il dit d’un ton plein d’ironie.

— Bon, à demain. Au train d’une heure ?

— C’est ça, à demain. »

Après avoir raccroché, j’ai erré de pièce en pièce, solitaire et glacée. Daniel buvait dans son bureau et les sœurs regardaient la télévision au salon. Le fait de savoir que j’allais le voir le lendemain rendait les choses presque pires que si je ne devais pas le voir d’une semaine, ce à quoi je m’étais préparée.