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Gustave Paturel soupira. Il attrapa son téléphone avec impatience :

— Sarah ? C’est Paturel. Faites-moi venir le légiste tout de suite. Tant pis s’il n’a pas fini. On a besoin de lui !

Quelques longues minutes silencieuses s’écoulèrent avant que l’on ne frappe à la porte.

— Entrez !

Jean-François Lanchec, le médecin légiste, arborait une épaisse chevelure grisonnante, dans un désordre qui laissait supposer un réveil agité.

— Salut Jean-François, s’excusa le commissaire. Désolé de t’avoir bousculé, mais on a besoin de détails. L’heure de la mort, l’heure de la brûlure, si le cadavre a été déplacé…

Pour un chirurgien, Lanchec avait d’étonnants gestes brusques. Comme un papillon de nuit jeté dans la lumière. Paturel remarqua qu’il n’avait pas l’air naturel, comme s’il était confronté à un phénomène qui le dépassait.

Lanchec commença, bafouillant un peu :

— Je… Je commence par le plus simple. L’heure du crime. La victime a été frappée par un objet tranchant, en plein cœur, sans doute un poignard. La mort a été immédiate, il n’y a aucun doute là-dessus.

— Et l’heure de la mort ?

Il hésita. Le légiste était blême.

— Un peu plus de deux heures du matin, finit-il par murmurer. Mais il y a un problème. Enfin, on verra cela après… Parce que…

Paturel regarda avec une extrême lassitude les murs sales de la pièce.

Quel merdier ! Quel nouveau problème Lanchec avait-il bien pu découvrir ? Il l’aida :

— O.K. Continue Jean-François…

— Mungaray n’a pas pu être tué sur le quai de Rouen. Il a été transporté après. On a retrouvé trop peu de sang sous le corps, sur les quais. Il a forcément été tué ailleurs.

— Et la brûlure ? demanda Stepanu, impatient. Avant ou après la mort ?

Lanchec se passa la main dans ses cheveux fous :

— Après la mort… Sans aucun doute. Le jeune Mungaray était déjà mort lorsqu’on l’a marqué comme une bête.

Le commissaire Paturel souffla de soulagement. Le jeune Mexicain n’avait pas été torturé ! Dans le même temps, cela éliminait également l’hypothèse du branding, du rite sadomasochiste…

— Et le reste ? demanda sèchement l’inspectrice Cadinot. Des empreintes ? Des cheveux ? Quoi que ce soit qui permette d’identifier l’assassin ?

Lanchec semblait déstabilisé par cet interrogatoire en règle.

— Non, non, bafouilla-t-il encore. Rien pour l’instant. Mais j’ai suivi les ordres, la plupart des échantillons sont déjà partis à Paris pour les tests ADN et le reste… Mais…

— Mais ? essaya de l’aider Paturel.

— Mais… j’ai un autre problème. Un problème bien plus grave. Je n’y comprends…

— Allez-y, Lanchec, coupa Colette Cadinot. On n’a pas que ça à faire !

Paturel soupira.

— O.K., O.K., fit le légiste. Voilà. La mort remonte à deux heures du matin. A un quart d’heure près. Tout concorde. Le coup porté était incontestablement mortel. Je n’ai aucun doute là-dessus… Le problème, c’est qu’ensuite, plus rien ne coïncide…

Les regards des quatre policiers se braquèrent sur le légiste :

— Qu’est-ce que tu entends par là ? demanda avec une angoisse non dissimulée le commissaire. Qu’est ce qui ne coïncide plus ?

— C’est incompréhensible, continua le légiste en faisant des gestes de plus en plus amples. Vous possédez des rudiments de médecine légale, vous connaissez les principales règles de datation de la mort d’un cadavre ? J’ai tout analysé, dans les règles de l’art. La température anale, qui diminue d’environ d’un degré par heure, la température tympanique, qui diminue elle d’un degré et demi par heure, les transsudations du sang au niveau des parties déclives, ce qu’on appelle aussi les lividités, la couleur des plaies…

Le légiste semblait avoir besoin de se raccrocher à son jargon professionnel pour se rassurer. Il continua :

— Les rigidités aussi, bien sûr. Elles apparaissent normalement au bout de deux heures. J’ai tout testé, même le vieux test du potassium dans l’humeur vitrée de l’œil. J’en étais à la putréfaction lorsque vous m’avez appelé. L’examen des bactéries dans la flore intestinale, la fameuse tache verte abdominale au niveau de la fosse iliaque… Une fois le cadavre ouvert, j’en ai profité également pour en faire une rapide inspection entomologique. La première des sept escouades de larves qui pondent dans les cadavres, les diptères, arrive normalement quelques heures à peine après la mort.

Le commissaire Paturel regretta son troisième croissant. Il réfréna une remontée de bile et coupa le légiste.

— D’accord Jean-François. On a compris la méthode, passe les détails. Dis-nous précisément ce qui cloche, maintenant.

Lanchec ouvrit des yeux de fou :

— Ce type, ce Mexicain, s’est pris un couteau en plein cœur à deux heures du matin. Son cœur s’est arrêté de battre à ce moment-là. Il a perdu tout son sang dans les minutes qui ont suivi. Aucun doute n’est possible. Et pourtant, si je me fie à tous les tests de datation cadavérique, absolument tous, il était encore vivant trois heures plus tard !

10. Au son du cor

9 h 15, 15, rue Eau-de-Robec

Assise à la terrasse du bar Le son du cor, Maline hésita à commander à nouveau un café. Après le Red Bull et le café chez son rédacteur en chef, elle allait finir par se transformer en pile électrique. Pourtant, lorsque le serveur du bar vint prendre sa commande, elle s’entendit tout de même réclamer, presque malgré elle, un expresso.

Il fallait bien qu’elle tienne le coup.

La rue Eau-de-Robec, sous le soleil du matin, se réveillait. Toutes les générations s’y mélangeaient. Les magasins branchés des maisons à colombages colorés commençaient à ouvrir leurs volets. Quelques enfants s’amusaient avec le courant de la petite rivière canalisée. Sur une table voisine, des clients avaient entamé une partie d’échecs. A deux pas de sa terrasse, le petit terrain de pétanque était déjà lui aussi occupé par les habitués.

Maline laissa le soleil naissant chauffer ses bras et ses jambes, s’abandonnant quelques instants, la tête en arrière, les yeux fermés.

Un pur bonheur.

Le serveur qui lui apportait son café la tira de sa torpeur. Le regard goguenard d’un joueur de boules édenté lui donna l’impression que celui-ci n’avait rien perdu, pendant sa micro-sieste, du spectacle de son début de bronzage. « Vieux coquin », sourit Maline.

Elle devait se rendre ce matin chez cet Olivier Levasseur, à l’hôtel de Bourgtheroulde. Christian Decultot avait su aiguiser sa curiosité. En attendant, elle devait passer quelques coups de téléphone importants. Elle sortit son portable.

Elle étouffa un juron. Son père lui avait déjà laissé un nouveau message. Toujours ces cousins de Bourgogne. C’était du harcèlement ! De rage, elle supprima le message. Elle fit défiler les numéros enregistrés et s’arrêta sur la lettre B.

Sarah Berneval.

Sarah Berneval décrocha après quelques sonneries.

— Sarah ? c’est Maline !

— Maline ? j’étais certaine que tu allais m’appeler !

Maline entendit son interlocutrice s’envoler dans un rire cristallin.

— Attends Maline, bouge pas, je sors pour être tranquille.

Sarah était une amie d’enfance de Maline, une copine de collège, une fidèle. Depuis, leurs routes avaient bifurqué. Sarah s’était mariée avec un anesthésiste bien coté sur la place rouennaise, mais sans doute par peur de l’ennui, avait toujours conservé son travail de secrétaire… directement auprès du commissaire divisionnaire de Brisout-de-Barneville. Elle avait vu plusieurs commissaires défiler. Tous s’accordaient à considérer que Sarah était une perle. Serviable, ordonnée, et surtout, compétence suprême, Sarah savait prendre des initiatives ! Y compris certaines initiatives qu’aucun commissaire n’avait jamais soupçonnées, comme aider à la progression de certaines enquêtes en divulguant des informations à des oreilles discrètes qui pouvaient en faire bon usage. A son amie d’enfance par exemple, Maline Abruzze, en qui elle avait toute confiance, souvent bien plus confiance, pour faire avancer les affaires criminelles, qu’en sa hiérarchie débordée au commissariat.