— Alors ? demanda Maline. C’est le coup de feu à Brisout ?
— Tu peux le dire ! En plus, le commissaire est dans la merde. Non seulement il a un crime à la con sur le dos, la pression de toute l’administration de la région, mais en plus, il doit s’occuper de ses gosses !
Sarah était une bavarde invétérée. Maline savait qu’elle devait supporter les dernières informations sur les affaires matrimoniales du commissaire Paturel avant d’aborder la question du crime.
— Donc, continua la secrétaire, pour mon Gustave, toute cette affaire tombe très mal. Depuis son divorce, c’est sa femme qui a la garde de ses deux gosses, Léa et Hugo. Sauf que début juillet, elle lui a dit qu’elle se cassait aux Maldives sans les gosses. Lui, il a dit oui pour la garde, il était même plutôt content, il s’attendait à se la couler douce en juillet, genre sorties en Pédalo et barbe à papa sur l’Armada. Il avait tout programmé, prévu de finir tôt pour aller les chercher au centre aéré ! Tu parles, maintenant, il est dans la panade, le pauvre divisionnaire. Il va découvrir ce que c’est que la double peine des working girls !
Elle éclata de rire et reprit :
— Bon je suppose que tout ça, tu t’en fous. T’as tort remarque. Gala se vend beaucoup mieux que Le SeinoMarin. Tu veux tout savoir sur le fameux meurtre du Mexicain, je suppose ? T’as du bol, ma chérie, je suis justement en train de taper les notes de mon commissaire adoré.
Quelques minutes plus tard, Maline connaissait tous les détails de l’enquête. Elle savait qu’elle ne pouvait pas s’en servir directement pour un article :elle aurait compromis Sarah et se serait sans doute exposée à des poursuites judiciaires.
Le cumul d’informations toutes aussi surprenantes les unes que les autres avait profondément troublé Maline. Le corps déplacé, les tatouages, la marque au fer rouge, la messagerie sur le téléphone, le SMS en espagnol.
Ce SMS en espagnol, surtout, intriguait Maline.
« Sé que me espera. »
Curieusement.
Maline avait l’impression d’avoir déjà entendu cette phrase. Quelque part… Dans un contexte qui n’avait rien à voir avec une déclaration d’amour. Mais dans l’instant, sa mémoire était trop encombrée. Elle renonça à chercher davantage.
Elle se leva en perturbant, d’un regard enjôleur, son admirateur édenté qui était en train de pointer. Tout en s’éloignant, elle était certaine qu’il n’allait pas pouvoir s’empêcher de jeter un œil en coin en direction de sa jupette qui flottait, et qu’il en raterait à coup sûr son tir.
Maline ne put s’empêcher de sourire toute seule.
Direction l’hôtel de Bourgtheroulde !
Les touristes commençaient à envahir les rues de Rouen, les magasins ouvraient, la vie reprenait. Maline attrapa son lecteur MP3 et enfonça les oreillettes. Elle activa le mode random, pour écouter aléatoirement les disques enregistrés, Cali, Léonard Cohen, les Clash, Raphaël…
Moins de dix minutes plus tard, elle parvint place de la Pucelle. Elle la traversa sans ralentir et passa sous le porche Renaissance pour entrer dans la cour intérieure de l’hôtel de Bourgtheroulde. Des gravats, des sacs de ciment, quelques échafaudages indiquaient que l’édifice était toujours en travaux. Mais visiblement, le chantier avait été stoppé pendant l’Armada. Maline connaissait ses classiques. Elle admira la célèbre galerie d’Aumale, le fameux bas-relief de la cour intérieure représentant l’entrevue du Camp du Drap d’Or…
Un panneau discret « Association de l’Armada. Relations Presse », indiquait la direction de l’aile nord du bâtiment. Maline gravit les marches, non sans jeter un coup d’œil aux salamandres et phénix gravés sur les façades. Elle monta jusqu’au second étage, admirant encore le charme incomparable du mélange de pierres de taille et de boiseries. Parvenue à l’étage, elle longea la galerie et se retrouva face à une épaisse porte en chêne. Une impeccable plaque de cuivre certifiait qu’elle ne s’était pas égarée : « Association de l’Armada. Relations Presse ». Elle leva un lourd anneau de fer forgé qui servait à cogner sur la porte.
Rien.
Elle recommença l’opération. Malgré l’épaisseur de la porte, cette fois-ci, elle entendit du bruit à l’intérieur.
Des pas pressés. La lourde porte s’ouvrit sur Olivier Levasseur.
Le choc fut soudain. Puis le vertige.
Maline sentit ses sens s’affoler.
11. Caméras cachées
9 h 31, commissariat de Rouen, 9, rue Brisout-de-Barneville
Les bras de Lanchec retombèrent d’un coup, ballants. Comme ceux d’un pantin sans fils. Aucun des trois inspecteurs dans la pièce n’osa prendre la parole. Le commissaire dut se résoudre à se lancer, à contrecœur.
A nouveau, il sentait le bas de son dos se glacer.
— Tu… Tu es certain de ton coup, Jean-François ?
Le médecin légiste regarda le commissaire avec un air désolé :
— Certain Gustave. Comme je te l’ai dit. Je peux refaire toutes les analyses dix fois si tu veux, je trouverai la même chose ! Le cœur de ce type s’est arrêté de battre à deux heures du matin, et son corps n’a commencé à donner des signes de mort, à se putréfier, se raidir, que trois heures plus tard.
— Et il peut y avoir une explication rationnelle ? s’aventura timidement l’inspectrice Cadinot. Cela s’est déjà vu, un tel cas de figure ?
Lanchec prit une expression mystérieuse et agita à nouveau ses bras comme des ailes de moulin :
— Je vais réfléchir. Il y a forcément une explication, c’est sûr. Je vais me renseigner… Appeler des collègues. Ça fait à peine deux heures que l’on m’a apporté le corps.
Le commissaire Paturel sentit que le médecin légiste avait une idée derrière la tête, mais qu’il n’en dirait rien tant qu’il ne l’aurait pas vérifiée. Sans doute une hypothèse de pure folie. Comme toute cette affaire qui glissait à une vitesse vertigineuse dans un précipice d’irrationalité, sans que le commissaire ne puisse rien maîtriser. Tout allait trop vite. Rien n’avait de sens. Il lui fallait arrêter cet infernal enchaînement d’événements incompréhensibles. Comment ?
— O.K. Jean-François. Tu peux retourner au labo.
La « salle grise » apparut soudain sinistre au commissaire. Comment d’un quartier général aussi miteux pouvait bien naître une quelconque solution, une quelconque protection pour les millions de visiteurs de l’Armada ? Le commissaire avait l’impression que quelque chose de terrible se tramait dans l’ombre, comme un complot gigantesque, et qu’il allait être absolument incapable de lui opérer la moindre résistance. Il ne comprenait rien.
La voix de l’inspectrice Cadinot le tira de son vertige.
— Gustave ! on y va ? Tu lèves la réunion ?