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Le commissaire Paturel hésita. Face à lui, l’inspecteur stagiaire Mezenguel leva la main.

— Oui Jérémy ?

— Une idée comme ça. Vous y avez sûrement déjà pensé. Je suppose qu’il y a des caméras de surveillance sur l’Armada.

Le commissaire se tapa le front et le sourire satisfait de ce jeune inspecteur, un peu trop cow-boy à son goût, ajouta encore à sa rage. Avec toutes ces emmerdes accumulées, il n’avait même pas eu le temps de penser aux caméras de surveillance ! Il y en avait une dizaine installées sur les quais, sur les deux rives. Bien entendu, il fallait les visionner. Visionner chaque minute de dix caméras qui avaient tourné toute la nuit, si l’on ne voulait rien laisser au hasard. Un nouveau casse-tête allait se poser. Celui du manque de flics disponibles ! En tous les cas, cette idée des caméras lui avait redonné un espoir. Les caméras pourraient parler… Du moins si l’assassin n’était pas un fantôme…

— Colette, ordonna le commissaire. Tu te débrouilles pour me trouver au moins trois agents disponibles et tu me les colles en priorité devant les films de la nuit dernière de toutes les caméras de surveillance fixées sur l’Armada…

— Mais, protesta l’inspectrice. Où veux-tu que…

— Tu rappelles des collègues en congé ! Plutôt que de se mater des DVD dans leur canapé, ils vont se taper « Une nuit sur les quais ».

Mezenguel esquissa un sourire. Il fut le seul.

On frappa à la porte. Sarah Berneval entra.

«Aucun répit», soupira Paturel pour lui-même.

— Excusez-moi commissaire. Le laboratoire m’a demandé de vous porter ça.

Elle tendit au commissaire un téléphone portable. Paturel reconnut celui de Mungaray.

— A ce qu’ils m’ont dit, commenta Sarah, il a reçu un nouveau message, provenant du même numéro que ce matin.

— Merci Sarah.

La porte se referma sur la secrétaire. Le commissaire attrapa le téléphone du mort les doigts trempés de sueur. Il lut sur l’écran, puis répéta à voix haute, dans un accent incertain :

— No puedo permanecer lejos ti más mucho tiempo.

Un silence assez long s’ensuivit.

Stepanu, qui n’avait rien dit depuis longtemps, parla le premier.

— Mezenguel, vous pouvez nous traduire ça ?

L’inspecteur stagiaire se racla la gorge sans élégance :

— Plus ou moins. Ça doit vouloir dire quelque chose comme « tu es loin de moi depuis trop longtemps ». A mon avis, sur ce coup-là, il n’y a pas de quoi paniquer. Il s’agit juste d’une de ses poules qui ne sait pas encore que Mungaray est mort…

Le commissaire était plutôt d’accord. En face du monceau d’énigmes auquel il devait s’attaquer, ce SMS d’une amoureuse pouvait apparaître comme parfaitement anodin.

Il se trompait sur toute la ligne, pourtant !

12. Hôtel particulier

9 h 47, hôtel de Bourgtheroulde

Maline baissa les yeux et tenta de reprendre ses esprits.

La beauté de cet homme lui avait coupé le souffle.

L’étalon face à elle était torse nu, la taille simplement enserrée dans une grande serviette éponge blanche. Une peau caramel. Un corps musclé, tendu, de mannequin sur papier glacé.

A l’occasion d’un sourire radieux, Olivier Levasseur afficha sa dentition d’albâtre. Il tendit une main ferme et se présenta :

— Olivier Levasseur. Je suppose que vous êtes Maline Abruzze ? Votre rédacteur en chef m’a appelé tout à l’heure. Mais je ne vous attendais pas aussi tôt…

« Mon cul ! », pensa Maline.

Cette sortie de douche lui apparaissait comme un coup parfaitement préparé. Qu’est-ce que Christian Decultot avait bien pu raconter sur elle à cette gravure de mode ?

Olivier Levasseur laissa entrer Maline. Ses cheveux un peu trop longs, entre noirs et presque gris, se terminaient en gouttelettes dans la gouttière de son dos brun taillé en V. Il se retourna et fixa Maline. Il savait ce qu’il faisait.

Deux yeux verts, très clairs, légèrement bridés se posèrent sur elle. Maline se sentit traversée par un rayon laser. Elle détestait cette sensation d’impuissance. Cet homme l’avait prise par surprise, il l’avait déstabilisée. Au jeu de la séduction, elle détestait ne pas définir les règles.

La voix profonde et sensuelle allait avec le reste :

— Vous m’attendez quelques instants, mademoiselle Abruzze ? Le temps que je m’habille. Vous pouvez vous servir un rafraîchissement. Faites comme chez vous !

Olivier Levasseur disparut comme par magie dans une chambre voisine du salon.

De quel coin du monde pouvait-il bien sortir ?

Des yeux presque asiatiques, une peau presque africaine, le reste européen, un patronyme et un français impeccable… Elle observa au mur le poster d’un volcan en éruption. Bien entendu ! C’était évident, il était réunionnais ! Cette petite île de l’océan Indien au carrefour des trois continents. Un atelier réputé de métissage…

«Faites comme chez vous», avait-il dit.

Elle ne se gêna pas et inspecta.

Le salon était immense. Aux murs, outre le volcan, étaient accrochés des posters classiques des plus beaux voiliers du monde, presque tous ceux actuellement à quai à Rouen : l’Amerigo Vespuci, le Christian Radich, le Dar Mlodziezy, le Dewaruci, le Mir, le Statsraad Lehmkuhl… et bien entendu le Cuauhtémoc.

Le grand salon se trouvait divisé en plusieurs sous-espaces. Une grande table rectangulaire en verre était entourée de fauteuils design, et encombrée de diverses plaquettes de l’Armada, de publicités, de dossiers en diverses langues, de revues prestigieuses du monde entier, avec toujours, en couverture, des voiliers. La table servait sans doute pour les réunions professionnelles.

Dans un angle, un coin salon — avec deux canapés indiens, quelques tentures exotiques, une table basse et un petit bar — devait être utilisé pour des réceptions plus officieuses. Dans le fond du salon, tout un mur était consacré à une immense bibliothèque et à un vaste écran plasma de télévision. Sur une étagère plus longue, trois ordinateurs portables dernier cri.

« L’homme moderne », pensa Maline amusée. Sports extrêmes et informatique. Verre et velours. Cuir et plasma. Le monde à ses pieds...

« Frime ou pas frime ? » se demanda Maline, malgré tout charmée par le contraste des genres.

La porte s’ouvrit et Olivier Levasseur entra. Il avait enfilé la panoplie complète « Blanc du Nil ». Une petite fortune de lin. Classe et décontraction. Un pantalon ample et une chemise ouverte sur la poitrine garantissaient un contraste très étudié de couleurs, de matières et de grains.

Levasseur s’avança. Pieds nus.

— Vous n’avez rien pris à boire ? s’étonna-t-il. Il lui lança un sourire carnassier digne de Georges Clooney. Je vous sers un café ?

L’occasion était trop belle. Maline ne put s’empêcher de lui répondre en essayant de conserver son sérieux :

— What else ?

Olivier Levasseur comprit l’allusion et éclata de rire de toutes ses dents blanches, bien entendu.

— Touché, mademoiselle Abruzze. Excellent, vraiment. Asseyez-vous…

Maline s’enfonça dans un canapé profond du salon, pendant que Levasseur apportait deux cafés et s’asseyait juste en face d’elle.

Encore un café, pensa Maline.