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Sarah laissa à regret le commissaire continuer seul. Gustave Paturel entra en trombe dans la salle vidéo et dévisagea les deux policiers en civil. Les inspecteurs Mezenguel, Cadinot et Stepanu étaient déjà dans la salle, un peu en retrait. Visiblement, ils venaient d’arriver eux aussi.

— Qui a visionné la bande ?

Raynald Marsac leva une main timide.

— O.K. Bon boulot. Montre-moi ça.

Marsac attrapa une télécommande et stoppa la bande au moment voulu.

Paturel s’avança, détailla le visage et serra le poing :

— Nom de Dieu… C’est bien lui… Nicolas Neufville !

Chacun attendit la réaction du commissaire. Elle ne vint pas. Il semblait abattu.

Jérémy Mezenguel coupa le premier le silence :

— Je vais peut-être dire une connerie… Mais c’est qui, ce Nicolas Neufville ?

Gustave Paturel s’effondra sur une chaise et répondit à l’inspecteur stagiaire d’une voix lasse :

— Normal. T’es pas d’ici. Nicolas Neufville est un homme d’affaires très connu par ici. Il possède plus d’une dizaine de succursales autos et motos sur le mont Riboudet et la route de Dieppe. Grosse fortune, comme on dit. Il est également en train de racheter un paquet de restaurants du centre-ville. Une pieuvre. Enfin, c’est un secret de polichinelle, il envisage de se lancer en politique. Tout le monde sait qu’il lorgne sur la mairie de Rouen… Et ce ne sont pas les appuis qui lui manquent… Alors tu vois, mon petit Jérémy, à l’échelle de notre agglo, Nicolas Neufville, c’est pas un petit poisson.

L’inspecteur stagiaire n’apprécia pas beaucoup de se faire appeler « mon petit Jérémy », mais continua néanmoins à mâcher au même rythme son chewing-gum.

— Quel rapport avec l’Armada ? marmonna-t-il au bout d’un moment. Il fait partie de l’organisation ?

— A priori, non, répondit le commissaire. Nicolas Neufville n’est pas trop du genre à faire du bénévolat dans une association, si vous voyez ce que je veux dire.

— Qu’est-ce qu’il foutait sur les quais, alors ?

Le commissaire prit le temps de la réflexion, puis continua :

— Nicolas Neufville doit savoir renifler à des kilomètres les plans pour se faire du fric. Et du fric, il y en a à se faire sur les quais de l’Armada, pas de doutes. Qu’il tape l’incruste autour d’une telle manifestation n’a rien d’étonnant. Reste à savoir ce qu’il trafique…

Un court silence s’installa dans la salle vidéo. Ovide Stepanu le rompit le premier.

— Sans vouloir jouer les…

Le regard du commissaire Paturel le fusilla. L’inspecteur Stepanu déglutit et bafouilla :

— Heu… Hum. Disons que… Bon… Ce coup-ci est dans la merde ! Si on enquête sur lui, ce type peut tous nous faire sauter…

Colette Cadinot se leva, énervée :

— Hé, doucement. Pas de panique ! Tout d’abord, qu’est-ce qu’on a contre Nicolas Neufville. Rien ! Il a bien le droit de se promener le soir sur les quais.

— C’est pas ça le problème Colette, expliqua calmement le commissaire Paturel. Bien sûr que ce jeune loup est encore présumé innocent. Mais il était présent sur le lieu supposé du crime. Au mauvais moment. Avec une attitude qui pourrait laisser penser qu’il ne voulait pas qu’on le reconnaisse. On n’a pas d’autre choix, Colette, si on veut bien faire notre boulot. Il nous faut enquêter sur ce type… C’est un témoin…

— C’est bien ce que je disais, répéta Stepanu. On est dans la merde ! Sans vouloir jouer les trouble-fêtes, si on s’approche de ce type, Gustave, dans la minute qui suit, tu auras toute ta hiérarchie sur le dos.

Le commissaire soupira. Il regarda à nouveau le visage fixe de Neufville sur l’écran de contrôle. Comme toujours, Stepanu était dans le vrai. Il finit par opiner :

— T’as peut-être bien raison, Ovide. C’est risqué de s’approcher de Neufville. Du moins, tant qu’on n’a pas la moindre preuve… Mais on ne m’empêchera pas de penser que ce type à quelque chose à se reprocher. On ne vient pas s’engueuler en catimini avec le capitaine d’un bateau-promenade, sur les quais, après deux heures du matin, si on n’a rien à se reprocher… Et je suis prêt à parier que cela a un rapport avec l’Armada…

Colette Cadinot s’approcha :

— Tu crois que le jeune Mungaray aurait pu être témoin de quelque chose qu’il n’aurait pas dû voir ?

— J’en sais rien, fit Paturel. J’espère surtout qu’on se trompe sur toute la ligne. En attendant, Ovide, tu vas aller m’enquêter discrètement sur le capitaine de ce bateau, le Surcouf, juste à côté du Cuauhtémoc. Après tout, ils étaient deux témoins.

Le commissaire se leva, avec une visible envie de vider son sac. Il interrogea à la cantonade :

— A part cela, rien de neuf ? Personne n’a encore trouvé pourquoi le cadavre de Mungaray s’est brusquement arrêté de pourrir ? Personne par hasard n’aurait ramassé un poignard ? Un tison du Marais Vernier ? Une blonde ? Toujours pas la queue d’un bout de puzzle qui s’emboîte ? Non ? Alors, allez, au boulot ! Et essayez de me ramener le plus rapidement possible un suspect autre que Neufville. N’importe qui, un inconnu, un ivrogne, une petite frappe, je m’en fous, du moment que ce soit quelqu’un qui ait tué pour une raison simple, de l’argent ou autre chose…

16. L’aigle qui tombe

17 h 01, quai Boisguilbert, Rouen

Olivier Levasseur s’était posté juste en face du Cuauhtémoc. Un peu en retrait de la foule compacte qui défilait. La plupart des femmes se retournaient vers lui, mais il ne le remarquait même plus. Il regarda sa montre. Maline Abruzze était en retard.

Il détestait attendre !

Il observa la file qui s’allongeait devant le Cuauhtémoc. Déjà plus d’une heure de queue pour avoir le privilège d’entrer sur le trois-mâts. Les gens prenaient leur mal en patience sans broncher : le jeu en valait la chandelle, le Cuauhtémoc était la vedette de l’Armada, le bateau le plus couru… Jusqu’à vingt mille visiteurs par jour…

Levasseur regarda à nouveau sa montre.

17 h 04.

Toujours pas de trace de journaliste à l’horizon. Il guettait : au loin, sur les quais, une image le fit sourire. Un ado à rollers slalomait entre les passants ! Il se fit la réflexion qu’il fallait être inconscient pour faire du roller au milieu d’une telle foule, ou bien être vraiment confiant en sa technique.

L’individu se rapprochait. Apparemment, l’ado maîtrisait son sujet. Levasseur écarquilla les yeux. Ce n’était pas un ado, c’était une fille ! La sportive se rapprocha encore. Elle était à moins de dix mètres quand Olivier Levasseur la reconnut.

Maline Abruzze  !

La journaliste avait mis le paquet. Mini-short en jean moulant, jambes fuselées, petit bustier épousant sa poitrine gonflée, nombril à l’air, cheveux tirés en queue-de-cheval agrandissant son front et ses yeux rieurs.

La belle s’arrêta à quelques centimètres de lui.

— J’ai fait ce que j’ai pu pour être là à temps. Mais c’est l’heure de pointe…

Perchée sur ses rollers, elle gagnait en taille plus de centimètres qu’avec des talons aiguilles. Elle arrivait presque à la hauteur de la bouche du beau Réunionnais. Cela lui donnait encore un peu plus d’assurance.

— Ce n’est pas grave, bredouilla Levasseur.

— Vous êtes sur votre 31, commenta amusée Maline en observant la tenue d’Olivier Levasseur.