Malgré la chaleur, il arborait une veste et un pantalon parfaitement coupés, des chaussures de marque. Le tout devait coûter une fortune.
— Je vous rappelle que je suis le chargé de relations presse de tout cet événement, répondit sérieusement Levasseur. Je viens tout juste d’abandonner mes Canadiens.
Maline leva des yeux pétillants :
— Je vous préférais dans une simple serviette !
Olivier Levasseur ne releva pas, presque gêné.
— Mademoiselle Abruzze, expliquez-moi comment vous comptez monter sur le Cuauhtémoc avec cette tenue ?
La journaliste se recula et leva une jambe impudique :
— C’est moderne, regardez. Les roues se retirent. Je les mets dans mon sac à dos et le tour est joué. Toutes les jeunes filles font ça maintenant…
— Je parlais de vos habits, pas des rollers…
— Ma tenue ? Vous n’aimez pas ?
Elle s’approcha d’Olivier et chuchota à quelques centimètres de sa bouche :
— En général, les hommes adorent ce genre de tenue, je suis sûre que les marins mexicains aussi. Généralement, ça les rend assez bavards… On y va ?
Olivier Levasseur se réfugia derrière un sourire ambigu, se contentant d’afficher ses dents blanches en signe de trêve. Trop facile ! Maline n’arrivait pas à détecter s’il était vraiment agacé ou s’il dissimulait son amusement. Le chargé de communication glissa quelques mots en espagnol au matelot de garde sur le pont. Un autre cadet partit en trombe prévenir le capitaine.
— Impressionnant, glissa Maline. Ils se mettent en quatre pour vous. Vous parlez combien de langues, Olivier ?
— Six. Enfin disons entre cinq et dix. Cinq très bien et dix à peu près.
— Et comment on décroche un tel poste ? Chargé de com en chef de l’Armada ?
Olivier Levasseur se redressa :
— Par des agences spécialisées de chasseurs de têtes. Vous avez compris, le job consiste à parler aux médias du monde entier. Depuis le 4 juillet, j’en suis à vingt-sept émissions de télé, dont dix-neuf étrangères… J’ai décroché le job devant trois cents autres candidats. Trois cents autres candidats comme moi, polyglottes avec une grosse expérience dans la marine. Vous savez ce qui a fait la différence, Maline ?
— Non…
Olivier Levasseur se pencha à son tour vers les lèvres de Maline :
— J’étais de très loin le plus sexy !
Maline se sentit à nouveau troublée. Cet enfoiré voulait reprendre le dessus !
Un cadet mexicain, sérieux comme un pape dans son uniforme bleu et blanc, la délivra. Il prononça des mots en espagnol qui devaient signifier quelque chose comme « le commandant va vous recevoir ».
Ils se hissèrent sur le pont, sous le regard passablement énervé des visiteurs piétinant dans la file d’attente depuis plus d’une heure.
Ils descendirent dans la cale par un escalier en acajou vernis. Maline n’avait jamais pris le temps, lors des Armadas précédentes, de visiter le bateau mexicain.
Le luxe intérieur la laissa sans voix.
Elle se retrouvait dans un univers de bois, un magnifique bois rouge, de l’acajou sans doute, mélangé à d’autres bois exotiques. L’éclairage jaune sur les parquets cirés, les lambris des murs, les larges tables et les chaises ouvragées, faisaient prendre aux pièces toutes les nuances orangées. Ils avancèrent dans un couloir. Maline ne put s’empêcher de laisser glisser sa main sur les poignées en cuivre étincelantes. Elle comprenait maintenant pourquoi on pouvait faire jusqu’à deux heures de queue pour pénétrer dans ces lieux.
D’après son sens de l’orientation, ils devaient se trouver à l’arrière du navire. Ils débouchèrent sur le carré, la vaste pièce de réception située à l’arrière des grands voiliers. Une nouvelle fois, la beauté de la pièce subjugua Maline. Une débauche d’acajou bicolore, du parquet au plafond. Au fond de la pièce, au-dessus d’un immense canapé en cuir noir, décoré de petits drapeaux mexicains, la lumière, filtrée de l’extérieur par les vitraux bleu turquoise, avait quelque chose d’irréel. Un aigle, aux ailes déployées, était représenté sur chaque vitrail.
Un aigle… Maline fit immédiatement le rapprochement. Le tatouage marqué au fer rouge sur l’épaule d’Aquilero. Comme tout le monde, elle avait pensé que l’aigle représentait Mungaray lui-même, à cause de son surnom, Aquilero. Mais l’aigle était également le symbole du Cuauhtémoc ! Elle regarda à nouveau les vitraux qui lui rappelèrent la figure de proue du Cuauhtémoc : le Dieu Cuauhtémoc, le corps nu, sculptural, peint à la feuille d’or… Et coiffé d’une tête d’aigle ! Elle se retourna. Dans un coin du carré, un imposant buste en bronze représentait Cuauhtémoc lui-même, le regard fier.
Olivier Levasseur suivit son regard admiratif :
— C’est Cuauhtémoc, expliqua-t-il. Le dernier empereur aztèque. Cuauhtémoc signifie en aztèque « aigle qui tombe ». A Mexico, en 1521, il résista soixante-quinze jours aux Espagnols. Cortès, avant de détruire définitivement la civilisation aztèque, le fit torturer pour lui faire avouer où il cachait son or, tous les trésors de son peuple. Cuauhtémoc reste pour le Mexique et toute l’Amérique latine le symbole suprême de la liberté.
Maline enregistrait les informations. Tout ceci avait forcément une signification.
Ils continuèrent à suivre le cadet mexicain, sans un mot, pour arriver dans le bureau du commandant. L’intérieur était tout aussi somptueux que le reste du voilier. Deux bibliothèques en acajou étaient séparées par un petit hublot rond. Le mobilier en cuivre semblait d’un autre âge : portemanteaux, baromètres, compas, téléphone… Le commandant était un petit homme aux traits sévères. L’uniforme bardé de galons impressionna Maline. En sentant le regard scrutateur du commandant sur sa chair nue, Maline regretta immédiatement sa petite comédie à rollers destinée à surprendre Levasseur.
Ils s’assirent.
Olivier Levasseur commença une courte conversation en espagnol puis se tourna vers Maline.
— Il est d’accord pour répondre à vos questions, même s’il dit qu’il a déjà tout raconté à la police. Il accepte le principe d’un article sur le jeune Mungaray, mais il demande à le lire avant qu’il soit publié. Apparemment la famille Mungaray est influente au Mexique. Et il tient à la réputation de son navire…
Maline acquiesça. Elle s’installa confortablement dans le fauteuil en cuir qui lui collait aux cuisses, tout en se disant qu’elle n’allait pas apprendre grand-chose de ce commandant qui devait pratiquer à merveille la langue de bois… d’acajou plus précisément.
Rosario Ayllón Torres astiquait les lampes en cuivre du carré du Cuauhtémoc tout en pensant à la fille qu’il avait vue passer avec ce grand mec en costume. Il avait entendu le commandant donner ses ordres. C’était une journaliste !
Tout à l’heure, c’étaient les flics qui étaient venus. Ils avaient interrogé tout le monde, fouillé la chambre d’Aquilero en mettant le bordel partout. Comme s’ils cherchaient de la drogue, ou quelque chose comme cela. De la drogue sur un bateau-école ! Qu’est-ce qu’ils croyaient ? Tout ça parce qu’ils étaient mexicains ? Cela mettait Rosario en rage.
Rosario attaqua une autre lampe. Ce flic avait une tête qui ne lui revenait pas, avec son chewing-gum dans la bouche et sa veste en cuir. A Mexico, dans son quartier de Nezahualcoyotl, on n’aimait pas trop ce genre de types qui se la jouaient à l’américaine. Surtout les flics.
Du bout des doigts, il joua avec le morceau de papier au fond de sa poche. Il hésitait. Il avait vraiment envie de faire quelque chose pour Aquilero. Il était son meilleur ami sur le Cuauhtémoc. Et quelqu’un l’avait buté, poignardé. Bien entendu, il devait faire quelque chose pour Aquilero. Mais parler aux flics, c’était hors de question ! Surtout au connard de tout à l’heure. Les flics ne comprendraient rien, de toutes les façons.