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Ramphastos allait forcément revenir au Libertalia, ce soir comme tous les soirs.

Bourré de fric, bourré tout court.

Daniel Lovichi serait là, lui aussi, et cette fois, il n’y aurait aucun témoin gênant pour se mettre entre ce vieil ivrogne et lui.

20. Cocktail sur la Bodega

19 h 25, pont de la Bodega sur Seine

Maline sentait tous les regards se poser sur elle. A cause de son cavalier, bien entendu. Mister Armada, et de loin, si on avait organisé une élection. Elle aurait rédigé l’article avec plaisir ! Les regards la suivaient vraisemblablement aussi à cause de sa robe. La dernière fois qu’elle avait dû l’enfiler, c’était pour danser à l’Ibiza, du temps où elle trouvait encore des copines pour sortir en boîte. Dans une autre vie, il y avait une éternité.

Coup de bol, elle rentrait encore dans la robe ! Elle n’avait pas eu le temps de l’essayer avant son numéro de strip-tease aux sanitaires de l’Armada… C’était quitte ou double ! Au moins, elle avait réussi à le bluffer, son chargé de relations presse.

Un partout, après le coup de la serviette de bain de ce matin. Elle avait trouvé adorable le petit air pudique qu’avait pris Olivier Levasseur.

Elle pensa qu’au lieu d’être là, parmi cette assistance guindée, elle aurait adoré se faire inviter en tête-à-tête dans un petit restaurant du vieux Rouen et tout découvrir de la vie de ce bel aventurier.

Chiche ?

Olivier Levasseur lâcha son bras et lui lança un sourire ravageur.

— Je vous laisse, Maline ? Je vais être très occupé ; c’est mon job. J’ai beaucoup de personnes à rencontrer… A tout à l’heure ? On va bien se croiser à nouveau sur le pont !

Il planta Maline.

A quoi s’attendait-elle ? Levasseur devait avoir de très lourdes responsabilités sur ses belles épaules musclées…

Sa robe la serrait de partout. Elle avait davantage l’impression d’être en maillot de bain qu’en robe de soirée. Rouge en plus. Quelqu’un allait bien finir par l’accoster et l’appeler « Pamela ».

Quelle conne ! En plus, elle détestait ces mondanités.

Elle se fraya un chemin jusqu’au buffet, attrapa une coupe de champagne et une poignée de petits-fours de chez Hardy. Elle n’allait pas se priver ! Elle jeta un coup d’œil circulaire. Olivier Levasseur était en train de parler avec un type en costume gris qu’elle connaissait trop bien.

Nicolas Neufville.

La cible favorite de Christian Decultot dans ses éditoriaux du SeinoMarin. Qu’est-ce qu’Olivier Levasseur pouvait bien raconter à cet homme d’affaires douteux ?

— Madame Abruzze !

La voix fit sursauter Maline. Elle se retourna. Un homme fripé, plutôt petit, d’une cinquantaine d’années, aux cheveux plus jaunes que blonds, lui tendit la main.

— Jean Malochet. Vice-président de l’association de l’Armada. Je suis un de vos admirateurs, madame Abruzze. J’adore vos articles !

Maline connaissait bien entendu Jean Malochet. Elle le connaissait surtout par son surnom : général Sudoku. Champion de Normandie de Sudoku, et accessoirement vice-président de l’association de l’Armada, à la tête d’une armée de plus de trois cents bénévoles permanents, et de plus de trois mille pendant les dix jours de l’Armada.

— Je voulais vous parler, madame Abruzze.

Une femme qui devait avoir au moins quatre-vingts ans, couverte de bijoux en toc, s’approcha à son tour :

— Jean n’osait pas venir. C’est moi qui l’ai poussé…

Maline identifia Jacqueline Malochet. Elle savait que le général Sudoku ne sortait jamais sans sa mère. Elle connaissait vaguement leur histoire. Sudoku avait été ingénieur à la Shell. Il y avait eu un incident sur un atelier et tout le système respiratoire de Sudoku avait été touché. On l’avait soigné, mis à la retraite anticipée, pensionné. Il n’avait pas quarante ans à l’époque ! Depuis, il vivait avec sa mère et occupait comme il pouvait son QI exceptionnel. Le SeinoMarin lui avait ouvert plusieurs fois ses pages sports et loisirs. Quintuple champion de Normandie de Scrabble, dont deux titres en double avec sa mère. Maline se souvenait qu’il avait également fait une carrière éclair au Backgammon. Mais depuis quelques années, il faisait partie de l’équipe de France de Sudoku !

— Je suis flattée, murmura Maline.

— C’est vrai. Mon fils aime beaucoup vos articles. Il dit qu’ils sont au-dessus du lot !

Maline rougit, mais pas tant que le général Sudoku. Maline s’étonnait qu’un tel vieux garçon, déconnecté du monde réel, puisse diriger plusieurs milliers de bénévoles. Sa curiosité de journaliste prit le dessus :

— Monsieur Malochet. Racontez-moi. Comment devient-on le principal chef d’orchestre de l’Armada ?

Sudoku devint écarlate.

— Je ne suis rien de tout cela, madame Abruzze. Il y a beaucoup de gens bien plus importants que moi sur l’Armada. Des élus, des partenaires qui amènent de l’argent… Moi, je donne juste un peu de mon temps. Vous savez ce que c’est. Il faut toujours un volontaire pour faire ce que les autres ne veulent pas faire. La paperasse et tout le reste. Je me contente de coordonner ce que je peux…

— Mon fils a toujours été trop modeste, coupa Jacqueline Malochet. C’est lui le véritable cerveau de l’Armada. Tout est là-dedans…

Elle montra du doigt le cerveau dégarni de son fils, sur lequel peinaient à pousser ses cheveux jaunis. Maline sourit. Elle avait vidé son verre de champagne. Jacqueline Malochet le remarqua :

— Jean, tu peux aller chercher une autre coupe de champagne à madame ? Tu m’en ramènes une aussi !

Le général Sudoku obéit sans broncher.

Pendant qu’il se rendait au buffet, Jacqueline glissa sur le ton de la confidence :

— Jean n’a pas le droit de boire d’alcool. Depuis son accident, il doit faire attention à tout ce qu’il boit et tout ce qu’il mange. Vous savez, en plus, il est veuf, depuis longtemps. Il n’a plus que moi dans la vie…

Le général Sudoku revint avec deux flûtes à la main.

— Et l’Armada, continua Maline. Comment êtes-vous tombé dedans ?

— Vous allez rire, fit Sudoku. Avant 1989, je m’occupais en faisant des maquettes de bateaux. Je les ai exposées lors de la première Armada, en 1989. Depuis ce film, Le dîner de cons, on a un peu honte d’avouer ce genre de passion !

Il se lança dans un rire qui ressemblait davantage à une toux malsaine. Jacqueline Malochet haussa les épaules en vidant sa flûte d’un trait. Maline en profita pour jeter un coup d’œil vers Olivier Levasseur. Il était encore en grande conversation avec cette crapule de Nicolas Neufville.

Sudoku continua :

— J’y suis entré à cause de ces maquettes. Ensuite, je suis monté en grade petit à petit. Vous savez ce que c’est, je levais la main quand il fallait un volontaire. On n’est jamais très nombreux à lever la main… Mais je m’arrête là, madame Abruzze, on n’est pas là pour parler de moi. Ce n’est pas pour cela que je vous ai dérangée. Ce que je voudrais, madame Abruzze, c’est que vous me fassiez un bel article sur les bénévoles de l’Armada.

Maline le regarda, intéressée. Sudoku enchaîna :

— Vous ne parlez pas assez des bénévoles, vous autres les journalistes ! Vous montrez les bateaux, les marins, tout ça, c’est normal. On est tous là pour ça. Mais tout le reste… Les paillettes, les concerts, les bateaux-promenades, le business, les sponsors, vous ne trouvez pas que vous en faites un peu trop ?