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— Mais tu me parles de quoi, là, Ovide ? Ce sont qui ces types qui signent ton truc, ta chasse-partie ?

— Bah… Des pirates !

— HEIN ?

— Des pirates je te dis ! La chasse-partie, c’est le contrat social des pirates. Ce sont les règles auxquelles les pirates acceptent de se soumettre ensemble...

Gustave Paturel se leva et alla se servir un autre whisky. Sans glace.

Tant pis.

— Tu me fais quoi, là, Ovide, avec ton histoire de pirates ? Je sais que tu as souvent des idées tordues. Mais là… C’est le Capitaine Crochet qui a poignardé le jeune Mungaray ?

— Ecoute-moi, Gustave. Je suis sérieux. Je ne te parle pas de la légende. Le drapeau à tête de mort, le bandeau, la jambe de bois… Je te parle de la véritable histoire. Tu es au courant tout de même que les pirates ont vraiment existé ?

— Mouais…

— Je te parle d’un fait historique, Gustave. Un fait historique qui s’est développé à partir du XVIIe siècle. Tu sais qui étaient les pirates, Gustave ?

— Vas-y…

— Il ne faut pas les confondre avec les corsaires, Gustave. Les corsaires étaient aux services des monarques, des fonctionnaires, des militaires, ils recevaient la lettre de marque du roi. Les pirates n’avaient rien à voir ! Ils étaient des types qui avaient fui toutes les hiérarchies, militaires, religieuses, sociales, et qui ont essayé pendant plus d’un siècle de construire une autre forme d’organisation basée sur l’égalité des membres. Les premières démocraties ! Même le capitaine était élu. S’il trahissait la chasse-partie, il était renversé… Les pirates ont inventé une nouvelle utopie ! Une utopie égalitaire. Ce ne sont pas leurs sabres qui ont fait trembler les royaumes, ce sont leurs valeurs. C’est pour cela que les monarchies, les empires, les républiques se sont unis pour les détruire. C’est pour cela qu’on a appris aux enfants les jambes de bois, les têtes balafrées et les tonneaux de rhum. Pour ridiculiser l’utopie. Pour tourner en dérision la subversion ! Le problème, Gustave, c’est que ce genre d’utopie ne meurt jamais complètement. Jette un coup d’œil sur le net, Gustave. Tu verras le nombre de sites consacrés aux pirates… Les vrais. Les anarchistes. Ceux qui veulent faire sauter le système !

Le commissaire Paturel trempa simplement ses lèvres dans le whisky. Ce connard d’inspecteur « Cassandre » était en train de lui foutre la frousse avec ses théories à la noix.

— O.K., Ovide. Revenons à notre affaire. Qu’est-ce qui te fait penser à une chasse-partie entre pirates modernes ?

— Gustave, ouvre les yeux ! On a près de dix mille marins du monde entier dans les rues de Rouen. Tous nourris aux histoires de pirates. Tous se racontant toute la nuit ces utopies égalitaires…

— Je ne te suis pas, là, Ovide. Ce ne sont pas des pirates, nos dix mille marins dans Rouen… J’ai compris la nuance. Ce sont surtout des militaires, encadrés par une solide hiérarchie.

— Je suis d’accord avec toi. Mettons que ce soit vrai pour 90% des matelots…. Même 99%. Même 99,9% si tu veux. Sur dix mille, ça nous laisse encore une dizaine de jeunes marins qui peuvent avoir derrière la tête l’idée de faire revivre l’utopie pirate. Les dix ou les cinq qui ont le dos tatoué… Mungaray avait trahi la chasse-partie. Il a été puni. La marque au fer rouge est une torture classique chez les pirates ! C’est une explication logique !

— Bon Dieu, qu’est-ce que Mungaray a bien pu faire pour trahir ton putain de contrat ? Il était consigné toute la semaine…

— Contrairement à ce qu’on pense souvent des pirates, la plupart des chasse-parties interdisaient le viol. Imagine que Mungaray ait voulu abuser de la fille blonde, dans un coin sombre, rue du Champ-de-Foire-aux-Boissons. Un autre membre de la chasse-partie le surveille. Mungaray a enfreint la règle. Il est marqué et exécuté !

Le commissaire reposa sur la table basse son verre de whisky. Cet abruti de Stepanu lui avait même coupé la soif ! Il n’allait tout de même pas se mettre à croire à ses élucubrations.

Il voulait en avoir le cœur net :

— Mettons que tu aies raison. A ton avis, ce serait quoi, au juste, le but de leur chasse-partie ?

— Tu vois que tu commences à me suivre ! Le grand principe de la piraterie a toujours été de bloquer les routes commerciales internationales. Aujourd’hui on pourrait facilement traduire cela par « foutre la merde dans la mondialisation ». Tu as dû entendre parler des pirates informatiques. Je ne te fais pas un dessin…

— O.K. Je te suis. Concrètement, Ovide, tu imagines quoi ?

— J’en sais rien… On peut tout imaginer. Ça va de marins qui profitent de l’Armada pour organiser une réunion clandestine de piraterie internationale.

— Une sorte de festival off qui aurait mal tourné…

— On peut dire ça comme ça… Difficile aussi de ne pas penser à une menace terroriste… Un coup d’éclat anarchiste contre la mondialisation… Au risque de paraître rabat-joie…

— Stop ! coupa le commissaire. N’en dis pas plus ! T’emballe pas Ovide. On n’en est pas là. C’est juste des suppositions. On est tous fatigués. Demain, tu m’envoies des clichés des tatouages à la DST. On ne sait jamais… Je te laisse maintenant, Ovide. Faut libérer la ligne…

— O.K. Bye.

Le commissaire alla lentement jeter son whisky dans l’évier de la cuisine. Ce putain d’inspecteur roumain n’avait pas son pareil pour vous mettre des idées à la con dans le crâne.

Un complot de pirates ? Comment annoncer ça au préfet !

Paturel rinça le verre puis but un peu d’eau. Le liquide avait un mauvais arrière-goût de whisky.

Il cracha dans l’évier.

Finalement, qu’est-ce qu’il préférait au juste ? Une secte de pirates terroristes ou un scandale financier dans lequel serait impliqué l’homme d’affaires Nicolas Neufville ? La peste ou le choléra ? Bon Dieu, pourvu qu’une troisième piste s’ouvre, rapidement. Un meurtre simple, pourquoi pas cette folle Espagnole maniaque des SMS ? Trouvez-moi un coupable, vite !

Un bruit de chasse d’eau à l’étage, suivi de pas rapides, le fit sursauter.

Bordel  !

En plus, les gosses ne dormaient toujours pas !

22. Le dernier pirate

22 h 16, pont de la Bodega en Seine

Le pont de la Bodega sur Seine était presque vide. Les serveurs commençaient à tout ranger. Vraisemblablement, le cocktail laisserait place dès le lendemain matin à un petit-déjeuner d’affaires. Maline savait que plus de mille réceptions officielles étaient organisées pendant l’Armada. Plus de cent par jour, tout ce qui pouvait flotter sur l’eau était pris d’assaut !

Cela pouvait se comprendre.

Maline observa le reflet des bateaux illuminés danser sur l’eau de la Seine.

Un spectacle unique, féerique !

Pendant les dix jours de l’Armada, le grand canal de Venise cédait à Rouen son rang de la plus belle voie nautique du monde.

Maline se retourna vers le pont et chercha une nouvelle fois des yeux Olivier Levasseur. Elle devait se résoudre à l’évidence : plus aucune trace de son beau Réunionnais. Il avait disparu avec la foule des autres V.I.P. Normal. Comme il disait si bien, c’était son job…

Maline essaya de se secouer. Elle avait son job, elle aussi. Elle n’avait pas encore terminé sa journée. Il lui restait une dernière petite visite à faire, dans ce bar dont lui avait parlé le général Sudoku, le Libertalia, à l’homme qui savait tout sur les légendes des marins. Ce fameux Ramphastos...

Maline trébucha en descendant de la Bodega. L’effet des trois coupes de champagne n’était pas encore tout à fait dissipé et elle retournait jouer les piliers de bar de nuit ! Elle n’avait jamais autant bu que depuis qu’elle était journaliste d’investigation pendant l’Armada.