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Elle se recula encore, elle pensa un instant à fuir. Mais fuir où ? Elle savait qu’à cette heure, les grilles du passage de l’ancien moulin étaient fermées. La ruelle se terminait en impasse.

Hurler, appeler à l’aide ?

Elle ne put réfléchir davantage. L’inconnu était déjà sur elle. Il attrapa son bras et Maline sentit une seconde fois la lame de l’arme blanche frôler sa gorge. De tout son instinct de survie, elle lança un coup de pied rageur vers le mastodonte.

Elle toucha le bas ventre.

Son agresseur jura, mais le coup ne sembla pas l’ébranler.

Ce n’était pas comme cela qu’elle allait s’en sortir ! Il faisait au moins le double de son poids. Il lui fallait trouver autre chose.

Son agresseur se redressa avec un air sadique de chat qui joue avec une souris. Elle avait au moins gagné quelques secondes. Quelques secondes pour quoi faire ? Elle fouilla instinctivement dans son sac. Qu’espérait-elle trouver ? Elle n’était pas du genre à se balader avec une bombe lacrymogène. Un calepin, un rouge à lèvres, un téléphone…  Vite ! Trouver une idée. L’autre arrivait. Elle attrapa le dernier objet dérisoire sur lequel ses doigts se posèrent et balança son sac devant elle.

Il tomba à plus d’un mètre de son agresseur.

Foutu !

Le type releva les yeux sur la journaliste, écarta le bras comme pour bien lui montrer l’arme avec laquelle il allait lui enlever la vie, dans quelques instants.

Maline essaya d’adopter la même attitude, le bras écarté.

Sauf qu’au bout de son bras, ce n’est pas un poignard qu’elle tenait.

Elle pointait sur son agresseur un stylo plume !

Plume en or, hyper résistante, du moins à ce que lui avait raconté son père.

En constatant la pitoyable arme de défense brandie par Maline, Daniel Lovichi ne put s’empêcher de marquer un petit temps d’arrêt et d’afficher un sourire béat. Immédiatement, Maline sentit la faille. La différence entre les deux armes rendait son agresseur trop confiant, inconsciemment, il allait baisser sa garde.

C’était sa chance. Il lui fallait la saisir.

Maline espéra que le taux d’alcoolémie dans son sang n’allait pas altérer ses réflexes. C’était le moment d’activer ses souvenirs. Elle n’était pas entrée dans une salle d’escrime depuis plus de dix ans, mais elle avait tout de même fréquenté les cercles pendant toute son adolescence. A l’époque, elle n’était pas dans les plus mauvaises. Une feinte de base lui revint immédiatement à l’esprit, la ballestra, celle qu’on apprend aux débutants. Avec un peu de chance, son agresseur n’avait jamais débuté.

Maline se mit en position de sixte, laissant son adversaire avancer d’un mètre. Son poignard brillait dans la nuit.

Maintenant !

Elle bondit alors sur le côté, mais comme le veut une ballestra réussie, au lieu de poser les deux pieds à terre en même temps, elle fit un appel sur son pied avant, frappant le plus fort possible le sol de son talon.

Comme prévu, Lovichi marqua une courte réaction de surprise. Sans réfléchir, Maline coupa sa trajectoire et porta l’estoc.

La plume en or du stylo s’enfonça dans la gorge de Daniel Lovichi.

Il poussa un hurlement de douleur et s’effondra.

Le sang jaillit.

Maline repoussa du pied le poignard, tombé au sol.

Elle savait que le coup n’était pas mortel, si les secours arrivaient vite. Elle savait également que son agresseur n’était pas près de se relever tout seul. Sans ménagement, elle lui fit comprendre, d’un coup de pied bien placé dans les côtes, qu’il n’avait pas intérêt à bouger.

Elle appela successivement les services d’urgence et la police, puis se pencha sur Ramphastos, qui avait perdu connaissance.

* * *

La première voiture de police déboucha dans la ruelle moins de dix minutes plus tard, en même temps que les secours. L’inspecteur stagiaire Jérémy Mezenguel bondit hors du véhicule accompagné de trois autres agents. Maline connaissait la plupart des flics de Brisout, mais pas celui-là.

Sans doute un nouveau !

Elle apprécia moyennement son allure de cow-boy désinvolte et son sourire ironique devant la scène.

Après un minutieux examen des blessures de Daniel Lovichi et de Ramphastos, Mezenguel s’avança vers Maline, les mains dans les poches de son jean serré. Il ne chercha même pas à rendre discret son regard appuyé sur la robe déchirée de Maline, qui devait offrir d’elle une image particulièrement impudique.

— Alors mademoiselle, on m’a dit que vous étiez journaliste. A ce que je vois, pour arrondir vos fins de mois, vous pratiquez la trachéotomie sans diplôme… Tss, tss.

Maline haussa les épaules, fatiguée.

Mezenguel lui posa quelques autres questions de routine, puis se pencha pour examiner le poignard de Daniel Lovichi, qui avait glissé près du caniveau.

— Touche pas à ça ! hurla une voix qui raisonna dans la ruelle.

Le commissaire Paturel, suivi d’une bonne dizaine d’agents en civil, pénétra à son tour dans la ruelle. Tous avaient les gestes mécaniques de types mal réveillés que l’on vient de tirer du lit.

— Laisse ce poignard tranquille, Jérémy ! continua le commissaire Paturel. A mon avis, cela pourrait bien être une pièce à conviction de premier choix. On ne va toucher à rien et laisser les scientifiques faire leur boulot.

Mezenguel se releva, vexé, mais n’osa pas répliquer au commissaire. Gustave Paturel se dirigea vers la journaliste :

— Mademoiselle Abruzze ! Toujours dans les bons coups à ce que je vois…

Maline Abruzze et le commissaire Gustave Paturel s’étaient souvent croisés, dans le passé. Une vieille complicité les unissait. Le commissaire, malgré l’heure tardive, afficha une mine réjouie :

— Si c’est pour me fournir clés en main le meurtrier du jeune Mungaray, mademoiselle Abruzze, je vous pardonne volontiers de m’avoir fait réveiller en pleine nuit, moi et mes enfants. La psychose va peut-être retomber, maintenant…

— Vous le connaissez ? demanda Maline en désignant son agresseur.

— Oooh oui… Daniel Lovichi est un client fidèle, comme on dit. Petit dealer et toxicomane. Sans domicile fixe… A part Bonne-Nouvelle, bien entendu, où il passe la moitié de son temps ! Mais c’est la première fois qu’il est mis en cause dans une affaire d’agression à main armée. Il va falloir m’expliquer ce que vous faites là, mademoiselle Abruzze…

Maline se sentait épuisée. Elle avait froid.

Le commissaire Paturel le sentit et la laissa récupérer. Il regarda les gyrophares tourner dans la ruelle, les scientifiques s’activer. Il respirait mieux maintenant. La chance avait tourné. Il le savait, d’expérience, il tenait son coupable idéal, son suspect à jeter en pâture à la presse, son meurtrier présumé pour rassurer le préfet et toutes les autorités. Une agression à l’arme blanche, en pleine nuit, n’était pas si fréquente. Lovichi avait le profil rêvé. Si en plus son poignard était celui qui avait servi à poignarder le jeune Mungaray, le commissaire Paturel se réjouissait à l’avance de pouvoir passer une fin d’Armada beaucoup moins stressante.

24. L’or de ma nuit

3 h 06, rue Saint-Romain

La police avait retenu Maline une petite heure, puis l’avait libérée. La légitime défense était évidente. Il était plus de trois heures du matin.

Elle rentra chez elle, enfin !

Maline sentait son crâne au bord de l’implosion, ses jambes se glacer ; elle avait failli vomir tout son rhum et son champagne en traversant à nouveau la rue des Chanoines, qui sentait plus l’urine encore la nuit que le matin. Maline monta les trois étages d’un pas las et pénétra dans son appartement. Elle fit glisser la robe rouge sur son corps fatigué, la lança en boule sur la pile de linge et se jeta sur le lit, nue.