Il faisait encore chaud sous les combles. Etouffant même. Elle avait bien fait de laisser la lucarne ouverte ce matin. Elle n’eut pas le courage de prendre une douche. Cela attendrait demain. Elle alluma la radio pour se bercer, les stations diffusaient de la musique en continu, sans publicité. Des vieux trucs.
Dormir !
Malgré elle, sa main glissa vers son sac et attrapa son portable. Quelle sale manie ! Il lui était devenu impossible de passer trois heures sans consulter ses messages, et plus encore de s’endormir sans le faire.
Ses doigts coururent sur les touches. Elle avait reçu trois messages depuis hier soir !
Le premier provenait une nouvelle fois de son père. Les cousins bourguignons, son anniversaire, son cadeau. Cela attendrait !
Le deuxième message la fit tressaillir. Il était bref. Deux mots, deux lettres : « Bonne nuit. O.L. »
Un délicieux frisson parcourut le corps nu de Maline.
O.L… Olivier Levasseur. Il avait pensé à elle !
Le mélange de fatigue, de tension qui tombe et de désir refoulé provoqua un frisson intense à l’intérieur de son bas ventre. Le bel Olivier avait pensé à elle ! A combien d’autres femmes envoyait-il un tel message avant de s’endormir ?
Peu importait, elle était sur sa liste !
Elle essaya de calmer son excitation naissante. Il fallait qu’elle dorme ! Elle se concentra sur le troisième message.
Sarah Berneval, la secrétaire du commissaire Paturel, indiquait à Maline qu’un troisième SMS avait été envoyé sur le téléphone portable de Mungaray, un troisième message en espagnol.
« Es el oro de la noche. »
Tu es l’or de la nuit…
Quelque part, une amoureuse continuait d’envoyer des messages de tendresse à un joli garçon… mort depuis hier !
Maline regarda les étoiles à travers la lucarne.
Quelle ironie !
Pourtant, une nouvelle fois, comme pour les autres messages espagnols, Maline eut l’impression qu’un souvenir cherchait à percer la surface de ses pensées fatiguées, comme si ces messages étaient liés entre eux, comme s’ils n’en formaient qu’un, comme s’ils renvoyaient tous vers une direction unique, une direction qui n’avait rien à voir avec des mots de tendresse.
Maline ressassa les messages dans sa tête. C’était quelque part inscrit dans son cerveau, elle en était certaine.
« Sé que me espera.»
« No puedo permanecer lejos ti más mucho tiempo. »
« Es el oro de la noche. »
Elle était trop fatiguée pour trouver la solution ce soir. Que cherchait-elle, de toutes les façons ? Ce Daniel Lovichi était sûrement le meurtrier. La police avait l’air assez sûre d’elle.
Maline sentit doucement ses pensées s’envoler, les images se brouiller, un demi-sommeil la gagner. Olivier Levasseur se tournait vers elle. Ils étaient ensemble, nus, dans le même lit, partiellement couverts de grands draps de soie.
Il lui murmurait tendrement à l’oreille : « Tu es l’or de ma nuit ».
Maline se retourna dans son lit, elle n’arrivait pas à trouver un vrai sommeil.
Elle avait déjà entendu ces paroles, toutes ces paroles en espagnol, il y avait très longtemps.
Elle torturait son pauvre cerveau fatigué. Elle avait cette sensation bizarre qu’il s’agissait d’un souvenir d’école primaire ! Quelque chose appris par cœur à l’école. Ça n’avait aucun sens.
Elle n’avait jamais entendu parler espagnol à l’école primaire.
25. Le trésor des Aztèques
3 h 17, quelque part dans l’agglomération rouennaise
L’homme ouvrit la porte.
— Alors ? demanda une voix féminine.
— Tout a parfaitement fonctionné ! répondit l’homme. Comme prévu. Ils ont récupéré l’arme du crime, ils ont le mobile, ils tiennent leur coupable. Cela va les occuper un certain temps, les empêcher de fouiner partout. Cela va rassurer les autres aussi, les rendre moins méfiants. L’agitation va retomber. Je vais être plus libre demain, on va pouvoir passer à la deuxième phase. Eliminer les autres témoins…
— Et… continua la voix féminine. Et cette journaliste, Maline Abruzze, tu en penses quoi, tu crois qu’elle représente un danger ?
L’homme répondit par un sourire amusé :
— Oh non… Aucun danger ! Elle est futée, tu as pu t’en rendre compte aujourd’hui, mais pourquoi est-ce qu’elle nous soupçonnerait ? Je crois même au contraire qu’elle a confiance en moi. Nous avons parlé ensemble comme deux vieux amis, aujourd’hui, non ? On se connaît maintenant ! Toi aussi. Comment pourrait-elle faire le lien entre nous et l’exécution de Mungaray ?
L’homme accentua encore son sourire et continua :
— Cette journaliste pourrait même nous être utile, demain, quand il s’agira de frapper à nouveau, d’appliquer la malédiction du jarl, d’attirer ces fous imprudents et de les tuer !
Devant un canapé de cuir blanc, un immense écran plasma était encastré dans le mur. L’homme s’installa.
— Repasse-le moi, s’il te plait. Encore une fois !
La main féminine ouvrit un tiroir sous la table du salon, face à eux. Des dizaines de DVD étaient soigneusement rangés, tous numérotés, datés et étiquetés d’une large écriture rouge. La main de la femme attrapa sans hésiter un DVD titré Trésor des Aztèques. 15 juin 1982. Elle plaça le disque dans le lecteur puis saisit une télécommande et la pointa. L’écran s’éclaira.
C’était un film amateur tourné dans un bateau. L’image n’était pas très nette et bougeait, comme si le film avait été réalisé à l’insu des protagonistes. On reconnaissait un méandre de la Seine. L’embarcation ressemblait à un petit bateau de pêche. Sur le pont, une trentaine d’enfants d’une dizaine d’années se tenaient serrés. Une femme plus âgée, emmitouflée, sans doute l’institutrice, surveillait les enfants avec une attention de mère poule.
Tous écoutaient parler un homme. Il arborait une barbe noire hirsute et une casquette de feutre bleue vissée sur la tête. Il était déjà assez corpulent.
On reconnaissait Pierre Poulizac, Ramphastos, jeune. La scène devait se dérouler dans le début des années 1980. La conférence nautique du conteur semblait subjuguer les enfants.
Ramphastos pointa le doigt :
— Le village que vous voyez là-bas, les enfants, c’est Vatteville-la-Rue. Un petit village de rien du tout. Même pas mille habitants ! Aujourd’hui, vous voyez, il est dans les terres. C’est parce que la Seine a bougé, depuis cinq cents ans. Mais il y a cinq cents ans, Vatteville était un port, un port important pour les marins du monde entier. Les enfants, avez-vous déjà entendu parler des Aztèques ?
Aucun enfant n’osa répondre. Ramphastos continua :
— Les Aztèques étaient les habitants du Mexique, avant que les Espagnols ne débarquent. Pendant deux mille ans, ils ont construit une des plus riches civilisations de l’histoire. Les enfants, si aujourd’hui, vous mangez du maïs, des pommes de terre, des tomates, du chocolat, des cacahuètes… c’est grâce à eux, grâce à leurs inventions dans l’agriculture ! Pourtant, un seul homme, un Espagnol, Hernán Cortès, avec quelques hommes, a détruit en moins de dix ans tout ce qui les Aztèques avaient mis deux mille ans à construire.