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— Pourquoi ? demanda une voix timide.

— A cause des trésors fabuleux qu’avaient accumulés les Aztèques, au fil des siècles ! Hernán Cortès n’avait qu’un but : s’emparer de ces fabuleux trésors. Il tortura pendant des mois le dernier empereur aztèque, Cuauhtémoc, l’aigle qui tombe, le grand héros national mexicain. En 1521, Cuauhtémoc fut exécuté par Cortès. En 1522, Hernán Cortès repartit pour l’Espagne : il avait chargé dans trois caravelles le plus grand trésor qu’on n’ait jamais vu sur la mer. Ecoutez les enfants. Les archives nous parlent de cent mille pièces d’or, de deux cent trente kilos de poudre d’or en sacs, de trois cent dix kilos de perles, dont certaines grosses comme des noisettes, de vaisselle d’or et d’argent, de bracelets, de boucliers et de casques aztèques, de statues d’animaux du nouveau monde... Ils parlent aussi d’une fabuleuse émeraude, aussi large que la paume de la main ! Selon les archives, Cortès ramena également deux tigres, qui devinrent fous sur le bateau. L’un se jeta à l’eau en tuant trois marins, ils durent exécuter l’autre…

Les yeux des enfants brillaient du même reflet que les trésors décrits. Ramphastos racontait merveilleusement bien les histoires.

— Le plus fabuleux trésor de tous les temps, les enfants ! Mais il faut maintenant que je vous parle d’un autre personnage. Je suis certain que vous n’en avez jamais entendu parler. Il s’appelle Jean Fleury. C’était un marin normand, il habitait ce petit village en face de nous, Vatteville-la-Rue. Il était même ce que l’on pourrait appeler un pirate. Il sillonnait la mer depuis 1521, à bord de son fabuleux navire, la Salamandre. Au large des Açores, il repéra les trois caravelles de Cortès. Avec une incroyable audace, à la barbe de toutes les escortes espagnoles, il fondit comme un faucon sur les trois caravelles espagnoles, lança l’abordage, se rendit maître des navires et déroba l’ensemble de la cargaison. Le plus fabuleux butin de tous les temps ! Vous vous rendez compte, les enfants ?

Les enfants regardaient maintenant avec des yeux étonnés le petit village de Vatteville. L’institutrice, amusée, semblait se demander quelle était la part de vérité dans ce que narrait le conteur. Ramphastos continua :

— Jean Fleury versa une partie de son butin à son armateur, le Dieppois Jehan Ango. Grâce à l’audace de son plus grand lieutenant, Jehan Ango devint l’homme le plus riche, le plus puissant de France… Mais cela, c’est une autre histoire... Jean Fleury avait aussi volé à Cortès toutes ses cartes marines, tous les plans des expéditions des Indes occidentales. Pendant des années, Jean Fleury nargua la flotte espagnole. Insaisissable... On parle de plus de trois cents abordages. Sa tête fut mise à prix sur toutes les mers du monde. L’empereur Charles Quint était furieux. Selon la tradition, il devait recevoir le cinquième du trésor aztèque que Cortès ramenait du Mexique. La part du roi ! Jean Fleury lui avait tout raflé sous le nez…

Une fillette ravissante leva le doigt :

— Monsieur ? Ils ne l’ont jamais attrapé, alors, les Espagnols ?

Le conteur prit l’air désolé.

— Si, ma mignonne. Les pirates finissent toujours par se faire prendre. Cinq ans plus tard, il tomba dans une embuscade au large du cap Finisterre, en Galice, dans le haut de l’Espagne. Jehan Ango proposa à Charles Quint une rançon phénoménale pour racheter la liberté de son capitaine, mais l’empereur ne céda pas. Son honneur et son autorité étaient en jeu. Jean Fleury fut pendu à Cadix en 1527.

La plupart des enfants avaient les yeux un peu mouillés. Dans les histoires, d’habitude, les héros ne meurent pas.

— Allons, allons ! fit l’institutrice pour les consoler. Il y a beaucoup d’imagination dans tout ce que vous a raconté monsieur Poulizac…

Ramphastos lui jeta un regard offensé :

— Madame, ne croyez surtout pas cela ! Je ne vous ai raconté que la stricte vérité ! Ouvrez n’importe quel livre d’histoire de la Normandie. Vous verrez ! Allez savoir pourquoi certains pirates restent dans la mémoire populaire et d’autres tombent dans l’oubli. Je ne sais pas… Peut-être, après tout, que Jean Fleury préférait la discrétion. Le long du val de Seine, la seule trace de son exploit, vous la trouverez sur la rive droite, dans la petite église de Villequier, juste en face de Vatteville-la-Rue. Un étonnant vitrail représente l’abordage des caravelles de Cortès par Jean Fleury. Pour le reste… Que voulez-vous que je vous dise ? Jean Fleury s’est emparé du plus fabuleux butin de l’histoire de la piraterie. Il l’a sans doute ramené quelque part près de chez lui, ici, à Vatteville-la-Rue. Il est reparti courir les mers, sans doute sans dépenser un seul des 100 000 castillans d’or et du reste. Il a été pendu cinq ans plus tard, sans avoir touché à son butin… Sans qu’aucun livre d’histoire, sans qu’aucune archive ne dise ce que le trésor des Aztèques était devenu…  Je vais vous dire, madame l’institutrice, c’est maintenant, au moment où s’arrête mon histoire, au moment où Jean Fleury est exécuté loin d’ici, à Cadix, au moment où il emporte son secret dans sa tombe, que l’imagination peut commencer à faire son travail…

Trente enfants, les yeux grands ouverts, scrutaient les bords de la Seine, cherchant déjà dans les reflets argentés du fleuve l’éclat des pièces d’un fabuleux butin.

26. Oreste… reste

7 h 09, rue Saint-Romain

Maline n’ouvrit les yeux qu’à la cinquième sonnerie du téléphone. Elle attrapa son portable et lut le nom préenregistré de l’emmerdeur qui la réveillait.

Christian Decultot !

Maline soupira.

— Debout citoyenne ! hurla la voix enjouée du rédacteur en chef. Excuse-moi de te réveiller à l’aurore. J’ai appris tes exploits d’hier. Jouer les Laura Flessel avec un stylo plume ! Chapeau bas. Je compte sur toi pour avoir tous les détails en exclusivité dans l’édition de mercredi…

Maline répondit d’une voix rauque qui la surprit elle-même :

— Si t’es au courant Christian, pourquoi tu ne me laisses pas dormir ?

— J’ai une mission pour toi, citoyenne !

— Rappelle dans deux heures ! Ou je te fous aux prud’hommes !

— Impossible, j’ai besoin de toi à la gare de Rouen. Dans quarante-trois minutes.

Maline essayait d’émerger, de faire le tri dans sa tête embrouillée. Elle n’avait pas l’impression d’avoir dormi. Elle se sentait sale. Elle avait envie de prendre soin d’elle, de prendre le temps.

— Doucement, Christian… J’émerge, là. C’est quoi, le problème ? Je croyais que les flics avaient embarqué le coupable. C’était pas lui ?

— Si… J’espère. Enfin, j’en sais rien. Ta mission n’a rien à voir. Faut que tu me rendes un service.

Cet enfoiré allait la prendre par les sentiments. Elle le laissa venir.

— Ça ne te coûtera rien. Juste de te lever. Je t’explique. Je te demande simplement d’aller à la gare de Rouen accueillir un journaliste. Un jeune journaliste du Monde. Ils l’envoient pour couvrir l’Armada. Cette histoire de meurtre sur les quais a attisé leur curiosité.

— Il n’a pas de plan de Rouen, ce journaliste ? Qu’est-ce qu’on a à voir avec lui ?

— Primo, au cas où tu l’aurais oublié, on appartient au même groupe financier. Secundo, ce jeune journaliste est le fils d’un ami personnel, Raphaël Armano-Baudry, grande signature, grand reporter international…

Maline siffla :

— Je vois le genre…

— Tu te trompes, Maline, ce jeune garçon que je te demande d’accueillir, Oreste Armano-Baudry, n’a rien d’un pistonné. Bac avec mention très bien, sorti major l’année dernière de l’Ecole supérieure de journalisme de Science Po Paris ; intégré au Monde illico…