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— Ça me confirme le genre ! Lycée Henri IV, séjours linguistiques aux Etats-Unis, grand appartement bourgeois dans le XVIe, je suppose… Pourquoi veux-tu me fourrer ce trou du cul dans les pattes ?

— Ce trou du cul est mon filleul, Maline ! Quand sa mère est morte, son père est souvent venu ici avec sa sœur, en Normandie, passer des week-ends à la maison. Je le faisais sauter sur mes genoux. Tu vois le genre, aussi ? Après, il a été élevé par sa belle-mère et je l’ai perdu de vue. Il doit avoir 21 ou 22 ans maintenant.

Maline décida de jouer profil bas. Le téléphone à la main, entièrement nue, elle était à la recherche d’un tee-shirt propre.

— O.K., O.K., Christian. Ça consiste en quoi, exactement, ton baby-sitting ?

— Rien de bien méchant. Tu le balades un peu sur les quais de la Seine, tu lui expliques deux ou trois trucs sur Rouen, tu réponds à ses questions et tu le remets dans le train. Il ne devrait pas s’éterniser. Côté enquête, Oreste arrive un peu après la bataille, non ? Tu as déjà épinglé le coupable… si je peux dire !

Christian Decultot éclata de rire. Maline essayait d’enfiler un tee-shirt sans forme avec sa main libre. Décidément, tout le monde, y compris son rédacteur en chef, semblait vouloir bien vite enterrer cette affaire. Maline repensait aux questions non résolues de cette enquête.

Et les SMS en espagnol ? Et la marque au fer rouge ? Et les tatouages ? Et les messages morbides ? « Il faut que l’herbe pousse et que meurent les enfants » ; « Mourir pour moi n’aura rien de troublant. Et ce sera reprendre une habitude ancienne »… L’hypothèse d’un crime crapuleux par un toxicomane n’expliquait pas grand-chose, en fait.

— O.K. Christian, concéda Maline. Tu as gagné, maintenant, je suis debout ! Je vais aller jouer les nounous avec ton petit fiot !

— Attends-toi plutôt à du rodéo !

Maline ne releva pas :

— Je le reconnais comment ? Il a un grain de beauté sur la fesse gauche ?

— Attends-le seulement sur les quais. C’est lui qui te reconnaîtra. Je lui ai envoyé par mail un dossier complet sur toi. Je t’ai présentée comme ma fille adoptive. Tu vois, vous êtes presque frère et sœur !

— Tu fais chier, Christian !

Maline soupira et raccrocha.

Elle était vraiment trop conne d’accepter tout ça.

Etre à la gare de Rouen dans moins de trois quarts d’heure…

* * *

Résignée, Maline enchaîna à nouveau au pas de course, douche froide, choix de vêtements propres et chiffonnés, sourire de Fatou dans le cadre près de la porte, air frais, odeur de bière et de pisse rue des Chanoines.

Elle arriva à la gare à 7 h 47. Le tableau des trains à l’arrivée indiquait « Paris, 7 h 59 ».

Elle était même en avance ! Elle prit le temps de commander un café et un croissant et composa le numéro de téléphone de Sarah Berneval. Elle souhaitait avant tout connaître la suite des épisodes, depuis hier soir. Comme elle s’en doutait, la secrétaire du commissaire était déjà au travail.

— Attends Maline, je sors…

Elle s’éloigna et reprit :

— Tu as bien eu mon message, hier soir ? Oui ? Au fait, on m’a raconté pour ton coup de stylo plume, c’est incroyable…

— Oui oui, abrégea Maline, assez gênée. Excuse-moi Sarah. Je suis à la gare, je suis un peu pressée. Ils en sont où, pour l’enquête ?

— Oh la la… Il y a du neuf, tu peux le dire ! Ils ont bossé toute la nuit. Ils sont tous à cran, ici. Surtout le commissaire. Pour le poignard, ils sont quasiment certains qu’il s’agit bien de l’arme qui a tué Mungaray, le marin mexicain. Daniel Lovichi t’a agressée avec l’arme du crime. Il est sacrément dans la merde…

— Il en est où, physiquement ? s’inquiéta Maline

— Tu t’en fais pour ce salaud qui a voulu te planter ? Il n’y en a pas deux comme toi ! T’en fais pas Maline, tu l’as pas tué, la blessure était bénigne. Il est ressorti de l’hôpital dans la nuit, ils ont déjà pu l’interroger.

— Il a avoué ? demanda Maline.

— Pas encore. Il dit qu’il a trouvé le poignard dans la rue, devant lui, un matin. Comme par miracle ! Il dit aussi qu’il a aperçu Pierre Poulizac, ce Ramphastos, compter de l’argent liquide dans la rue, cinq mille euros en liquide, et les glisser dans sa poche ! Selon lui, c’est comme cela qu’il a eu l’idée de monter son coup. Il prétend qu’il n’est pour rien dans le meurtre de Mungaray, qu’il ne l’a même jamais vu.

— Il a un alibi ?

— Aucun ! La rue, c’est tout. Pour tout le monde ici, c’est clair, c’est lui le coupable…

— Et le mobile, ce serait quoi ?

— La drogue ! Il a l’air de croire que les marins, surtout les mexicains, se baladent avec de la cocaïne plein les poches. Il a l’air un peu givré. Il n’y a pas de doute, Maline, c’est lui ! Tu t’es fait le meurtrier… T’es une star.

Curieusement, Maline n’arrivait pas à admettre cette version officielle. Tout s’enchaînait beaucoup trop facilement. La personnalité de Daniel Lovichi ne collait pas avec tout le reste.

— Et Ramphastos ? Comment va-t-il ? Il s’en sort ?

— Oui. Je crois qu’il est encore au CHU. Mais il n’a rien de grave… Juste quelques points de suture.

— Qu’est-ce qu’il faisait avec cinq mille euros en liquide ? C’est plutôt louche, non ?

Sarah lâcha un petit rire :

— Quand le commissaire lui a demandé, Ramphastos l’a envoyé se faire foutre ! Ça le regarde après tout !

Décidemment, rien ne collait. Pourquoi Ramphastos, qui n’avait pas l’air de rouler sur l’or, loin de là, se promenait-il avec une telle fortune sur lui ? D’où venait cet argent ? Pourquoi ne voulait-il pas en parler ?

— Toi qui suis l’affaire de l’intérieur ? demanda encore Maline. Tu ne trouves pas que c’est un peu gros, le coup du toxicomane ?

— Il avait l’arme du crime entre les mains, il a un mobile, il n’a pas d’alibi, il a un passé chargé… Ils ne vont pas se poser plus de questions, ils vont le jeter en pâture à la presse. Comme ça, les bateaux de l’Armada pourront continuer de flotter et le commissaire pourra commencer à s’occuper de ses gosses.

Maline regarda sa montre : 8 h 03 !

— Faut que j’y aille, Sarah. Merci. Salut !

Maline courut jusqu’aux quais de la gare. Les passagers du train commençaient à s’éparpiller, mais Maline repéra immédiatement Oreste Armano-Baudry.

Ce ne pouvait être que lui.

Elle observa un grand garçon, assez maigre, très blond avec des cheveux courts en brosse. Sur son visage un peu trop fin étaient accrochées des lunettes de soleil Carrera. Il tenait à la main le dernier Houellebecq, La possibilité d’une île. Oreste était habillé avec soin. Maline repéra sa veste en lin à peine fripée. Un exploit après un voyage en train !

— Oreste Armano-Baudry ? lança Maline.

Le jeune homme se retourna, retira ses lunettes et chercha d’où venait la voix. Il avait des yeux bleu clair qui auraient pu être jolis s’ils avaient été plus rieurs. Maline leva la main. Oreste la repéra et fit à peine l’effort de sourire.

— Il y a une sacrée cohue, lança Maline enjouée en lui tendant la main. Ils affrètent même des trains spéciaux pour l’Armada ! Vous avez réussi à trouver une place assise ?