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Un SMS !

Son cœur bondit. C’était Olivier Levasseur.

Ses doigts fébriles s’activèrent sur le clavier. Elle lut :

« Affaire Mungaray bouclée. Appris comment. Bravo. Se voit aujourd’hui pour finir article ? A+. O.L. »

Elle se hâta de répondre, tapant le message avec la dextérité d’une dactylo amoureuse de son patron.

« Impossible avant ce soir. Bises. »

Elle relut sa réponse, assez fière. C’était peut-être un peu sec, mais le texte lui semblait parfaitement calibré. En trois petits mots, elle évitait d’apparaître comme une gourde se précipitant à la première de ses convocations… et en même temps, elle l’invitait explicitement à passer la soirée avec elle.

Du grand art !

— C’est professionnel, précisa Maline à Oreste, qui ne lui demandait rien.

Ils bouchonnèrent un peu dans la traversée du Trait. L’Armada amenait dans le val de Seine beaucoup plus de touristes que d’habitude. Oreste en profita pour revenir à la charge :

— Vos articles, avant, dans Libération, vous les signiez sous votre vrai nom ! Pas avec ce nouveau prénom, « Maline ». Vous l’avez trouvé où d’ailleurs, ce nouveau nom de plume ? Vous savez que cela n’existe pas, « Maline ». Le féminin de malin, ce n’est pas maline, c’est maligne !

Maline répliqua, piquée au vif :

— Merci beaucoup pour le cours d’orthographe ! Vous savez, tout le monde n’a pas la chance de naître avec une particule et un prénom de héros grec tragique ! Pour votre culture générale, sachez tout de même que « Maline » est un prénom inventé par Arthur Rimbaud. Il décrit « Maline » dans un joli poème comme une charmante jeune fille qui possède « Sur sa joue, un velours de pêche rose et blanc », et qui fait « de sa lèvre enfantine, une moue ». Vous ne trouvez pas que cela me va bien ?

Oreste encaissa sans broncher. Sans démentir non plus.

La Modus continuait de filer entre Seine et falaise. Le silence devint pesant dans le véhicule. Oreste fouilla dans sa poche, en sortit un lecteur MP3 qu’il enfonça dans la prise USB de l’autoradio.

— Qu’est-ce que vous voulez écouter ? lança Oreste d’une voix faussement enjouée. J’ai toute une sélection de groupes syncrétiques. Tenez, écoutez la trois ! Ils jouent du Hendrix avec des balalaïkas… C’est le top du métissage, de la « créolitude » si vous préférez…

— De l’hybridation aussi, non ? glissa Maline d’une voix cassante. Vous avez oublié de parler de l’hybridation.

Un rif rageur de balalaïka évita à Oreste de répliquer.

Ils approchaient de Caudebec-en-Caux. Le portable de Maline vibra à nouveau.

La réponse d’Olivier Levasseur !

Maline s’empressa de lire :

« O.K. A ce soir. Passez au bureau quand dispo. »

Maline frissonna. Dans le cas présent, passer voir Olivier Levasseur au bureau signifiait passer le voir à sa chambre d’hôtel ! Elle essaya de ne pas s’emballer. Il n’y avait peut-être aucun sous-entendu dans cette phrase, sa réponse pouvait être interprétée comme étant strictement professionnelle. Décidemment, ce type avait l’art de jouer au chat et à la souris avec elle. L’instant d’après, elle se fit la réflexion qu’elle faisait exactement la même chose avec lui…

— On y arrive, à votre fameux village ! grogna Oreste.

Maline aperçut un panneau indiquant l’entrée de Villequier, et tout de suite, sur la gauche, une émouvante statue, tournée vers la Seine, au milieu d’un parc.

— Arrêtez-vous !

Oreste pila.

— Garez-vous, ne restez pas au milieu de la route !

Oreste soupira, sans répondre et alla se garer sur un petit parking bitumé. Ils sortirent et firent quelques pas vers la statue. Elle représentait Victor Hugo, perdu dans sa détresse, la main soutenant une tête trop lourde, tourné vers l’immense méandre de Caudebec.

Sur le socle de la statue, on lisait distinctement, gravé dans la pierre :

« Il faut bien que l’herbe pousse et que meurent les enfants. Je le sais oh mon Dieu. A Villequier. Le 4 Septembre 1843. »

Maline jubila. Elle avait vu juste !

Un peu plus loin dans le parc, un petit kiosque en bois permettait de s’asseoir et de jouir confortablement du panorama du fleuve. Tout autour du kiosque, sur des panneaux en bois, on pouvait lire les principaux vers du poème, Demain, dès l’Aube !

— Je le savais ! triompha Maline à haute voix. Les premiers indices du code ! Tout concorde ! Tout est écrit ici. C’est bien ici qu’il fallait venir !

— Et maintenant ? demanda Oreste, visiblement peu concerné par la majesté du site. Pour la suite du jeu de piste, vous avez une idée ?

— Selon toute logique, il faut trouver où est inscrite la phrase suivante : « Mourir pour moi n’aura rien de troublant. Et ce sera reprendre une habitude ancienne. »

Le journaliste parisien regarda le parc autour de lui avec ironie :

— On devrait bien pouvoir trouver ça dans ce Hugoland...

* * *

Maline et Oreste passèrent près de trois heures dans le musée Victor Hugo de Villequier. Le musée avait été installé dans la maison Vacquerie, du nom de la grande famille d’armateurs, amis de Victor Hugo. Auguste Vacquerie, admirateur inconditionnel de Victor Hugo, avait souvent invité le grand écrivain dans sa demeure, sur les bords de Seine. Mais c’est son frère, Charles Vacquerie, qui avait fini par épouser la fille préférée de Victor Hugo, Léopoldine, et l’emmener vivre à Villequier. Six mois après le mariage, un brutal coup de vent sur la Seine fit chavirer la barque de Charles et Léopoldine. Les jeunes époux périrent noyés. Victor Hugo, alors en voyage à l’étranger avec sa maîtresse, ne s’en remit jamais…

Maline et Oreste fouillèrent le moindre recoin du musée, détaillant les abondantes et instructives correspondances du poète, ses esquisses, la genèse des Contemplations, ses superbes tableaux torturés… Le contraste entre la quiétude du lieu et l’intensité de la douleur exprimée dans les œuvres de Hugo était saisissant. De toutes les pièces de la maison bourgeoise, la vue sur la Seine était sublime, et on peinait à croire qu’un tel drame ait pu se dérouler à quelques mètres de là, à la surface d’un fleuve aussi calme. Maline interrogea longuement tous les gardiens du musée à propos de sa fameuse citation : « Mourir pour moi n’aura rien de troublant. Et ce sera reprendre une habitude ancienne. »

Personne n’avait jamais lu une telle phrase dans le musée ! On doutait fortement qu’elle fût de Victor Hugo.

Maline finit par renoncer.

En sortant du musée, ils décidèrent d’aller s’asseoir à la terrasse de l’étonnant pub irlandais du village, le Pub coach house inn. Ils commandèrent des sandwichs et des bières. Maline pestait :

— Quelque chose nous échappe, c’est obligatoire ! Ce n’est tout de même pas Mungaray qui a inventé cette phrase. Il la prononçait en français. Elle a forcément un rapport avec les autres !

Oreste semblait à la fois impressionné par la détermination de la journaliste et très sceptique sur ses chances de réussite. Pour une fois, ce fut son téléphone qui sonna. Il l’attrapa.

— C’est Le Monde, glissa-t-il.

Il laissa Maline seule devant sa bière pendant dix bonnes minutes. Lorsqu’il coupa enfin l’appareil, il regarda Maline avec un intérêt nouveau. Ses yeux clairs, pour une fois, pétillèrent :