Une scène de piraterie !
Maline détailla l’étonnant vitrail. Un navire semblait en affronter trois autres. Des soldats, dont le casque ressemblait à celui des conquistadors, essayaient de repousser avec des lances de bois des gentilshommes brandissant des sabres, protégés par des boucliers aux armes de la Normandie. Maline se demanda ce que pouvait bien signifier la présence de ce tableau étrange au beau milieu d’une église. Elle n’eut pas le temps de se poser davantage la question, Oreste lui fit signe à l’entrée de l’église :
— Maline. Venez voir !
Elle s’approcha. Oreste avait ouvert le livre d’or à la dernière page.
— Regardez cela !
Maline se pencha vers le livre d’or. Des petites phrases courtes et enjouées, suivies d’une date et d’une signature, s’enthousiasmaient le plus souvent pour le charme du village et le souvenir de Victor Hugo.
— Non, précisa Oreste. Là, en haut de la page.
Maline regarda et lut une phrase qui lui sembla anodine :
« R.V. à la chapelle. 12-07-2008 -1 h 30 ».
Elle se demandait où Oreste voulait en venir, lorsque son regard descendit vers les signatures.
Elle n’en crut pas ses yeux.
Il n’y avait pas une, mais quatre signatures !
Quatre graffitis, tracés rapidement.
Mais si on y prêtait attention, on pouvait remarquer que les traits formaient l’esquisse de quatre animaux.
Une colombe.
Un tigre.
Un crocodile.
Un requin.
Il ne manque que l’aigle, murmura Maline d’une voix tremblante.
Ses yeux se brouillaient.
Qu’est-ce que cela pouvait signifier ? De quelle chapelle pouvait-il s’agir ?
Elle essaya de détailler cet étrange message.
Plusieurs personnes avaient signé, les épaisseurs de traits et les couleurs différentes le démontraient. Bleu pour le crocodile et le requin, noire pour le tigre et la colombe. La première phrase, elle aussi, semblait avoir été écrite à plusieurs mains : toute la ligne avait été rédigée au stylo noir, à l’exception du mot chapelle, écrit en bleu.
Pourquoi ?
A en juger par le faible nombre d’autres mots inscrits plus bas dans la page du livre d’or, le message devait être récent. Instinctivement, Maline passa un doigt tremblant sur le papier.
— Nom de Dieu, cria Maline.
Son cœur s’affola.
L’encre de la signature figurant le tigre avait souillé son doigt d’une tache noire.
Elle n’était pas encore sèche !
— Il vient de signer ! hurla Maline. Cela ne peut être que ce type qui était dans la chapelle quand nous sommes entrés. Il a dû signer juste avant !
Oreste avait compris, il fonça hors de l’église. Maline, allait le suivre, puis se reprit. Elle se précipita vers le livre d’or de l’église et arracha la dernière page. Elle la fourra dans sa poche et courut rejoindre Oreste. Ils dévalèrent la petite rue en pente du village qui menait à la Seine.
Aucune trace du géant blond.
Ils longèrent quelques mètres les quais du fleuve et parvinrent au parking où ils avaient garé la Modus.
Toujours aucune trace.
Maline croyait l’avoir perdu lorsqu’elle vit le géant marcher d’un pas naturel, sur le parking, entre deux voitures. Oreste laissa stupidement échapper un cri derrière elle.
— Il est là !
L’homme se retourna. Immédiatement, il perçut le danger et se mit à courir. Dans les secondes qui suivirent, un bruit de moteur vrombit. L’inconnu avait enfourché une moto garée à proximité !
— Il ne faut pas qu’on le perde, hurla Maline.
Ils se précipitèrent vers leur véhicule. Les pneus de la Modus crissèrent sur le parking de terre, à peine quelques secondes après le départ de la moto.
— Ne le lâche pas ! hurla à nouveau Maline.
Oreste Armano-Baudry serrait les mâchoires, obéissant aveuglément aux ordres de la journaliste. Maline savait qu’après Villequier, la départementale quittait la Seine pendant une très longue ligne droite. En accélérant, ils devaient pouvoir rattraper le motard.
— Accélère, bon Dieu !
Oreste suait à grosses gouttes, mais il tenait bon.
— Nom de Dieu ! hurla soudain Maline.
La moto venait brusquement de quitter la départementale pour se diriger vers la Seine. La voie sur berge était coupée par une barrière. Le motard ralentit et parvint à gravir un petit talus d’herbe sur le côté, pour se retrouver sur le bord de Seine.
— L’enfoiré ! jura Maline, il prend la véloroute du val de Seine !
Oreste observa la piste bitumée, d’environ deux mètres de large, qui s’éloignait de la départementale en longeant la Seine.
— On ne peut pas passer, c’est barré pour les voitures. Il va nous semer !
— Continuez sur la route, insista Maline, je connais ! Vous allez tourner à gauche dans trois cents mètres. Il y a un accès par la station d’épuration. Ça donne directement sur la véloroute !
Effectivement, quelques instants plus tard, Oreste aperçut une route sur sa gauche. « Port-Jérôme — Voie privée. Circulation réglementée ». Sans réfléchir, il braqua et s’engagea sur la voie privée.
Les pneus de la Modus crissèrent une nouvelle fois.
— Accélérez bon Dieu, fit encore Maline. On va le perdre.
La Modus prit davantage de vitesse. La route était droite, large. Oreste aperçut les tuyaux de la station d’épuration sur le côté. Il avait le pied collé au plancher, obsédé par sa poursuite.
La Modus était lancée à près de 110 kilomètres-heure maintenant. Il dépassa l’usine.
Le paysage s’ouvrit, soudain.
Son visage se figea d’effroi. Maline hurla.
La route se terminait en cul-de-sac !
Face à eux, à moins de cinquante mètres, sans aucune barrière de protection, il n’y avait que l’eau grise de la Seine.
29. CYRFAN SARL
15 h 21, centre Saint-Sever
La Subaru Impreza WRX s’enfonça dans l’immense dédale du parking souterrain du centre Saint-Sever. Le commissaire Paturel conduisait nerveusement. Il était pressé. L’inspectrice Colette Cadinot était assise à ses côtés.
A cause de l’Armada, le parking était complet.
Le commissaire gara sans ménagement le véhicule de police sur une place restée pourtant libre, au plus près de l’entrée du centre commercial.
L’emplacement était peint en rose.
L’inspectrice Colette Cadinot lui lança un regard courroucé :
— Gustave ! Tu ne peux pas te garer là ! C’est une place « mère de famille » !
— Et alors ? répondit le commissaire avec assurance. C’est quoi encore, cette discrimination ? Les mères de famille auraient le droit à des places réservées et pas les pères ? N’importe quoi ! Rien à battre ! Je suis père de famille, moi aussi ! Tu étais plutôt féministe, Colette, avant, non ? Bah moi, c’est pareil maintenant… Pareil, mais à l’envers !
L’inspectrice Cadinot haussa les épaules, peu convaincue. Ils sortirent du parking souterrain et quelques mètres après la place de la Verrerie, pénétrèrent dans l’immense immeuble Le Bretagne.
Huitième étage.
Dans l’ascenseur, le commissaire Paturel se tourna vers Colette :
— N’oubliez pas de me faire penser à rechercher des informations supplémentaires sur Daniel Lovichi. Même si je suis de plus en plus persuadé que ce coupable idéal est une fausse piste, on ne sait jamais. Cela crédibilisera sa garde à vue. Ce type a tout de même fait des études avant de partir à l’étranger et de plonger dans la drogue, sans qu’on ne sache vraiment pourquoi.