Выбрать главу

Pourquoi une telle embardée ?

Le virage s’élargit.

Mon Dieu !

Cinq cyclistes venaient à leur rencontre, sur toute la largeur de la véloroute. Un couple, trois enfants. La plus jeune n’avait pas cinq ans et encore des roulettes de stabilisation à l’arrière !

— Putain ! hurla Maline, en s’accrochant à la portière. Elle ferma les yeux, incapable de supporter la vision de l’inévitable collision.

Elle entendit le crissement des pneus de la Modus. Elle crut que son bras allait s’arracher de son corps, ses genoux cognèrent la boîte à gants.

Elle ouvrit les yeux, secouée.

La Modus était stabilisée. Oreste tremblait comme une feuille à côté d’elle.

Ils n’eurent pas le temps de souffler.

— Vous êtes tarés ! hurla une voix masculine.

Maline baissa le regard devant les cinq cyclistes. La mère, en un réflexe protecteur, s’était interposée entre la voiture et ses enfants.

— Vous êtes des malades, continua le père, hors de lui. C’est interdit aux voitures !

Maline ne répondit rien. Qu’y avait-il à répondre ?

Les cinq cyclistes passèrent devant la Modus. Le père de famille les fusilla du regard. Maline savait qu’il avait relevé son numéro d’immatriculation, qu’il allait prévenir les flics, que Christian Decultot aurait des ennuis.

Elle ne l’avait pas volé !

Ils repartirent, beaucoup plus prudemment.

— On l’a perdu, fit Oreste, résigné.

— Pas sûr, fit Maline. Il a ralenti, lui aussi. Et la véloroute est presque terminée.

En effet, moins d’un kilomètre plus loin, la piste cyclable prenait fin. La Modus s’engagea dans une route départementale qui serpentait dans les plaines alluviales de la Seine. La platitude du paysage permettait de voir assez loin. Maline repéra le motard, quelques virages plus loin.

— Il est là-bas, devant nous !

Oreste ne parvenait pas à se détacher de l’image de cette famille sur la véloroute, le visage déformé de terreur, une terreur qu’il avait provoqué, sa voiture lancée comme une bombe sur eux. Il lui semblait avoir perdu toute raison. Son cœur n’avait jamais battu aussi fort. Pour la première fois de sa vie, ce n’était plus son cerveau qui le dirigeait, c’était son instinct.

Il appuya à nouveau sur l’accélérateur de la Modus.

— On va l’avoir ce salopard !

Maline observait, étonnée, la métamorphose s’opérer chez le jeune journaliste. A nouveau, ils regagnaient du terrain sur le motard. C’était vraisemblablement une 125 cm3. La moto ne devait pas aller à beaucoup plus de 80 à l’heure, leur Modus fonçait maintenant à près de 120. La jonction était proche !

Les plaines alluviales étaient plantées de pommiers. Soudain, au détour d’un nouveau virage, le paysage s’ouvrit sur une image surréaliste.

Les pommiers étaient en feu !

Des flammes et des panaches de fumée noire coiffaient le rideau d’arbres et les granges devant eux. La Modus continua sa course. Le paysage s’ouvrit encore et Maline comprit.

Ils fonçaient tout droit sur Port-Jérôme, la plus grande raffinerie de France. Au paysage de pommiers succédait sans transition celui d’une forêt de cheminées, coiffées de flammes ardentes dont les fumées se rejoignaient dans le ciel pour former un menaçant nuage grisâtre.

Un panneau indiquait Notre-Dame-de-Gravenchon.

Le motard, quelques mètres devant, ne ralentit pas. Il passa un rond-point et se dirigea vers l’entrée de la raffinerie ExxonMobil, fermée par une barrière. Sur le côté, une étroite ouverture permettait aux piétons de passer. Le motard s’engagea dans l’espace avant que les gardiens n’aient le temps de réagir et pénétra dans l’incroyable dédale d’oléoducs et de gazoducs.

La Modus pila devant la barrière de la raffinerie moins de cinq secondes plus tard.

Des gardiens armés se précipitèrent.

Maline avait compris. Ils avaient perdu la partie. Le temps de s’expliquer, de convaincre les gardiens d’ouvrir la barrière de cette voie privée, le motard serait loin.

La raffinerie de Port-Jérôme était une véritable ville dans la ville.

* * *

Ils repartirent quelques instants plus tard, remontant leur vitre, attachant à nouveau leur ceinture. Ils restèrent un long moment silencieux.

Oreste tenta de briser le silence :

— Pour une filature, une voiture de fonction du SeinoMarin, ce n’était pas très discret…

Maline ne répondit pas. Elle avait besoin de se remettre de ses émotions, de faire le point sur toute cette affaire. Oreste comprit que Maline ne souhaitait pas parler. Il joua avec les touches de son lecteur MP3.

— Ça ne vous dérange pas si je mets de la musique ?

Maline hocha la tête d’un air las et résigné.

— Je vous mets les New Animals. Pigs and Cats, c’est leur meilleur. Vous verrez, c’est de circonstance, c’est assez planant. Ils arrivent à faire chanter des chats et des porcs ! Ils ont même un chorus de bovidés sur la piste 3. J’ai lu quelque part qu’elle a vraiment été enregistrée dans un abattoir… C’est ce qu’il y a de plus tendance en ce moment…

Maline ne répondait pas, n’écoutait même pas. Oreste n’insista pas davantage, il attrapa son Palm et commença à chuchoter dans le micro.

Maline se perdait dans ses pensées.

Qui était ce motard ?

Vraisemblablement celui qui avait signé d’un tigre sur le livre d’or de l’église de Villequier.

Le tigre !

Il avait sans doute tatoués sur l’épaule, comme Mungaray, les fameux cinq animaux. La colombe, le tigre, le crocodile, le requin et l’aigle.

Etait-il un marin de l’Armada, comme Mungaray ? C’était l’hypothèse la plus plausible. Cinq marins, tous liés par un pacte ? Cinq marins qui communiquaient entre eux par code. Des codes qu’eux seuls pouvaient décrypter. Ces codes menaient à Villequier. Les citations de Victor Hugo n’avaient sans doute qu’un but : indiquer le chemin ! Tout était inscrit, comme sur des panneaux indicateurs, des panneaux que seuls les initiés pouvaient interpréter. Les bords de Seine, le cimetière, et enfin l’église de Villequier. Il s’agissait de marins ! Le but ultime de ce jeu de piste était alors évident : ce vitrail, ce mystérieux vitrail représentant une scène de piraterie.

Pourquoi ?

Les marins s’étaient donné un nouveau rendez-vous, dans la nuit, à 1 h 30. Elle repensa au message du livre d’or : « R.V. à la chapelle ». De quelle chapelle pouvait-il s’agir ? Il n’y avait aucun autre indice cette fois-ci. Il existait des centaines de chapelles dans la région, des dizaines au bord de la Seine. Impossible, ce soir, de découvrir ce lieu de rendez-vous.

A moins de découvrir qui se cachait derrière ces quatre animaux.

Après tout, l’aigle était un jeune marin mexicain, qui se faisait surnommer Aquilero, qui voyageait à bord du Cuauhtémoc, « l’aigle qui tombe ». Son identité n’avait pas été difficile à découvrir.

Il en était peut-être de même pour les quatre autres.

Au fur et à mesure de ses réflexions, un doute s’installait en elle. Devait-elle parler à la police ? Faire part de ses conclusions ? Remettre sa pièce à conviction, la page arrachée du livre d’or de l’église de Villequier ?

Bien entendu, elle devait le faire…

Mais était-ce si urgent ? Maline avait la mauvaise habitude de préférer résoudre seule les énigmes. Elle n’aimait pas trop faire le travail pour les autres, elle préférait garder une longueur d’avance. Sa déposition à la police pouvait bien attendre le lendemain.