Elle commençait également à se souvenir qu’elle avait rendez-vous ce soir avec Olivier Levasseur, « à son bureau ». Il fallait qu’elle passe chez elle se changer. Tout se bousculait. Une overdose d’émotion. Il fallait qu’elle se calme.
Doucement, Maline sentit ses nerfs retomber. L’étrange musique animalière d’Oreste était effectivement planante. Elle se résumait pour l’instant à des cris de mouettes sur fond de piano. La joue posée contre la portière, elle s’assoupit quelques minutes.
Le reste de la route, Oreste et Maline n’échangèrent pas trois phrases. Maline indiqua à Oreste de passer par Maromme, pour éviter les bouchons des quais de Rouen. Quelques minutes plus tard, Oreste garait la Modus sur une place réservée, devant Le SeinoMarin, à l’angle de la rue Eau-de-Robec.
Maline tendit la main.
— Merci Oreste. Vous repartez à Paris ce soir ?
— Vous plaisantez Maline ! Après ce que l’on vient de vivre ? Je n’ai jamais eu d’épisodes aussi intenses à mettre dans un article de journal. Le Monde m’avait réservé une chambre, jusqu’à la fin de l’Armada, à l’hôtel du Vieux Carré.
Oreste prit une profonde inspiration et continua :
— Maline, je peux vous demander un service ?
Les yeux clairs d’Oreste brillaient d’un éclat que Maline n’avait encore jamais vu chez le jeune journaliste. Maline eut presque l’impression qu’elle l’avait dépucelé.
— Oui Oreste ? Quel service ?
— On peut se revoir, ce soir ?
On y était !
C’était cela, l’éclat de ses yeux clairs. La poursuite avait émoustillé ce gamin. Il était en train de la draguer, peut-être même de tomber amoureux. Peu de filles, même avec quinze ans de plus que lui, avaient dû le secouer de la sorte depuis sa puberté !
Oreste enchaîna. La ficelle était un peu grosse :
— J’aimerais que vous m’aidiez sur mon article, pour Le Monde. Maintenant, ce sera pour l’édition de demain après-midi. Vous avez plus d’expérience que moi sur ce qu’il faut dire et ne pas dire.
Maline se sentit flattée par le regard déshabillant du garçon, mais elle n’avait aucune envie de passer une partie de la soirée avec lui. Par contre, elle savait également qu’il était capable de raconter n’importe quoi dans son article, un article publié dans le journal le plus important de France. De quoi semer une panique incontrôlable sur l’Armada, dès le lendemain. Il était important, capital même, avec ce qu’il savait désormais, de le garder sous contrôle.
— O.K., concéda Maline. Je passerai ce soir…
Vers 18 h 30, Maline traversa à nouveau la place de la Pucelle. Elle avait pris une douche, elle était maquillée, vêtue d’une jolie robe à rayures orange qui la grandissaient. Elle se sentait reposée, un peu. Désirable, à nouveau, et pas seulement dans les yeux d’un gamin.
Elle regarda les fenêtres de la tourelle de l’hôtel de Bourgtheroulde.
Le bureau d’Olivier Levasseur !
Elle se souvenait que le beau Réunionnais possédait une impressionnante bibliothèque sur la navigation, en particulier sur les voiliers de l’Armada. Il devait également disposer de multiples dossiers sur les trois-mâts présents à Rouen, de listes des marins sur les bateaux.
Olivier Levasseur était sans doute l’homme idéal pour découvrir l’identité des membres de cette mystérieuse confrérie, la signification de ces références.
La colombe.
Le tigre.
Le crocodile.
Le requin.
Autant joindre l’utile à l’agréable.
31. Le secret de Verrazzane
18 h 15, quelque part dans l’agglomération rouennaise
— Tu as l’air nerveux ? demanda une voix féminine.
— Tu le sais bien, répondit l’homme, assis dans le canapé de cuir blanc. C’est pour ce soir, tout va se jouer à la chapelle. Ils doivent payer, je n’ai pas le choix. La malédiction doit s’appliquer ! Ils doivent mourir. Mourir de ma main.
La main féminine se posa sur la main de l’homme. Caressante. Rassurante.
— Tu as encore le temps avant ce soir. Il n’est pas encore une heure du matin. Détends-toi.
La femme ouvrit le tiroir de la table du salon et continua :
— Tu veux regarder un DVD ? Il te reste le temps. Cela t’aidera, non ?
L’homme afficha un sourire las :
— Si tu veux…
La main de la femme plongea dans le tiroir, déplaça une dizaine de DVD et s’arrêta sur celui intitulé : Jean de Verrazzane - Colloque Université. Elle mit en route le lecteur DVD. Le grand écran plasma encastré dans le mur s’éclaira.
On découvrait un grand amphithéâtre, vraisemblablement celui d’une université. Un orateur, à l’estrade, terminait un exposé. Derrière lui, une affiche indiquait le titre d’un colloque : La Normandie au temps des grandes découvertes. L’orateur était donc un historien, assez jeune. Le colloque était filmé par le service audiovisuel de l’Université. Le montage était quasi professionnel.
Le jeune orateur terminait son exposé.
— Ainsi, le 8 juillet 1524, Jean de Verrazzane, à bord de la Dauphine, était de retour à Dieppe. Parti de Rouen, lié au grand armateur Jehan Ango, il fut le premier à découvrir la baie du fleuve Hudson, ce site d’une beauté sauvage qu’on appellera par la suite New York. Le plus grand pont de New York porte, et c’est justice, le nom de Verrazzano. On pourrait même se demander si c’est en hommage à la Normandie que par la suite on a donné à New York le surnom de grosse pomme !
La conclusion de l’exposé fut saluée par les applaudissements nourris du public… Une bonne vingtaine de personnes dispersées dans l’amphithéâtre !
Un animateur prit à son tour le micro et remercia vivement le maître de conférences pour son brillant exposé. Il se retourna vers la salle. Il était certain que les questions n’allaient pas manquer après une si érudite communication.
Presque aussitôt, un homme se leva d’un banc de l’amphithéâtre.
Pierre Poulizac, Ramphastos. Il devait avoir une cinquantaine d’années. Sans attendre le micro sans fil qui circulait, il posa sa question d’une voix forte :
— Il y a une question que vous n’avez pas du tout abordée. Pouvez-vous nous préciser où est passé le butin de Jean de Verrazzane ?
Il y eut une légère agitation dans le public, quelques rires.
— Quel butin ? demanda l’orateur, étonné de la question.
Ramphastos ne se démonta pas :
— Le butin. Les découvertes, les pillages. Bref, la cargaison avec laquelle Jean de Verrazzane est revenu de la baie d’Hudson.
— Il est revenu avec une cargaison vide ! plaida le maître de conférences. Je vous l’ai dit !
— Je sais, continua Ramphastos, il ne ramena officiellement de sa première expédition qu’un échantillon d’or et un jeune esclave, vous nous l’avez fort justement rappelé. Mais vous ne trouvez pas cela étrange ? Jean de Verrazzane part en mer pendant plus d’un an, longe la Floride, la Caroline du Nord, la Virginie, le Delaware, le New Jersey. Il est le premier à s’aventurer dans ces terres inconnues et pourtant, lorsqu’il rentre à Dieppe, ses cales sont vides ! Il ne ramène qu’un échantillon d’or et un esclave ! Etrange, non ? Alors que dans le même temps, les autres explorateurs font fortune en ramenant en Europe des pierres précieuses, de l’or, des épices, des étoffes, des œuvres d’art ? Cela frise l’escroquerie, vous ne trouvez pas ?