Cela rassura Maline, un peu.
La journaliste suivit Levasseur dans le salon. Il avait adopté cette fois-ci un style décontracté, un jean et un tee-shirt, qui moulait de façon très sexy son torse puissant.
Une nouvelle fois, elle se fit la réflexion que cet homme l’attirait vraiment… Qu’ils étaient deux adultes consentants, dans la suite somptueuse d’un grand hôtel particulier. Qu’elle n’avait pas fait l’amour depuis au moins six mois… Qu’elle sentait monter en elle un épouvantable désir d’ouvrir la braguette du pantalon de ce bellâtre… Qu’elle… Qu’elle devait se reprendre… Qu’elle devait sortir ses appâts, planter son hameçon… Tirer… Elle verrait bien ensuite la taille de la prise !
Olivier lui proposa avec galanterie un apéritif. Maline choisit, comme Olivier, un rhum blanc. La journaliste reprit sa place dans le canapé, Olivier la sienne en face d’elle. Elle pencha en avant sa robe échancrée, comme pour lui permettre de mesurer la profondeur de son décolleté. Il ne détourna pas le regard, mais Maline savait que pour attraper un tel poisson, il lui fallait sortir des appâts d’un autre calibre.
Olivier Levasseur entama la conversation avec une politesse professionnelle. Il resservit à Maline les félicitations pour son coup de stylo magique d’hier soir. Jamais, même pour ses plus brillants articles, on ne l’avait autant félicitée pour un trait de plume ! Il avait l’air ravi que le meurtre soit résolu, que tout rentre dans l’ordre, que la fiesta de l’Armada puisse recommencer, comme avant, tranquillement.
Maline le coupa. Elle avait décidé de jouer franc jeu. De tout mettre sur la table, tout ce qu’elle avait découvert, cet après-midi, tout, jusqu’à la fuite du motard !
Pourquoi ?
Pourquoi tout révéler à cet inconnu, Olivier Levasseur ?
Parce qu’il pouvait lui être utile pour découvrir l’identité des marins impliqués ?
Oui, sans doute.
Parce qu’inexplicablement, elle lui faisait confiance.
Oui, aussi.
Mais le motif principal était stratégique. Elle voulait attirer son attention, c’était aussi simple que cela. En partageant avec lui ses incroyables découvertes, elle créait alors immanquablement une complicité entre elle et lui. Son meilleur appât, le mystère, ces mystères…
Pendant de longues minutes, Maline raconta tout, Levasseur écouta avec une attitude mi-passionnée, mi-effrayée.
A la fin de récit, Olivier Levasseur se leva, incrédule. Il demanda à voir la feuille arrachée du livre d’or. Maline lui montra et il dut se rendre à l’évidence. Il avait un air de petit garçon embêté que Maline adora. On sentait que cette affaire l’intriguait, mais surtout qu’elle le mettait mal à l’aise. Il était le chargé des relations presse de l’Armada, il naviguait avec élégance dans le politiquement correct ; ces histoires de fous, il savait qu’un jour ou l’autre, c’est lui qui se retrouverait en première ligne, en conférence de presse, devant une meute de journalistes, pour les expliquer.
Comme Maline, il n’avait pas très envie d’aller voir la police, pas tout de suite, du moins. Si la police tenait un coupable, pourquoi aller compliquer les choses, perturber l’ordre tranquille de l’Armada, à deux jours de la parade en Seine ? Toute cette histoire de codes entre marins n’avait peut-être rien à voir avec le meurtre, après tout !
Maline le constatait, le bel Olivier Levasseur n’aimait pas les vagues, du moins pas celles qui pouvaient remettre en cause son travail de communiquant de haut vol. Maline était d’autant plus fière de l’avoir coincé : en lui révélant tout, elle faisait de lui son complice. Il ne pouvait plus feindre l’ignorance, la neutralité. Elle l’avait mouillé, et rien que pour cela, au fond de lui-même, Olivier Levasseur devait la maudire. Tant mieux ! Maline préférait de loin le statut de petite garce le menant par le bout du nez à celui de pintade prête à rôtir.
Maline se décida à pousser l’avantage plus loin en prenant les commandes de l’enquête :
— Je suis certaine que l’identité des marins qui se cachent derrière ces tatouages n’est pas très difficile à trouver, Olivier. Vous avez toutes les informations possibles sur les équipages. Si on s’y met à deux…
— Vous avez le temps ?
Première salve.
— Toute la nuit !
Olivier Levasseur ne releva pas, perdu dans ses pensées inquiètes. La perspective d’un nouveau scandale sur l’Armada semblait même avoir fait chuter sa libido à un niveau inquiétant pour le reste de la soirée. Maline commençait à douter de sa stratégie !
Levasseur alla chercher un ordinateur portable et le posa sur ses genoux. Tout le bureau était en espace Wi-Fi, bien entendu. Maline vint se coller à lui.
Deuxième salve.
Elle sentit avec délice fondre sur elle son parfum ambré. Levasseur, concentré sur son écran, ne sembla même pas remarquer leur intimité nouvelle. Il faisait défiler les caractéristiques des voiliers de l’Armada. Année de construction, propriétaire, largeur, tirant d’eau, surface de voilure, vitesse de déplacement, port de construction, port d’attache… Ils prirent le temps de tout détailler. Rien ne leur sauta à l’esprit.
Ils firent ensuite défiler l’immense banque de photographies d’Olivier Levasseur, des centaines de clichés, splendides, des figures de proue, des sculptures de bois, des écussons brodés. Ils se régalèrent d’un diaporama de toutes sortes de croix, d’ancres, de sirènes hollandaises, de dragons indonésiens… mais rien de ce qu’ils cherchaient !
— Et les marins ? demanda Maline sans renoncer. Vous avez une liste des marins ?
— Oui, soupira Olivier. Je l’ai récupéré auprès du service des douanes et des ambassades. Mais il y en a près de dix mille …
Maline fit la grimace :
— Commençons au moins par ceux du Cuauhtémoc !
Les noms défilèrent, avec des dates de naissance, les lieux de naissance, les nationalités.
Rien, rien n’évoquait les quatre animaux.
La colombe.
Le tigre.
Le crocodile.
Le requin.
Ils fixaient l’écran depuis plus d’une demi-heure sans avoir avancé d’un pouce ! Maline en avait des crampes. Elle perdait patience : il lui fallait prendre les choses en main ! Soit renverser cet apollon dans le canapé et lui déchirer son tee-shirt avec les dents, soit trouver une nouvelle idée pour faire avancer l’enquête.
Elle arracha soudain l’ordinateur portable des genoux de Levasseur, le referma et le posa par terre.
Olivier Levasseur, surpris, allait protester.
— On n’arrivera à rien comme cela, Olivier. Il faut prendre le problème à l’envers. Il faut partir des tatouages !
Maline changea brusquement de position.
D’un mouvement souple, elle se mit à genoux sur le canapé, perpendiculairement à Olivier Levasseur. Elle se trouvait désormais plus haute que lui. Il se retourna vers elle. Cette fois-ci, il avait vraiment son décolleté dans le nez. Maline le savait généreux, légèrement bronzé en ce début juillet, joliment mis en valeur dans un mini soutien-gorge en dentelle blanche qu’Olivier ne pouvait pas éviter de remarquer. La position qu’elle avait adoptée, à genoux sur le canapé, avait impudiquement fait remonter sa robe le long de ses cuisses, ne cachant plus que sa petite culotte, et encore… Avec un peu d’effort, le chargé de communication pouvait vérifier que les sous-vêtements de Maline étaient parfaitement coordonnés.
Maline posa sa main sur la cuisse du Réunionnais, espérant éventuellement qu’il en fasse de même avec la sienne.
Troisième salve.
Olivier Levasseur ne broncha pas, mais la gratifia d’un regard d’émeraude qui donna envie à Maline de l’embrasser à pleine bouche. Ce type était-il seulement conscient de son pouvoir de séduction ? Maline se reconcentra, difficilement, sur l’enquête :