— On va s’y prendre autrement, Olivier ! C’est bien vrai que vous parlez une dizaine de langues ?
Olivier Levasseur confirma d’un sourire « clooneysien ».
— O.K., partons de l’hypothèse que ces marins sont de nationalités différentes. Essayons de traduire le nom de ces animaux tatoués dans les différentes langues des principaux pays présents sur l’Armada, on verra bien ce que cela donne.
Pendant plus d’un quart d’heure, Levasseur essaya de traduire les mots colombe, requin, crocodile, tigre dans différentes langues usuelles. Cela ne donna rien. Cependant, Maline ne s’avouait pas vaincue. Elle posa une seconde main sur les cuisses musclées de Levasseur, installant presque ses genoux nus sur ses jambes.
Quatrième salve.
— O.K., on continue, je suis certaine qu’on est sur la bonne voie. On va essayer en traduisant des associations d’idées. Commençons par la colombe, c’est sans doute le plus simple. A quoi peut bien faire penser la colombe… L’amour ?
— La paix, corrigea Levasseur avec un sourire entendu.
Maline s’approcha encore et positionna son sein à quelques centimètres de la bouche du bellâtre :
— J’aurais préféré que vous me traduisiez le mot amour dans toutes les langues… Mais allons-y pour la paix.
Olivier Levasseur ne perdit rien du spectacle, mais n’esquissa pas le moindre geste et commença une jolie récitation.
Peace… Frieden… Paz…Pace… Vrede… Mir.
Mir ?
Leurs regards se croisèrent, électriques, complices.
Mir signifiait paix, en russe !
Mais le Mir était également le plus grand trois-mâts de l’Armada. Ils avaient trouvés !
Un des quatre marins qu’ils recherchaient était matelot sur le voilier russe, sans aucun doute.
Ils avaient identifié un second marin !
— Vous êtes un génie, Olivier !
Maline se pencha brusquement en avant, comme une sprinteuse au coup de feu, et posa un baiser sur la joue du Réunionnais. Peut-être même aussi sur un coin de lèvre.
Maline ne laissa pas le temps à Levasseur de réagir. Elle se releva vivement. Elle ne pouvait pas tenir beaucoup plus longtemps dans sa position impudique. Elle sentait monter des crampes dans ses cuisses. Olivier se leva à son tour.
Tout en tournant dans l’appartement, ils continuèrent un long moment à jouer au jeu des associations d’idées, sans rien trouver de plus. Maline cherchait une nouvelle piste, mais plus rien ne venait.
— Vous avez des livres, ici aussi ? fit-elle en désespoir de cause.
— Des dizaines… Sur la marine, la voile, les ports du monde… Vous voulez vraiment vous attaquer à cela ?
Olivier Levasseur s’aperçut seulement à ce moment-là qu’un bouton de la robe de Maline venait de sauter. Impossible désormais de rater la dentelle du charmant soutien-gorge.
— J’ai toute la nuit…
Cinquième salve.
Avec autorité, Maline attrapa une pile de livres et s’installa à la table du salon, semblant se désintéresser momentanément du chargé de communication. Surpris par l’attitude studieuse de Maline, Olivier Levasseur se sentit contraint de faire de même. A peine, un quart d’heure plus tard, Maline décréta que lire sur la table du salon était véritablement trop inconfortable.
Olivier Levasseur vit avec des yeux éberlués la jeune journaliste prendre sa pile de livres sous le bras… Et se diriger vers sa chambre !
— Je ne peux pas lire plus d’un quart d’heure autre part que dans un lit, lança Maline du sourire le plus coquin qu’elle put.
Elle entra dans la tanière.
— Ne vous inquiétez pas, je suis sûre que votre garçonnière est mieux rangée que mon studio.
Elle lança les livres sur le lit. Olivier Levasseur s’avança de quelques pas vers elle.
Souple. Racé. Elégant.
— Je vous appelle dès que j’ai trouvé quelque chose, fit la diablesse en refermant derrière elle la porte de la chambre.
Sixième salve.
Un quart d’heure plus tard, Maline piquait du nez sur son livre Les plus grands ports du monde. Elle se serait bien enfouie nue sous les draps de soie du lit d’Olivier Levasseur. Elle regarda la porte de la chambre qui la séparait du beau Réunionnais... Et qui restait toujours désespérément fermée.
Qu’est-ce qu’il fichait ?
Il n’avait rien compris ?
Elle ne lui plaisait pas ? Dans ce cas, il n’avait qu’à le dire franchement !
Il était timide ? Tu parles, et le coup de la serviette de bain hier !
Il voulait jouer à plus malin qu’elle ? Faire monter le désir, encore ? Oui, bien entendu…
Maline bailla.
D’accord pour faire monter le désir… Mais il fallait qu’il se dépêche…
Elle tourna une nouvelle page, sans conviction.
Surabaya. Deuxième ville d’Indonésie. Trois millions d’habitants. Un des principaux ports d’Asie du Sud-Est. Une reproduction du blason bleu et or de la ville attira soudain l’attention de Maline : autour d’une colonne de pierre, une sorte de crocodile semblait combattre un requin ! Brusquement réveillée, Maline détailla l’explication : en javanais, suro voulait dire requin et buaya, crocodile.
Requin-crocodile. L’origine du nom Sura-baya.
Maline fit immédiatement le rapprochement : l’un des trois-mâts les plus populaires de l’Armada était le Duwaruci, un navire-école indonésien dont le port d’attache était… Surabaya !
Elle se fit la réflexion, amusée, qu’ils auraient gagné du temps si son beau polyglotte avait su parler javanais. Nul n’est parfait…
Elle continua sa lecture.
La légende racontait que ces deux animaux s’étaient battus pour devenir l’animal le plus puissant de la région. Le crocodile et le requin ne représentaient donc pas deux marins différents, mais un seul ! Une seule et même main, sur le livre d’or de l’église de Villequier, avait signé de ces deux animaux ! La confrérie n’était en réalité composée que de quatre marins.
Aquilero, l’aigle.
Un marin du Mir, la colombe.
Un marin du Duwaruci, à la fois crocodile et requin.
Restait le tigre… Il s’agissait sans doute du géant blond de l’église, le motard qu’ils avaient raté de peu. Il n’avait ni le type russe, ni le type indonésien.
Il était le seul qu’elle pouvait reconnaître… Et le seul dont Maline ne connaissait pas encore la nationalité.
Maline adorait ce moment, dans une enquête, où soudainement le fil se démêlait. Elle se sentait parfaitement réveillée, maintenant. Du pied, elle envoya valser hors du lit les épais volumes. Elle s’étira comme une chatte sur les draps de soie. Sa jambe nue s’échappa de sa robe. Du bout du pied, elle poussa latéralement sur la porte de la chambre pour l’ouvrir.
Du salon, Olivier Levasseur ne vit d’abord de Maline qu’une jambe, nue, impudique, puis la robe de la belle, ouverte.
Septième et ultime salve.
33. Inspection sanitaire
19 h 07, quai Boisguilbert, Rouen
Il y avait déjà une impressionnante file d’attente devant le Surcouf. Des personnes âgées. Cinq hôtesses, toutes coiffées du même béret de matelot bleu à pompon rouge, tentaient, au pas de course, de vérifier des cartons d’invitation et d’agripper les croisiéristes grisonnants pour les faire monter sur le pont.