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Oui, la pintade était bel et bien passée à la casserole.

* * *

La morsure de la fraîcheur de la nuit lui fit regretter un peu plus encore la chaleur du corps du beau Réunionnais.

Maline allait s’y rendre, au Vieux Carré !

Elle allait lui expliquer les bonnes manières, à ce jeune crétin d’Oreste Armano-Baudry

« Rodéo » ? avait dit Christian Decultot en lui confiant la « garde » de son filleul.

Il allait voir !

Elle traversa d’un pas pressé le vieux Rouen. Tout en marchant, la colère retombait un peu. La plénitude de l’heure qu’elle venait de passer avec Olivier Levasseur reprenait le dessus. La frustration se dissipait. Oreste Armano-Baudry n’y était finalement pas pour grand-chose, Olivier Levasseur avait sauté bien rapidement sur l’occasion pour se rhabiller. Après tout, il avait eu ce qu’il voulait… Elle !

Maline, pourtant, n’avait pas cette impression. Il lui semblait plutôt que le chargé de communication était pressé de la voir partir… parce qu’il avait autre chose à faire, ce soir !

— Tu dis cela pour te rassurer ma vieille, se dit Maline intérieurement. Ne te fais pas d’illusion. Tu n’es pas près de rejouer à cache-cache avec lui sous les draps.

Elle marchait rue du Gros-Horloge. Il lui sembla que la fameuse rue piétonne n’avait jamais été aussi noire de monde à une telle heure de la soirée.

Elle essaya d’oublier ses ébats et de se concentrer sur l’enquête. Elle possédait désormais une somme d’informations considérable ! Vraisemblablement, la police n’avait pas avancé autant qu’elle. Difficile de savoir quel rapport pouvait avoir cette sorte de confrérie de marins avec le meurtre de Mungaray, mais il y en avait forcément un, au moins indirect.

Elle pensa à cette feuille arrachée, le livre d’or de l’église de Villequier, ce rendez-vous, ce soir, à 1 h 30, à la chapelle.

Quelle chapelle ?

Qu’allait-il se passer ?

Qu’allaient-ils dire, faire, projeter ?

L’idée d’une sorte de secte, d’un complot ou de quelque chose approchant la taraudait. Dans tous les cas, il était trop tard pour ce soir, mais elle se fit la promesse de tout raconter, dès le lendemain matin, au commissaire Paturel. Pour l’instant, l’urgence, c’était d’empêcher Oreste d’écrire n’importe quoi dans l’édition du Monde du lendemain….

Et de lui faire bouffer sa cravate !

Maline laissa sur sa droite la façade éclairée du palais de justice. Une centaine de mètres plus loin, rue Ganterie, elle arrivait au Vieux Carré.

Elle comprit l’impatience d’Oreste Armano-Baudry !

Le Vieux Carré était sans aucun doute l’hôtel-restaurant le plus romantique de Rouen. Le restaurant de l’hôtel était installé dans un délicieux patio de verdure, une cour intérieure pavée, fleurie et éclairée avec goût, entièrement fermée par une splendide bâtisse à colombages ocre. Dans le patio étaient installées une dizaine de petites tables rondes et des sièges bas en rotin.

Deux sièges par table, bien entendu.

Le Vieux Carré était le rendez-vous idéal des couples amoureux. Rien ne manquait. Ni les bougies sur les tables, ni le champagne en seau, ni le discret fond musical jazzy. Chaque table était occupée de couples de tout âge, et sans doute de toute nationalité.

Chaque table, sauf une !

En plein milieu.

Oreste Armano-Baudry mangeait seul une superbe assiette de fruits de mer. Sa bouteille de vin blanc n’était pas moins vide que celle des couples aux autres tables. La bougie donnait une coloration un peu rougie à ses yeux clairs.

Maline hésita entre le fou rire et la compassion. Oreste Armano-Baudry lui avait réservé la meilleure table ! Il lui avait préparé avec soin le plus romantique des dîners aux chandelles. Et il attendait seul à sa table depuis plus d’une heure. Un tel lapin, cela n’avait pas dû lui arriver souvent à ce gamin !

Maline s’avança, sourit. Oreste avait fait un effort pour se vieillir. Costume sombre, cheveux et traits un peu tirés.

— C’est moi, fit-elle avec un grand sourire, en tirant une chaise devant lui.

Regard mi-désespéré, mi-en colère.

— Vous m’aviez dit de commander. Je ne vous ai pas attendu…

— Vous avez bien fait Oreste, je n’ai pas faim. Vous êtes très en valeur ce soir, Oreste.

Le regard vira franchement sur le désespéré !

— Ne vous fatiguez pas, Maline. Je suis ridicule. Tout le monde m’observe depuis plus d’une heure, les serveurs me matent comme une bête curieuse, se demandant si je suis cocu, puceau ou homosexuel.

— Ou peut-être même les trois à la fois ? fit Maline pour tenter de le faire sourire.

— Si je vous dis qu’à Paris j’ai une meute de courtisanes qui rêveraient d’une telle invitation, vous me croyez, Maline ?

Maline pensa qu’Oreste parlait un peu trop fort et que les couples alentour, tout aussi amoureux qu’ils étaient, ne devaient pas perdre un miette de ses états d’âme.

— Je vous crois Oreste. Des courtisanes sûrement beaucoup plus jeunes et jolies que moi. Mais vous ne m’avez pas invitée, Oreste. Nous avions simplement un rendez-vous professionnel.

Oreste se servit un nouveau verre de gewürztraminer.

— Pour le professionnel, Maline, il faudra revenir demain. Je crois que j’ai un peu trop bu pour que Le Monde accepte une prose rédigée ce soir. Mais ne vous inquiétez pas, je suis un grand journaliste vous savez. Je travaille pour Le Monde. Je peux me débrouiller sans votre aide.

Maline essaya d’être claire :

— D’accord Oreste, vous êtes un grand garçon. Mais n’allez pas raconter n’importe quoi. N’allez pas briser, pour un scoop ou un bon mot, le rêve de milliers d’amoureux de l’Armada, qui bossent jour et nuit pour elle…

— Je connais mon travail Maline. Pourquoi êtes-vous toujours si dure avec moi ?

— C’est votre parrain, il m’a chargée de faire votre éducation…

Un silence s’installa quelques instants entre eux. Quelques tables se vidèrent. Oreste attrapa son Palm et avança le micro devant sa bouche :

— Maline, vous permettez que je prenne quelques notes ?

Maline acquiesça. Oreste parla lentement, fixant la journaliste.

— Cadre... Romantique. Stop. Vin… Divin. Stop. Maline… Sublime. Stop. Moral… Abyssal. Stop. Situation… Pénible. Non… Ridicule. Stop.

Maline, sans doute attendrie, dût trop sourire. Oreste se pencha vers elle, surjouant de ses yeux bleus :

— Répondez-moi sincèrement, Maline. Est-ce que je vous plais, au moins un peu ?

Son va-tout, pensa Maline. Tapis ! comme on dit au poker.

Maline savait qu’elle devait être franche. C’était le meilleur service à lui rendre. Taper fort pour fissurer un peu sa coquille de prétention :

— Vous êtes encore un enfant, Oreste. A mes yeux, au moins. Non Oreste, vous ne me plaisez pas…

Elle marqua un silence et enfonça le clou :

— Lorsque vous m’avez appelée, tout à l’heure, je faisais l’amour avec un autre homme.

Oreste encaissa. Sans un mot, il prit le temps de finir sa bouchée, de vider son verre. Il se leva et posa sa serviette sur la chaise en rotin :

— Je crois que je vais aller me coucher. Je crois que c’est ce que j’ai de mieux à faire, non ? Merci de la leçon, mademoiselle Abruzze. Demain matin, je vais sans doute vous haïr… Mais pour l’instant, bizarrement, vous continuez à me plaire. Terriblement même. Ne changez pas Maline. Restez différente.

Sans un autre mot, sans un autre regard, il entra dans l’hôtel, s’approcha de l’accueil.

— Chambre 25, demanda-t-il à une très jolie hôtesse brune à peau mate, sans lever sur elle ses yeux bleu délavé.