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Oreste avait indiqué à l’hôtesse le numéro de sa chambre suffisamment fort pour que Maline entende. Ce petit coq n’avait décidément rien compris.

Elle le vit s’éloigner vers le fond du couloir et attendre devant l’ascenseur. Elle aperçut aussi sa main plonger dans sa poche, sortir un mouchoir, se le passer sur les yeux, discrètement.

L’ascenseur l’avala.

Oreste ne jouait plus la comédie. Maline pensa aux beaux yeux clairs, mouillés, du garçon.

Etait-elle son premier chagrin d’amour ?

Maline se sentait flattée, malgré tout. Elle sortait d’un désert affectif et sexuel de six mois, et dans la même soirée, un homme lui faisait la cour… et elle faisait l’amour avec un autre.

Elle avait un peu faim, finalement. Elle savait que le salon de thé du Vieux Carré était réputé : elle commanda un échantillon de pâtisseries.

Chambre 25  ?

Oreste était-il en train de pleurer dans sa chambre ? De la maudire ? D’assouvir son désir en pensant à elle ?

Il l’avait bien cherché, après tout.

Il méritait sa punition !

Maline se lécha les doigts, se délectant jusqu’au bout des délicieuses pâtisseries.

Chambre 25  ?

Après tout, ce jeune prétentieux était plutôt touchant. Avec son air de grand journaliste prêt à faire tourner le monde dans l’autre sens, il lui rappelait quelqu’un, quinze ans plus tôt. Une jeune journaliste sortie de la même école, qui ne s’appelait pas encore Maline à l’époque… Une jeune journaliste qui avait payé cher, très cher, son arrogance.

Ce jeune journaliste était plutôt mignon, aussi.

Maline décida de lever la punition.

Chambre 25  ?

Maline se leva, alla voir l’hôtesse d’accueil, qui était encore plus jolie de près.

Oreste avait vraiment de la merde dans les yeux !

Tant pis pour lui ! Tant mieux pour elle !

Maline demanda à l’hôtesse de lui passer la chambre 25.

Le sang du tigre

35. Mort à microcrédit

1 h 33, la chapelle Bleue, Caudebec-en-Caux

Paskah Supandji se faufila discrètement dans l’obscurité. Il se méfiait. Il n’avait pas confiance en ce rendez-vous, en pleine nuit, dans cet endroit inconnu.

La chapelle Bleue.

Il avait bien compris le message, il avait suivi strictement les instructions, dans ce petit village de Villequier. Les vers de Victor Hugo, la tombe gravée, le vitrail de l’église, le livre qu’il avait signé d’un crocodile et d’un requin, les symboles de sa ville, son port, Surabaya.

Paskah Supandji se fit la réflexion qu’à Villequier, c’était la première fois qu’il était rentré dans une église catholique. Dans son village, sur l’île de Java, il n’y avait que des mosquées et des temples bouddhistes.

Il avança encore dans le noir. La seule lueur était l’étrange lumière bleue de la chapelle, au-dessus de la Seine. Méfiant, Paskah Supandji avait appris ce qui était arrivé à Carlos Jésus Mungaray, Aquilero.

Il avait été poignardé.

Pourquoi ? Par qui ?

Il devait rester sur ses gardes. Leur projet attirait toutes les convoitises, c’est certain. Il épia les bruits de la nuit. Il avait des yeux de chat, sa mère le lui avait souvent dit. Sur le Duwaruci, c’est toujours lui qu’on appelait pour les vigies nocturnes. Si quelqu’un venait, il le verrait le premier.

Il fallait bien prendre des risques. Ce projet, c’était la chance de sa vie. Il s’était trouvé là au bon endroit et au bon moment, avec ces trois autres marins.

La chance de sa vie.

Il ne fallait pas la laisser passer.

Il pensa à son petit village de pêcheurs de Djuwana. A sa famille. Sa mère, ses grands-parents, ses frères et sœurs. Il savait déjà ce qu’il ferait du butin quand il l’aurait ramené chez lui. Il s’était renseigné à Surabaya, il avait même les plans. Son butin lui permettrait d’acheter une pêcherie, une vraie, une pêcherie industrielle. Ils pourraient saler le poisson, le conserver, le vendre plus loin, dans les villes. Sa mère, ses sœurs ne vivaient depuis des années que de microcrédits, quelques milliers de rupiah, une misère.

Un bruit dans son dos lui fit dresser l’oreille. Il devait être plus de la demie, maintenant. Les autres n’allaient pas tarder à arriver. Un frisson soudain lui monta jusqu’à la nuque. Il repensa à Aquilero poignardé. Le butin, ils n’étaient plus que trois à se le partager, maintenant. Ce n’est pas seulement une pêcherie qu’il pourrait offrir à sa famille, dans quelques semaines, c’est un village entier, avec des maisons, des toits, un hôpital.

Il rentrerait bientôt à Djuwana, riche.

Il fallait faire confiance aux deux autres. Il n’avait pas le choix. Aquilero était différent. Aquilero était un chien fou, incontrôlable. Il avait plongé dans la Seine, juste au bon endroit, devant tout le monde. Mais les deux autres étaient fiables. Ils avaient tous signé la chasse-partie, échangé leur sang, tatoué leur symbole respectif sur l’épaule. Ils étaient liés !

Pourquoi douter ?

Parce qu’Aquilero était mort poignardé !

Pour le faire taire ? Qui pouvait en avoir le cran ? Le russe, Sergueï ? Non, cela ne lui ressemblait pas. Il n’était pas un tueur.

Morten ? Paskah hésitait… Il était le plus violent d’entre eux c’est certain. Mais ils étaient tous liés par la chasse-partie. Aucun d’entre eux n’aurait enfreint le contrat. Il garantissait la solidarité entre eux, le partage égal du butin.

Paskah Supandji, aux aguets, entendit un léger bruit, sur le gravier, sur sa droite. Il se recula, scrutant l’obscurité. Sa main se posa sur son couteau, le long de sa cuisse.

Il chuchota :

— Sergueï ? Morten ?

Un nouveau bruit de gravier, à sa droite, fut la seule réponse. Il fit sauter la lanière de sécurité de son couteau. Il se retourna lentement vers le bruit.

Il avait des yeux de chat ! Si quelqu’un s’approchait, il serait le plus rapide. Il était agile, il savait se servir d’un couteau. Il scruta la pénombre devant lui.

Il n’y avait personne, juste la lueur bleue de cette chapelle.

Paskah Supandji ne pensa pas que le bruit de gravier, sur sa droite, pouvait provenir d’autres graviers, lancés dans l’obscurité par une ombre… derrière lui.

Paskah Supandji avait des yeux de chat, mais pas dans le dos.

Le matelot indonésien poussa un cri rauque lorsque le poignard s’enfonça dans le bas de son omoplate et lui entailla le cœur. D’un geste désespéré, il se retourna et lança son couteau devant lui.

Il toucha son agresseur, au bras.

Du sang gicla. Par terre, sur lui.

L’agresseur recula.

Paskah se redressa avec l’énergie du désespoir et essaya de porter un second coup, mais son bras refusa de lui obéir.

Sa poitrine explosait.

Ses doigts, à leur tour, ne répondirent plus, s’ouvrirent un par un, malgré lui.

Son couteau tomba dans le gravier.

Ses yeux de chat se brouillèrent.

Il ne vit pas le visage de son meurtrier qui avançait vers lui. Il ressentit simplement la douleur, atroce, d’une lame qui s’enfonçait dans son cœur.

Le petit village de pêcheurs de Djuwana ne verrait jamais s’ériger de pêcherie industrielle ou d’hôpital. Sa mère et ses sœurs continueraient de vivre de microcrédits.

Un de plus pour financer la tombe de Paskah.