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— Allo, Maline ? Je viens d’avoir une info du commissariat. On vient de retrouver un second marin de l’Armada assassiné ! A Caudebec-en-Caux, devant la chapelle Bleue, juste à côté de la Barre-y-Va. Toute la police est en train de foncer sur place !

La chapelle Bleue.

Maline toucha du bout de ses doigts, au fond de sa poche, la feuille arrachée au livre d’or de l’église de Villequier.

« R.V. à la chapelle – 1 h 30 ».

Un message écrit avec une encre noire, à l’exception d’un seul mot, chapelle, en bleu.

C’était évident, quand on savait.

Elle aurait pu savoir.

Oreste avait tout entendu, tout compris. Il secoua la journaliste avec énergie :

— Vous ne pouviez pas savoir, Maline ! Personne ne pouvait deviner ! Vous n’êtes pas responsable de la fatalité. C’est cela, Maline, la véritable arrogance, se sentir responsable de la fatalité. Secouez-vous Maline, il faut qu’on se rende à cette chapelle Bleue. Vous êtes sans doute la seule personne à pouvoir empêcher que la liste des assassinats ne s’allonge encore.

* * *

Après Caudebec-en-Caux, la Modus du SeinoMarin tourna à droite en direction d’une route étroite, au dessus de la Seine, menant à la chapelle Bleue et la Barre-y-Va. Maline et Oreste remarquèrent un grand camion blanc, très allongé, qui occupait la moitié de la route.

Ils durent se garer en bas de la côte et finirent le trajet à pied.

Le dispositif policier était impressionnant. Une dizaine de gyrophares illuminait la falaise de la Seine. Des dizaines d’hommes s’affairaient.

Un premier barrage de police, à trente mètres de la chapelle Bleue, les arrêta.

Maline et Oreste montrèrent leur carte de presse, mais rien n’y fit. Les ordres étaient formels.

Maline soupira, puis demanda au policier en faction, un flic bedonnant à l’air mal réveillé :

— Est-ce que le commissaire Paturel est arrivé ?

— Bien entendu. Mais ça m’étonnerait qu’il ait le temps de recevoir la presse pour l’instant !

— Allez lui demander, insista Maline d’une voix autoritaire. Dites que Maline Abruzze veut lui parler !

Le policier haussa les épaules. Il revint cinq bonnes minutes plus tard, traînant le pas.

— Il est désolé. Il dit que la zone est interdite à la presse, qu’il ne peut pas faire d’exception, même pour vous. Il vous demande d’attendre derrière la barrière. Il va passer tout à l’heure.

Maline n’avait aucune envie de rester dans la salle d’attente. Elle tira de sa poche la feuille déchirée du livre d’or de l’église de Villequier et la confia au flic fatigué :

— Allez porter cela au commissaire. Dites-lui que c’est de la part de Maline Abruzze. Il comprendra.

— Puisque je vous ai dit que…

— Allez porter cela au commissaire, bordel ! hurla Oreste.

Le flic ne souhaita pas affronter le regard d’Oreste et repartit, la feuille à la main, grognant quelque chose comme « je n’ai pas que cela à foutre moi ».

Moins d’une minute plus tard, le commissaire Paturel surgissait, brandissant la page arrachée, hurlant :

— Où avez-vous trouvé ça ?

Maline ne révéla rien avant que Gustave Paturel ne les fasse entrer, elle et Oreste, sur les lieux du crime.

La lueur du vitrail bleu de la chapelle se confondait maintenant avec celle des gyrophares. De puissants spots halogènes éclairaient la scène du crime. La légère brume qui remontait du fleuve, une cinquantaine de mètres en contrebas, blanchie artificiellement par les lampes, donnait aux lieux une atmosphère de film d’horreur.

Maline raconta l’ensemble de son périple de la veille, ne négligeant aucun détail, y compris la poursuite perdue avec le motard. Le commissaire écouta, attentif. Lorsque Maline eut terminé son récit, il prit un air rassurant de père de famille :

— Joli travail, mademoiselle Abruzze. Ça va nous avancer. Je ne vais pas vous emmerder avec le fait que vous auriez pu nous apporter cette feuille hier soir. On est tellement débordés que jamais on n’aurait pensé à quadriller cette chapelle Bleue avant cette nuit.

Maline lui en fut reconnaissante. Paturel continua :

— Vous avez peut-être croisé l’assassin, hier, dans l’église de Villequier. Les types de la police scientifique vont pouvoir dresser un portrait-robot. Vous passerez tout à l’heure dans le camion.

— Vous aussi, ajouta-t-il en s’adressant à Oreste.

Oreste répondit par un sourire coincé. Le journaliste parisien ne disait rien, restait discrètement dans l’ombre, mais Maline savait d’expérience qu’il enregistrait chaque détail de la scène… Même s’il devait amèrement regretter d’avoir laissé son Palm dans sa chambre d’hôtel. Maline se demanda si elle n’avait pas fait entrer le loup dans la bergerie, et si toute cette affaire, dans ses détails les plus confidentiels, n’allait pas se retrouver dès ce soir à la une du plus grand journal de France...

Tant pis, ce n’était plus la priorité.

Il fallait qu’elle sache, elle aussi.

— Commissaire, qu’est-ce qui s’est passé ici, hier soir ? Vous me devez bien ça ?

Le commissaire prit un air gêné. Il devait coordonner l’enquête.

— Ne bougez pas, fit-il, je vous envoie tout de suite l’inspecteur Stepanu.

L’inspecteur Stepanu n’arriva que dix bonnes minutes plus tard, avec un air préoccupé de circonstance :

— Le commissaire m’a dit de tout vous raconter.

Il jeta un coup d’œil méfiant à Oreste Armano-Baudry.

Ce flic était un instinctif !

Maline lui indiqua qu’il pouvait parler devant Oreste. Elle n’avait pas le choix si elle voulait en savoir plus.

— Nous avons identifié la victime, commença Stepanu. L’homme avait ses papiers sur lui. Il s’agit d’un matelot indonésien du Dewaruci, Paskah Supandji. Il a été poignardé, avec le même type d’arme que celle qui a servi à tuer avant-hier le matelot mexicain, Mungaray.

— On a retrouvé l’arme du crime ?

— Non… Par contre, Paskah Supandji s’est défendu. Il était armé d’un couteau et il a touché son agresseur. On a des traces de sang de l’assassin sur le gravier, sur la main et le bras de Paskah Supandji. On a lancé les identifications ADN.

— Comment l’alerte a-t-elle été donnée ?

— La gardienne de la chapelle habite à côté. Elle est du genre insomniaque. Elle a entendu un cri vers 1 h 30, puis des bruits de lutte.  Elle a prévenu la gendarmerie. Elle était là en moins de dix minutes. Paskah Supandji était déjà mort.

— Et…

Maline hésita à poser la question. Il y a certaines choses qu’elle n’était pas censée connaître.

Elle observa le spectacle irréel du grand méandre de Caudebec s’éclairer au rythme des gyrophares. Elle prit sa décision. Elle avait déjà assez tergiversé comme cela dans cette affaire. Sarah Berneval était assez maligne pour ne pas être soupçonnée d’être la taupe.

— Inspecteur, est-ce que Paskah Supandji était tatoué ? A-t-il été lui aussi marqué au fer rouge ?

Ovide Stepanu la regarda d’un œil soupçonneux. Cette information n’avait jamais été diffusée à la presse. Cela dit, il y a longtemps que cette Maline Abruzze avait une longueur d’avance sur eux. Le commissaire faisait confiance à cette fille, il lui avait donné l’ordre de tout lui dire :

— On ne peut rien vous cacher, décidément. Oui, Paskah Supandji avait, tatoués sur l’épaule cinq animaux, un aigle, une colombe, un tigre, un crocodile et un requin. Comme Mungaray. Il a également été marqué au fer rouge, du même symbole que Mungaray, la marque « M< ». Il y a juste un détail, un détail que nous n’expliquons pas…