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Rituel obligé, elle consulta les messages de son téléphone portable.

Son père, pour une fois, n’en avait laissé aucun. Elle en fut presque déçue.

Elle tourna encore dans le lit de longues minutes.

Irrémédiablement, son esprit ne pouvait se détacher plus de quelques minutes de cette escalade meurtrière.

Cette affaire n’avait aucun sens. Cette histoire de double meurtre impossible tenait de la pure folie. Bien entendu, elle connaissait les scénarios des meilleurs thrillers, elle connaissait la solution classique à ce type d’énigme, des Rivières pourpres à Maléfices, lorsque les analyses ADN se heurtent à une telle impasse : les enquêteurs ont affaire à des jumeaux, qui possèdent exactement les mêmes empreintes digitales et le même séquençage d’ADN. Un artifice scénaristique aussi invraisemblable qu’éculé !

Il y avait forcément une autre façon d’expliquer l’énigme, de résoudre l’équation en posant dans le bon ordre toutes les inconnues.

Sa dernière pensée en s’endormant fut qu’au moins, le lendemain matin, son rédacteur en chef, compréhensif, allait la laisser dormir sans la réveiller par un coup de téléphone intempestif.

* * *

Il était près de 5 heures du matin, et Sarah Berneval peinait à prendre en notes toutes les instructions du commissaire Paturel.

Comme la moitié du commissariat, elle avait été réveillée en pleine nuit.

— Je n’en ai rien à foutre, hurlait le commissaire Paturel à une dizaine de subalternes, vous me collez autant d’hommes qu’il le faut, mais je veux que les bandes de toutes les caméras fixes de l’Armada aient été visionnées avant demain matin. Je veux aussi trouver par quel moyen il est possible de se rendre de Caudebec-en-caux à Rouen, ou l’inverse, en moins d’un quart d’heure, alors vous allez me trouver un hélicoptère et il va me faire le trajet en sortant son chronomètre. Je veux aussi savoir s’il existe un moyen de se poser en pleine nuit en hélico à proximité de l’Armada sans que personne ne le remarque. Vous allez également me réveiller un passionné de motonautisme. Avec les 24 heures motonautiques de Rouen, ça ne manque pas dans la région. Vous me trouvez le meilleur, celui qui a le bateau le plus puissant et vous me le collez dans l’eau avec sa Formule 1 flottante. Il paraît que ces trucs-là vont jusqu’à 240 kilomètres-heure ! Caudebec-en-Caux - Rouen en un quart d’heure, c’est peut-être possible…

Juste en face, un téléphone portable collé à l’oreille, l’inspectrice Colette Cadinot regardait le commissaire avec des yeux désolés, comme si tout ce qu’il exigeait tenait de la démence.

Le commissaire explosa :

— Evite en plus de me regarder comme si je devenais dingue, Colette ! Si tu as une meilleure idée pour expliquer comment ce type a pu réaliser son double meurtre, je suis preneur !

Elle n’en avait aucune.

Sarah Berneval tendit à nouveau son téléphone au commissaire :

— Quoi ? hurla encore le commissaire. Ne venez pas me dire qu’en plus, vous n’avez pas réussi à trouver de baby-sitter pour mes gosses lorsqu’ils vont se réveiller ! Sinon, j’envoie un fourgon et je les amène dans votre bureau, Sarah. Et je mets trois plantons à jouer aux gendarmes et aux voleurs avec eux. Au point où l’on en est…

Sarah Berneval se contenta de répondre par un visage professionnel, sans émotion visible :

— Vos enfants sont entre de bonnes mains commissaire. Une certaine Gwendoline… Une perle… Enfin… Il ne s’agit pas de cela.

Elle tendit encore le téléphone :

— C’est l’avocat de Daniel Lovichi. Il exige que son client soit immédiatement remis en liberté.

40. Le naufrage du Télémaque

Tard dans la nuit, quelque part dans l’agglomération rouennaise

L’homme rentra en silence et alla directement se laver les mains et le bras. Le sang coula dans l’évier.

— C’est grave ? demanda une voix féminine.

— Non, ce n’est rien. C’est superficiel. Ce salopard de marin indonésien était sur ses gardes…

Il marqua un long silence :

— Mais la police dispose de mon ADN, maintenant…

— Ils n’ont aucune raison de te soupçonner, tu le sais bien. Ne bouge pas, je vais désinfecter la plaie.

Le contact de l’alcool sur la plaie fit grimacer l’homme :

— Tu as raison. La malédiction s’est accomplie cette nuit, c’était le principal. Les flics vont tourner en rond pendant un bon moment avant de comprendre notre double meurtre. Cela va nous laisser le temps de tout terminer aujourd’hui. Il reste un dernier témoin à éliminer.

— Tu as sommeil ? demanda la voix féminine.

— Non… Pas encore.

Le bras bandé, l’homme s’installa dans le canapé blanc. La femme se pencha sous la table du salon, ouvrit le tiroir. Sa main attrapa un DVD :

— Le Télémaque ? C’est de circonstance, non ?

L’homme sourit. La main féminine mit en route le DVD et actionna la télécommande.

* * *

L’immense écran s’ouvrit sur un magnifique cloître Renaissance.

Au centre du cloître, un buffet était dressé, et une foule assez compacte, vêtue avec beaucoup d’élégance se pressait autour. Au-dessus du cloître, des lettres rouges sur une grande banderole : « Cloître des pénitents. “Exposition Mémoires et protection de la Seine”. Agence régionale de l’Environnement de Haute-Normandie. 10-13 mai 2001 ».

Le film bougeait beaucoup, comme s’il était tourné en caméra cachée.

Un individu barbu et bedonnant, dont l’accoutrement négligé tranchait avec la distinction de l’assemblée, s’approcha d’un groupe de trois femmes d’un âge certain, qui tenaient toutes un verre de champagne à la main. Les bijoux qu’elles arboraient donnaient une idée assez précise de la classe sociale à laquelle elles appartenaient.

On reconnaissait en l’homme barbu Pierre Poulizac, Ramphastos. Il se lança à l’abordage du groupe de femmes.

— Je vois, mesdames, que vous avez sorti vos plus beaux bijoux…  Ils sont du plus bel éclat dans cet écrin Renaissance, vous ne trouvez pas ?

Les trois femmes, surprises, hésitèrent un instant sur la conduite à tenir devant l’opportun :

— Monsieur ?

— Pierre Poulizac. Mais mes amis m’appellent Ramphastos. Pirate en retraite, pour vous servir. Vous n’avez donc plus rien à craindre pour vos bijoux, mes belles dames.

Une des trois femmes éclata de rire et les deux autres durent suivre. Ramphastos n’était pas très beau à voir, mais il avait une voix de velours et sa conversation avait toutes les chances de rompre la monotonie oisive des belles dames. Ramphastos observa d’un œil expert les joncs d’or et les boucles d’oreilles de ses auditrices.

— Lepage, sans aucun doute. Encore aujourd’hui la plus grande bijouterie de Rouen... Savez-vous mesdames qu’en 1663, le jeune orfèvre rouennais, Lepage, a ciselé une couronne d’or pour un rajah des Indes avec lequel le port de Rouen commerçait. La couronne est-elle arrivée à bon port ? Qu’est-elle devenue ? Nul ne le sait… Voyez mes belles dames, vous n’avez rien à craindre de moi. Je suis un pirate cultivé. Il y a longtemps que les pirates ne sont plus de dangereux anarchistes révolutionnaires.

Il se rapprocha de celle qui avait ri aux éclats à la première réplique, une blonde fanée encore habillée avec un soupçon de fantaisie, qui lorsqu’elle était jeune, dans ce type de réception, devait attirer autour d’elle un essaim de courtisans. Ramphastos lui souffla sa mauvaise haleine dans la nuque :