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Nom de Dieu ! Il ne s’attendait pas à cela !

— C’est… C’est récent cette brûlure ? articula le commissaire.

— Selon les légistes, répondit Stepanu, à peu près l’heure de la mort. Soit un peu avant la mort, soit un peu après… On en saura plus dans quelques heures. Je vous l’accorde commissaire, le détail a de l’importance. Surtout pour ce pauvre garçon d’ailleurs.

Des gouttes de sueur perlaient sur le front du commissaire Paturel.

Cette fois-ci, il y était, dans la merde !

A ce rythme-là, la thèse du crime passionnel ou crapuleux n’allait pas tenir longtemps. Il osait à peine imaginer l’hypothèse d’un sadique en liberté. En pleine Armada, au milieu de millions de touristes.

Il fallait que cela tombe sur lui !

La somme d’ennuis en perspective lui donna le vertige. Il n’osait même plus affronter du regard la foule de curieux. Avec un peu de malchance, un journaliste avait tout vu.

— On sait ce que représentait le tatouage qui a été brûlé ? demanda le commissaire d’une voix blanche.

— Oui, répondit Stepanu presque avec entrain. Il n’y a pas de doute. C’était un aigle.

— Aquilero, fit l’inspectrice Cadinot, s’imposant dans la conversation. Aquila signifie aigle en espagnol. L’aigle, c’était lui… C’est lui qu’on a voulu brûler… Une vengeance ?

Des gouttes de sueur coulaient maintenant dans le bas du dos du commissaire Paturel. Tout allait trop vite. Pourtant, Stepanu ne lui laissa aucun répit et enfonça encore un peu plus le clou :

— Au risque de paraître rabat-joie, il y a encore autre chose, commissaire.

Paturel aurait aimé être blasé. Il ne l’était pas.

— Quoi ?

— La brûlure… Elle n’est pas banale… La chair donne l’impression d’avoir été marquée au fer rouge. Un peu comme on marque une bête… Et…

Il hésita à continuer.

— Et ? insista malgré lui le commissaire.

— Selon les légistes, la brûlure présente une forme, comme une signature.

Il sortit une page d’agenda déchirée de sa poche.

— Une signature qui ressemble à cela.

Paturel et Cadinot se penchèrent. L’inspecteur Stepanu tendit devant leurs yeux le dessin suivant : M<.

Un M et une sorte de V penché sur le côté…

— J’ai déjà balancé le symbole par le net à Paris, indiqua Stepanu. Ils vont faire des recoupements. Ils ont des cryptologues. Il s’agit peut-être d’un symbole cabalistique, d’un truc religieux, d’une secte, je ne sais pas quoi… Ils ont des banques de symboles…

Le commissaire Paturel n’écoutait plus son inspecteur. Il n’avait pas besoin de tous ces détails.

Il sentait les pavés des quais glisser sous ses pieds.

Il fixa son regard sur le drapeau mexicain en berne, puis regarda Colette Cadinot.

Elle aussi avait compris.

Comme le commissaire, elle habitait le pays de Caux depuis longtemps. Elle connaissait l’histoire de l’estuaire de la Seine. Ses légendes, ses traditions. Nul besoin d’experts parisiens et de banque de données. Le commissaire et son inspectrice savaient parfaitement à quoi correspondait ce mystérieux symbole.

M<

D’où il venait et ce qu’il signifiait.

Pourtant loin d’éclairer le mystère, il le rendait plus épais encore.

Insondable. Invraisemblable.

— Bordel, fit le commissaire. Pas un mot de tout ceci à la presse ! Black-out total. La seule piste officielle, c’est le crime passionnel et l’appel à témoin, en particulier cette fille blonde qui est sans doute la dernière à avoir vu Mungaray vivant. Officiellement, on mise tout là-dessus !

Le commissaire pensait en avoir terminé avec les émotions. Pouvoir se ressaisir, s’organiser.

Le pire était pourtant à venir.

Au moment où la police scientifique se penchait à nouveau sur le corps du jeune Mexicain, un téléphone portable sonna.

A moins d’un mètre d’eux.

Chacun se regarda. Personne ne décrocha.

De longs instants s’écoulèrent, rythmés par la sonnerie insistante.

— Bordel, hurla le commissaire, est-ce que le propriétaire de ce téléphone peut se donner la peine de répondre ?

— Ça va être difficile, glissa sobrement Ovide Stepanu.

Le commissaire se rendit compte que tous les regards étaient tournés vers le corps étendu sur les quais de la Seine.

La sonnerie provenait de la poche du cadavre.

Quelqu’un cherchait à entrer en conversation téléphonique avec un mort !

5. Colombages et gueule de bois

7 h 30, 13, rue Saint-Romain, Rouen

Maline Abruzze dormait d’un sommeil de plomb lorsque le téléphone sonna. Elle aventura une main hors de son lit pour attraper l’appareil. Une voix enjouée lui déchira le tympan :

— Debout, citoyenne !

La journaliste identifia immédiatement la voix de son rédacteur en chef, Christian Decultot. Elle ne prit même pas la peine de répondre et le laissa débiter sa tirade :

— Maline ? Tu es là ? Je ne te réveille pas tout de même ? Allez ! Oust ! Rapplique au journal. Dans mon bureau dans une demi-heure. J’ai un scoop pour toi !

— Hein ? fut tout ce que réussit à émettre la voix mal réveillée de Maline.

— Allez ma belle. Une douche et au rapport. Un scoop je te dis. On a un meurtre sur les bras ! Le meurtre d’un marin, cette nuit, au beau milieu des quais de Rouen.

Le rédacteur en chef raccrocha.

Maline peinait à sortir de sa torpeur.

Un crime ? Un marin ? Sur les quais ?

Sans doute un banal règlement de comptes… Pas de quoi s’exciter.

Elle tenta de se redresser dans son lit. Sa tête lui faisait atrocement mal. Elle repoussa les draps et s’assit au bord du lit. Maline se sentait vidée.

Un orchestre semblait encore jouer la fanfare dans sa tête. Des restes du concert de la veille.

Les pensées de la journaliste s’échappèrent quelques instants vers la nuit précédente. Après l’immense concert sur les quais de Rouen, le traditionnel feu d’artifice, elle avait fini la soirée dans un petit pub de Déville-lès-Rouen. Le programme off de l’Armada. Un groupe local de blues, Rock en Stock, avait enfilé les standards jusqu’au petit matin.

Maline tenta de se lever. Elle tituba un peu. Elle s’approcha de la fenêtre de son appartement, sans même se soucier de sa nudité. Il faisait une chaleur étouffante dans les appartements du centre-ville. Dans sa tête, des hululements fantomatiques répondaient à une sorte de rythmique infernale. Des percussions qui lui semblaient rebondir sur les parois de son crâne.

Le leader du groupe de blues, après une dizaine de rappels, avait entamé un dernier morceau en hommage à la commune du concert. Déville… Le fameux Sympathy for the devil, des Stones. Avant ce soir, Maline ne s’était jamais fait la réflexion que la commune qui s’étendait le long du Cailly portait le nom du diable… Amusant. L’improvisation sur le standard des Rolling Stones avait duré près de trois quarts d’heure. Tout le public du bar avait accompagné les musiciens par des « hou hou » lancinants, attrapant tout ce qui pouvait servir à faire du bruit pour accompagner les percussions vaudoues. Maracas improvisées, cuillers pour frapper sur des verres, phalanges et paumes sur les tables…. Des filles étaient debout sur les chaises, décoiffées en tigresses, adoptant des poses félines, devant des garçons s’essayant à des déhanchements de zombies haïtiens.

Maline colla son visage à la fenêtre. Il faisait déjà beau. Elle jeta un cachet d’aspirine dans un verre d’eau et soupira.