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Retenu par son seul bras blessé, Voranger sentit la poutre de bois verni lui échapper. Il fit un dernier effort pour agripper un cordage, mais il tombait trop vite.

Son corps se disloqua une première fois en heurtant la vergue médiane, pour tomber ensuite comme une pierre sur l’immaculé pont latté du voilier italien, cinquante mètres plus bas, éclaboussant de sang la barre de cuivre et de bois verni.

Les plus de trois cents marins du vaisseau formèrent rapidement un cercle autour du corps désarticulé. Un officier perça l’attroupement, dispersa les marins, les renvoyant chacun à leur tâche par des ordres qui ne souffraient d’aucune discussion. Il imposa à deux infortunés marins près de lui de porter le corps sans vie dans une cabine funéraire, et à un troisième, pas plus enthousiaste, de nettoyer le pont et la barre de cuivre.

* * *

Les deux marins italiens déposèrent le corps sans vie sur un lit, dans une cabine inoccupée. Le plus jeune des deux marins, à peine majeur, ne supporta pas plus longtemps la vue de ce corps déchiqueté, ce visage tuméfié, cette poupée molle aux os brisés qu’il avait dû porter et dont l’odeur de mort l’imprégnait déjà. Il courut vomir dans les toilettes dès que le cadavre fut jeté sur le lit.

Fabrizio Longini resta seul un instant face au cadavre.

Fabrizio venait d’une famille très croyante. Curieusement, il avait envie de faire une courte prière pour cet homme, comme sa mère le lui avait appris, même si on lui avait raconté qu’il s’agissait du tueur de marins.

Un monstre.

Fabrizio ôta respectueusement son bonnet. Il allait joindre ses mains lorsqu’il remarqua un fait étrange : le cadavre désarticulé conservait un de ses poings fermés, comme s’il tenait encore un objet précieux au creux de sa main.

Il s’avança.

Cette vision lui fit penser à la dépouille de sa grand-mère, Federica, qu’il avait veillée toute une nuit lorsqu’il était adolescent. Federica était morte elle aussi le poing serré, sur son chapelet. Doucement, avec un courage qui le stupéfia lui-même, Fabrizio écarta un à un les doigts du cadavre.

Ce qu’il découvrit aiguisa sa curiosité.

Le tueur tenait dans son poing fermé une clé électronique, une de ces minuscules clés qui se connectent à un ordinateur et qui peuvent contenir jusqu’à plusieurs gigas d’informations. Fabrizio prit la clé dans ses mains.

Elle était encore chaude de la paume serrée du cadavre.

Fabrizio n’éprouva même pas le début d’un dégoût. Il pensait vite. Il connaissait les légendes qui couraient sur les navires : les quatre matelots poignardés recherchaient un trésor, un butin, caché dans les méandres de la Seine. Leur assassin ne voulait pas qu’ils découvrent la vérité.

Beaucoup de marins sur le pont, aujourd’hui, ne croyaient plus à ces légendes.

Fabrizio, lui, croyait.

Dans les mythes, dans le destin, en sa fortune.

Les victimes, comme l’assassin, étaient tous morts, désormais.

Tous les témoins étaient disparus.

Un bruit d’eau lui indiqua que le jeune cadet allait le rejoindre dans la cabine mortuaire.

Fabrizio esquissa un sourire discret.

Doucement, son poing se referma sur la petite clé électronique.

Epilogue

65. Parade

16 h 23, Aizier, route des Chaumières

Maline était allongée dans l’herbe fraîchement coupée de la jolie chaumière normande de Christian Decultot, entre les communes d’Aizier et de Vieux-Port, sur la route des chaumières normandes.

De son pied nu, elle essayait d’attraper une pâquerette.

La pelouse descendait en pente douce jusqu’à la Seine, comme un petit amphithéâtre de verdure sur le spectacle des voiliers en Seine.

— Arrête de bouger, fit Olivier Levasseur. Repose-toi un peu !

Olivier Levasseur lui faisait office d’oreiller. Maline appréciait toujours autant son odeur, son calme, sa force raisonnable.

Dans le méandre de la Seine, l’immense Dar Mlodziezy surgit toutes voiles déployées. Blanc de la coque aux voiles en passant par l’uniforme des cadets, le trois-mâts polonais souleva un tonnerre d’applaudissements. Les cadets polonais, dont certains avaient à peine seize ans, gonflaient leur poitrine d’être ainsi acclamés par une foule continue sur plusieurs dizaines de kilomètres.

Juste devant Maline, des enfants agitaient avec énergie une banderole sur laquelle était écrit « merci - au revoir » en polonais. Ils avaient visiblement préparé la formule dans plus d’une vingtaine de langues !

Ces enfants rappelèrent à Maline Léa et Hugo, les deux enfants du commissaire Gustave Paturel. Elle ne les avait jamais vus, mais elle savait qu’en ce moment, ils étaient quelque part sur le bord de la Seine en compagnie de leur père enfin disponible, applaudissant eux aussi chaque voilier !

Promesse tenue  ! 

Elle devait une fière chandelle au commissaire. Il n’avait obtenu les aveux de la fille de Voranger, Marine Barbey, qu’à la toute dernière minute. Le commissaire avait garé en catastrophe sa Subaru sous le pont Flaubert et tenté un coup de poker…

Il était seul.

Aucun tireur d’élite n’était en place sur les silos.

Si le profileur Joe Roblin, malgré toutes ses brillantes déductions, s’était fait manipuler par Serge Voranger du début à la fin, le commissaire Paturel pouvait se vanter, à l’inverse, d’avoir pris le tueur en série à son propre piège !

Le Dar Mlodziezy s’approchait. Maline avait fini par abandonner la pâquerette, mais avait jeté son dévolu sur une tige d’herbe bien longue avec laquelle elle taquinait l’oreille d’Olivier Levasseur. Le bel Olivier semblait faire une overdose de voiliers et n’avoir qu’une envie : faire la sieste dans l’herbe fraîche.

Un peu déçue du manque de réaction d’Olivier, l’esprit de Maline vagabonda. Elle avait appris tout à l’heure par le général Sudoku que l’association de l’Armada avait porté plainte contre Nicolas Neufville pour prise illégale d’intérêt.

Une bonne chose de faite !

Mais le message qui avait le plus surpris Maline était celui d’Oreste Armano-Baudry. Aussitôt que le jeune journaliste du Monde avait appris l’heureux épilogue des crimes de l’Armada, il avait téléphoné à Maline pour la féliciter :

— Sans rancune Maline. Je suis vraiment content que tu t’en sois sortie vivante ! J’ai beaucoup repensé à notre aventure et j’ai eu une idée géniale : il faut à tout prix qu’on en fasse un bouquin. J’ai déjà l’éditeur, un ami de mon père, il est prêt à le sortir avant la fin de l’année. Je peux le rédiger tout seul, bien entendu, mais j’ai pensé que toi aussi…

Maline avait éclaté de rire et lui avait raccroché au nez ! Elle savait qu’Oreste ne lui en voudrait pas et lui enverrait un exemplaire dédicacé de son best-seller…

Maline abandonna l’oreille d’Olivier et fit pénétrer la tige d’herbe dans sa narine gauche. Le chargé de relations presse grogna :

— Je dors…

— Tu y crois, toi, au butin de la Seine ? Au trésor ?

— Non, grogna Olivier. Seulement à celui de La Buse, mon ancêtre…

La tige s’enfonça dans l’autre narine, plus profondément.

— Réponds-moi ! Sérieusement !

— Aïe… Je ne sais pas moi. Peut-être… Je dors !

— Eh bien moi figure-toi, j’y crois… Tu veux que je te le décrive ?