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Penser à Allie et à son amour de la pop suscite brusquement une autre pensée, qui le fait se dresser tout droit sur son siège, les yeux écarquillés, les mains crispées sur les accoudoirs rembourrés du fauteuil.

Laisserait-il Allie se rendre à ce concert ce soir ?

La réponse est non, clairement non. Pas question.

Hodges consulte sa montre et constate qu’il n’est pas loin de seize heures. Il se lève, avec l’intention d’aller dire à Jerome d’appeler sa mère pour lui ordonner de garder les filles loin du MACC, peu importe qu’elles pleurnichent ou qu’elles râlent. Il a appelé Larry Windom et pris toutes les précautions, mais on s’en fout des précautions. Jamais il n’aurait remis la vie d’Allie entre les mains de Brutus. Jamais.

Il n’a pas fait deux pas en direction du bureau que Jerome s’exclame : « Bill ! Holly ! Venez voir ici ! Je crois que j’ai trouvé quelque chose ! »

22

Ils sont debout derrière Jerome, Hodges penché sur son épaule gauche, Holly sur son épaule droite. Un article de presse est affiché sur l’écran de l’ordinateur de Hodges.

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« Qu’est-ce que vous en pensez ? demande Jerome.

— Je crois que t’as trouvé. »

Une énorme vague de soulagement envahit Hodges. Pas le concert de ce soir, ni une discothèque bondée du centre-ville, ni le match de Petite Ligue de base-ball de demain entre les Groundhogs et les Mudhens. Non, c’est ce truc aux Suites Embassy. Ça ne peut être que ça, ça colle trop bien. Il y a de la méthode dans la folie de Hartsfield : pour lui, alpha égale oméga. Hartsfield a l’intention de poursuivre sa carrière de meurtrier de masse de la même manière qu’il l’a commencée, en tuant les sans-emplois de la ville.

Hodges se tourne vers Holly pour voir sa réaction mais Holly a quitté la pièce. Elle est retournée dans la cuisine s’asseoir devant le portable de Deborah Hartsfield et regarde fixement l’écran du mot de passe. Elle a les épaules voûtées. Dans la soucoupe à côté d’elle, une cigarette s’est consumée jusqu’au filtre, laissant un cylindre de cendre parfait.

Cette fois, il prend le risque de la toucher. « C’est bon, Holly. Peu importe le mot de passe puisque nous avons trouvé le lieu. Je vais appeler mon ancien coéquipier d’ici une heure ou deux, quand le ramdam de Lowtown se sera un peu tassé, pour tout lui raconter. Ils lanceront un avis de recherche sur Hartsfield et sa voiture. Et s’ils ne le chopent pas d’ici samedi matin, ils l’auront quand il s’approchera du forum de l’emploi.

— Il n’y a rien qu’on puisse faire ce soir ?

— Je suis en train d’y réfléchir. »

Il y a bien une chose, mais c’est tellement loin d’être gagné que ça n’a pratiquement aucune chance d’aboutir.

Holly dit : « Et si vous vous trompez en pensant que c’est la journée de l’emploi ? Et s’il prévoit de faire sauter un cinéma ce soir  ? »

Jerome entre dans la pièce. « On est jeudi, Hol, et c’est encore trop tôt pour les grosses productions de l’été. Y aura pas plus de dix, douze spectateurs dans chaque salle.

— Le concert, alors, dit-elle. Peut-être qu’il ignore qu’il n’y aura que des filles.

— Non, il le sait, dit Hodges. Il est du genre impulsif, mais il n’est pas stupide pour autant. Il aura planifié un minimum.

— Est-ce que je peux avoir un tout petit peu plus de temps pour essayer de craquer son mot de passe ? S’il vous plaît ? »

Hodges consulte sa montre. Seize heures dix. « D’accord. Jusqu’à seize heures trente, ça ira ? »

La lueur du marchandage s’allume dans les yeux de Holly. « Seize heures quarante-cinq ? »

Hodges secoue la tête.

Holly soupire. « Et j’ai même plus de cigarettes.

— Ces machins-là vont vous tuer », dit Jerome.

Elle lui adresse un regard placide. « Oui ! Ça fait partie de leur charme ! »

23

Hodges et Jerome partent en voiture au petit centre commercial qui fait l’angle de Harper et Hanover pour acheter un paquet de cigarettes à Holly et lui accorder la tranquillité dont elle a clairement besoin.

Une fois remonté dans la Mercedes grise, Jerome jongle avec les Winston et dit : « Cette voiture me fout la chair de poule.

— Moi aussi, avoue Hodges. Elle a pourtant pas l’air de déranger Holly. Sensible comme elle l’est.

— Vous pensez que ça ira pour elle ? Je veux dire, quand tout ça sera terminé ? »

Une semaine plus tôt, peut-être même deux jours, Hodges aurait donné une réponse vague et politiquement correcte mais Jerome et lui n’en sont plus là.

« Pendant un temps, oui, dit-il. Et puis… non. »

Jerome soupire, comme si ses craintes venaient d’être confirmées.

« Merde.

— Ouais.

— Alors on fait quoi ?

— On rentre donner à Holly ses clous de cercueil et on la laisse en fumer une. Puis on rembarque ce qu’elle a dérobé chez les Hartsfield. Je vous reconduis à Birch Hill. Tu la ramènes à Sugar Heights dans ta jeep, puis toi aussi tu rentres chez toi.

— Et je laisse maman, Barb et ses copines aller tranquillement au concert. »

Hodges expire bruyamment. « Si ça peut te rassurer, dis à ta mère de renoncer.

— Si je fais ça, j’évente tout le truc. » Il jongle toujours avec le paquet. « Tout ce qu’on a fait aujourd’hui. »

Jerome est un garçon intelligent et Hodges n’a pas besoin de confirmer ce qu’il vient de dire. Ni de lui rappeler que tout ça finira par se savoir d’une façon ou d’une autre.