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« Vous allez faire quoi, Bill ?

— Retourner dans le North Side. Garer la Mercedes à un ou deux blocs de chez les Hartsfield, par simple précaution. Rapporter l’ordinateur et le portefeuille de Mrs Hartsfield puis surveiller la maison. Au cas où il déciderait de revenir. »

Jerome paraît en douter. « Cette pièce au sous-sol donnait l’impression qu’il avait définitivement plié bagage. Quelles chances il y a qu’il revienne ?

— Pratiquement aucune. Mais c’est tout ce que j’ai. Jusqu’à ce que je remette tout ça entre les mains de Pete.

— Vous vouliez vraiment l’arrêter vous-même, hein ?

— Oui », dit Hodges. Et il soupire. « Oui, je voulais. »

24

À leur retour, ils trouvent Holly la tête sur la table, cachée entre ses bras. Le contenu démantelé du portefeuille de Deborah Hartsfield compose une ceinture d’astéroïdes autour d’elle. Le portable est toujours allumé et l’écran demande toujours obstinément le mot de passe. D’après la pendule au mur, il est seize heures quarante.

Hodges craint qu’elle ne proteste contre son projet de la ramener chez elle, mais Holly se redresse simplement, ouvre le paquet de cigarettes neuf et en sort lentement une. Elle ne pleure pas mais elle a l’air fatiguée et démoralisée.

« Vous avez fait de votre mieux, dit Jerome.

— Je fais toujours de mon mieux, Jerome. Et ce n’est jamais assez bien. »

Hodges ramasse le portefeuille rouge et commence à remettre les cartes de crédit à leur place. Probablement pas dans l’ordre où Mrs Hartsfield les avait rangées mais qui va le remarquer ? Certainement pas elle.

Il y a des photos dans un accordéon d’enveloppes transparentes et il les fait défiler d’un air absent. Voici Mrs Hartsfield dans les bras d’un solide gaillard à forte carrure en bleu de travail — peut-être l’absent Mr Hartsfield. Voici Mrs Hartsfield debout avec un groupe de dames rieuses dans ce qui semble être un salon de coiffure. Et là un garçonnet joufflu avec un camion de pompiers dans les mains — Brady à trois ou quatre ans sans doute. Et une dernière, une version réduite de la photo accrochée dans l’alcôve-bureau de Mrs Hartsfield : Brady et sa mère, joue contre joue.

Jerome la tapote et dit : « Vous savez à qui ils me font un peu penser ? À Demi Moore et, comment-il-s’appelle-déjà, Ashton Kutcher.

— Demi Moore est brune, dit Holly d’un ton sans réplique. Sauf dans GI Jane, où elle n’a carrément pas de cheveux puisqu’elle s’entraîne pour entrer dans les commandos SEAL. J’ai vu ce film trois fois, une fois au cinéma, une fois en vidéo, et une fois sur iTunes. Très sympa. Mrs Hartsfield est blonde. » Elle réfléchit, puis ajoute : « Était. »

Hodges fait glisser la photo hors de la pochette pour mieux la voir, puis la retourne. Soigneusement écrit au dos, il y a Maman et son Lapin, Sand Point Beach, Août 2007. Il se tapote la paume de la main deux ou trois fois avec la photo, s’apprête à la re-ranger, puis la passe à Holly.

« Essayez ça. »

Elle le regarde, sourcils froncés. « Essayer quoi ?

— Mon lapin. »

Holly tape, appuie sur ENTRÉE… et lâche un cri de joie fort peu hollyesque. Parce qu’ils sont entrés, ça y est. Juste comme ça.

Il n’y a rien qui mérite d’être remarqué sur le bureau : un carnet d’adresses, un dossier intitulé RECETTES PRÉFÉRÉES et un autre E-MAILS SAUVEGARDÉS ; un dossier de reçus de transactions en ligne (apparemment, elle payait la plupart de ses factures comme ça) et un album de photos (la plupart de Brady à des âges divers). Il y a beaucoup d’émissions télé dans iTunes, mais seulement un album de musique : Alvin et les chipmunks fêtent Noël.

« Oh là là, dit Jerome. Je voudrais pas dire qu’elle méritait de mourir mais… »

Holly lui adresse un regard menaçant. « Pas drôle, Jerome. Joue pas à ça. »

Il lève les mains en l’air. « Désolé, désolé. »

Hodges fait rapidement défiler les e-mails sauvegardés et ne voit rien qui soit digne d’intérêt. La plupart semblent provenir de vieux copains et copines de lycée de Deborah Hartsfield, qui l’appellent Debs.

« Rien sur Brady, dit-il, et il consulte sa montre. On ferait bien d’y aller.

— Pas si vite », dit Holly.

Elle ouvre le Finder. Tape BRADY. Il y a plusieurs résultats (beaucoup dans le dossier recettes, certaines étiquetées Préférées Brady), mais rien de notable.

« Essayez MON LAPIN », dit Jerome.

Elle le fait et obtient un résultat — un document profondément enterré dans le disque dur. Holly clique dessus. Là sont notées les tailles de vêtements de Brady, également la liste de tous les cadeaux de Noël et d’anniversaire que sa mère lui a offerts ces dix dernières années, très certainement pour éviter des doublons. Elle a noté son numéro de Sécurité sociale. Il y a aussi des copies scannées de ses certificats d’immatriculation et d’assurance automobile, et de son acte de naissance. Elle a fait la liste de ses collègues chez Discount Electronix et à l’usine de crèmes glacées Loeb’s. À côté du nom de Shirley Orton figure une mention qui ferait hurler de rire Brady : Peut-être sa p-a ?

« C’est quoi ce délire ? demande Jerome. Il est adulte, non ? »

Holly a un sourire sombre. « Je vous l’avais dit. Elle savait qu’il ne tournait pas rond. »

Tout en bas du dossier MON LAPIN se trouve un fichier intitulé SOUS-SOL.

« C’est ça, dit Holly. C’est obligé. Ouvre-le, ouvre-le, ouvre-le ! »

Jerome clique sur SOUS-SOL. Le document ne compte pas plus d’une dizaine de mots.

Contrôle = lumières

Chaos ? Ténèbres ?

Pourquoi ça marche pas avec moi ?

Tous regardent l’écran fixement pendant quelques secondes sans parler. Finalement, Hodges dit : « Je pige pas. Jerome ? »

Jerome secoue la tête.

Holly, visiblement hypnotisée par ce message laissé par la défunte, prononce un seul mot, presque trop bas pour qu’on l’entende : « Peut-être… » Elle hésite, en se mordillant les lèvres, et répète : « Peut-être. »

25

Brady arrive au Midwest Art & Culture Center juste avant dix-huit heures. Le concert ne commence pas avant une heure au moins, mais l’immense parking est déjà presque aux trois quarts plein. De longues files d’attente sont déjà formées devant les portes fermées du complexe et elles s’allongent de minute en minute. Des petites filles s’égosillent. Ça doit vouloir dire qu’elles sont contentes mais pour Brady, on dirait des hurlements de spectres dans une grande maison abandonnée. Impossible de ne pas regarder cette foule grandissante sans repenser à ce matin d’avril au City Center. Brady se dit, Si j’avais un Hummer au lieu de ce tas de merde japonais, je pourrais leur foncer dessus à quatre-vingts à l’heure, en tuer une bonne cinquantaine, puis appuyer sur l’interrupteur et expédier les autres dans la stratosphère.

Mais il n’a pas de Hummer, et pendant un bref instant, il ne sait même pas ce qu’il va faire ensuite — il ne faut pas qu’on le voie pendant qu’il fait ses ultimes préparatifs. Et puis là-bas, tout au fond du parking, il aperçoit une remorque de camion. La cabine a été retirée et le container est posé sur cales. Sur le côté est représentée une grande roue avec la mention ’ROUND HERE ÉQUIPE TECHNIQUE. C’est l’un des camions qu’il a vus dans la zone de déchargement lors de sa tournée de reconnaissance. Plus tard, après le concert, la cabine reviendra s’arrimer et emmènera la remorque derrière pour le réembarquement. Mais pour l’heure, elle paraît abandonnée.