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« Et s’il appelle le commissariat de quartier pour savoir ce qu’on fabrique ici ? » demande Jerome depuis la banquette arrière.

Hodges sourit. Un sourire sombre, mais un sourire quand même. « Je lui souhaite bonne chance pour joindre les flics ce soir. Allons-y. »

Il les précède dans l’allée étroite entre la maison et le garage et consulte sa montre. Dix-huit heures quinze. Il se dit, C’est fou comme le temps file quand on s’amuse.

Ils entrent dans la cuisine. Hodges ouvre la porte du sous-sol et tend la main vers l’interrupteur.

« Non, dit Holly. Laissez éteint. »

Il l’interroge du regard, mais Holly est déjà tournée vers Jerome.

« C’est toi qui dois le faire. Mr Hodges est trop âgé et moi je suis une femme. »

L’espace d’un instant, Jerome reste indécis, puis il pige. « Contrôle, c’est pour les lumières ? »

Elle hoche la tête. Son visage est tendu, ses traits tirés. « Ça devrait marcher si ta voix ressemble assez à la sienne. »

Jerome s’avance sur le seuil, s’éclaircit timidement la gorge et dit : « Contrôle. »

Le sous-sol reste obscur.

Hodges intervient : « Tu as une voix naturellement basse. Pas de baryton, mais basse. C’est pour ça que tu parais toujours plus âgé au téléphone. Essaye de relever un peu le timbre. »

Jerome répète le mot et les lumières du sous-sol s’allument. Holly Gibney, qui n’a pas vraiment eu une vie de sitcom jusqu’ici, rit et applaudit.

27

Il est dix-huit heures vingt quand Tanya Robinson arrive au MACC. Alors qu’elle rejoint la procession de véhicules, elle regrette de ne pas avoir écouté les filles et de ne pas être partie pour le concert une heure avant. Le parking est déjà aux trois quarts plein. Des employés en gilet orange dirigent la circulation. L’un d’eux lui fait signe d’aller à gauche. Elle obéit, roulant lentement et prudemment car elle a emprunté le Tahoe de Ginny Carver pour le safari de ce soir et la dernière chose qu’elle voudrait, c’est avoir un accrochage. Sur la banquette arrière, les filles sautent carrément d’excitation. Il y a là Hilda Carver, Betsy DeWitt, Dinah Scott et sa petite Barbara. Elles ont rempli le chargeur CD du Tahoe de leurs albums des ’Round Here (elles en ont six à elles quatre) et glapissent « Oh, j’adore cette chanson » chaque fois qu’un nouveau morceau commence. L’atmosphère est bruyante et stressante et Tanya découvre avec surprise qu’elle s’amuse énormément.

« Attention au monsieur handicapé, madame Robinson », dit Betsy en montrant du doigt.

Le monsieur handicapé est pâle, maigre et chauve, et il flotte presque dans son T-shirt trop grand. Il tient sur les genoux ce qui ressemble à une photo encadrée et Tanya Robinson aperçoit aussi une de ces poches urinaires suspendue à son fauteuil roulant. Un fanion des ’Round Here, planté dans une poche latérale, flotte avec une triste désinvolture. Pauvre homme, se dit Tanya.

« On pourrait peut-être l’aider, dit Barbara. Il va tellement lentement.

— Que tu es gentille, dit Tanya. Laisse-moi d’abord garer la voiture, et s’il n’est pas encore arrivé à l’entrée quand on revient, on l’aidera. »

Elle enfile le Tahoe de la mère de Hilda dans un emplacement libre et coupe le contact avec un soupir de soulagement.

« Oh là là, regardez tous ces gens qui font la queue  ! s’exclame Dinah. Il y a au moins un milliard de personnes !

— Sûrement pas autant, dit Tanya, mais on peut dire qu’il y en a beaucoup, oui. Les portes vont bientôt ouvrir et nous avons de bonnes places, alors pas de panique.

— Tu as toujours les billets, hein, maman ? »

Tanya fouille ostensiblement dans son sac. « Ils sont là, ma chérie.

— Et on pourra acheter des souvenirs ?

— Un chacune, et rien de plus de dix dollars.

— J’ai mes sous à moi, madame Robinson », dit Betsy comme elles descendent du véhicule.

Les fillettes sont un peu nerveuses à la vue de la foule qui enfle devant le MACC. Elles se serrent les unes contre les autres, et leurs quatre ombres forment une seule flaque sombre dans la lumière contrastée de ce début de soirée.

« C’est bien, Betsy, mais ce soir, c’est moi qui vous invite, dit Tanya. Maintenant, écoutez-moi, les filles. Vous allez me confier votre argent et vos téléphones pour plus de sécurité. Des fois, il y a des pickpockets dans ce genre de grands rassemblements. Je vous rendrai tout quand on sera assises à nos places. Mais une fois que le concert est commencé, plus de textos et plus d’appels : c’est bien compris ?

— Est-ce qu’on peut d’abord prendre une photo de nous, madame Robinson ? demande Hilda.

— Oui. Une chacune.

— Deux ! réclame Barbara.

— D’accord, deux. Mais dépêchez-vous. »

Elles prennent chacune deux photos, se promettant de se les envoyer plus tard par mail pour qu’elles aient toutes la série complète. Tanya aussi prend deux photos des quatre fillettes se tenant par les épaules. Elle se dit qu’elles sont bien jolies.

« Très bien, mesdemoiselles, par ici la monnaie et les bigophones. »

Les filles lui remettent une trentaine de dollars à elles quatre et leurs téléphones aux couleurs acidulées. Tanya met le tout dans son sac et verrouille le 4 × 4 de Ginny Carver d’une pression sur la clé électronique. Elle entend le clac rassurant des verrous qui s’enclenchent : un son qui évoque la tranquillité et la sécurité.

« Maintenant, écoutez-moi, mes petites fofolles. On va se tenir par la main jusqu’à ce qu’on soit arrivées à nos places ? Je veux vous entendre dire OK.

— OKAAY ! » hurlent les filles.

Et elles se prennent aussitôt par la main. Elles sont sapées de leurs plus chouettes jeans skinny et chaussées de leurs plus chouettes tennis. Elles portent toutes un T-shirt des ’Round Here et la queue-de-cheval de Hilda est nouée avec un ruban de soie blanc portant les mots J’AIME CAM en lettres rouges.

« Et on va s’éclater, OK ? Le plus beau moment de notre vie, OK ? Je veux vous entendre dire OK.

— OKAAAYYYY ! »

Satisfaite, Tanya les entraîne vers le MACC. Ça fait une trotte sur le macadam brûlant mais aucune d’elles ne semble s’en soucier. Tanya cherche des yeux le monsieur chauve en fauteuil roulant et l’aperçoit en train de se diriger vers la file d’attente handicapés. Celle-là est beaucoup plus courte, mais ça l’attriste quand même de voir tous ces gens brisés. Puis les fauteuils roulants commencent à avancer. Ils font entrer les personnes handicapées en premier, et elle se dit que c’est une bonne idée. Mieux vaut qu’ils soient tous installés ou presque avant que la cohue ne démarre.

Alors que sa petite troupe atteint le bout de la plus courte file de spectateurs valides (qui est quand même assez longue), Tanya observe le gars maigre et chauve qui se propulse sur la rampe handicapés et se dit que ce serait beaucoup plus facile pour lui s’il avait un fauteuil motorisé. Elle s’interroge sur la photo qu’il a sur les genoux. Un proche bien-aimé disparu ? Sans doute.

Pauvre homme, pense-t-elle à nouveau, et elle adresse une brève prière à Dieu, Le remerciant d’avoir elle-même deux enfants en parfaite santé.