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« Vous êtes prêts pour Boyd, Steve et Pete ? » demande le chauffeur de salle.

Nouveaux vivats et cris.

« Et est-ce que vous êtes prêts pour CAM KNOWLES ? »

Les filles (dont la plupart seraient frappées de mutisme en présence de leur idole) glapissent de délire. Oui, elles sont prêtes. Mon Dieu oui, elles en mourraient presque.

« Dans quelques minutes, vous allez découvrir un plateau qui va vous ensorceler, mais pour l’instant, mesdames mesdemoiselles messieurs — et surtout vous jeunes demoiselles — faites du bruit pour… ’ROUND… HEEERRRRE  !!! »

Le public est debout, et tandis que les lumières sur scène laissent la place au noir complet, Tanya comprend pourquoi les filles voulaient à tout prix leurs téléphones pour le début du concert. À l’époque, tout le monde brandissait des allumettes ou des briquets. Aujourd’hui, tous ces gosses brandissent leurs téléphones portables et les lumières combinées de tous ces petits écrans projettent un blême éclat lunaire vers la voûte de l’auditorium.

Comment ont-ils appris à faire ça ? s’émerveille-t-elle. Qui leur a appris ? Et quand on y pense, qui nous avait appris ?

Elle ne s’en souvient pas.

Les lumières sur scène virent au rouge de forge éclatant. Au même instant, un appel finit par se frayer un passage au travers du réseau saturé et le portable de Barbara Robinson vibre dans sa main. Elle l’ignore. Là, tout de suite, répondre au téléphone est la dernière chose qu’elle a envie de faire (une première dans sa jeune vie), et de toute manière elle n’entendrait pas la personne au bout du fil — sans doute son frère — si elle répondait. Le tapage dans l’auditorium est assourdissant… et Barb est aux anges. Elle agite son téléphone vibrant au-dessus de sa tête en de longs et amples allers et retours. Tout le monde fait pareil, même sa mère.

Le chanteur principal des ’Round Here, vêtu du jean le plus moulant que Tanya Robinson ait jamais vu, entre à grands pas sur la scène. Cam Knowles rejette en arrière une déferlante de cheveux blonds et entonne « Ne Reste pas Seule ».

La majeure partie du public reste debout, téléphones levés. Le concert a commencé.

34

La Mercedes quitte Spicer Boulevard et s’engage sur une voie de desserte jalonnée de panneaux indiquant LIVRAISONS MACC et ACCÈS RÉSERVÉ AU PERSONNEL. À quatre cents mètres environ se profile un portail roulant. Il est fermé. Jerome freine devant un poteau muni d’un interphone. Ici, le panneau indique SONNEZ POUR OUVRIR.

Hodges ordonne : « Dis-leur que c’est la police. »

Jerome baisse sa vitre et appuie sur le bouton. Rien ne se passe. Il appuie une deuxième fois et laisse son doigt appuyé. Hodges est traversé par une pensée cauchemardesque : quand quelqu’un répondra enfin à l’appel de Jerome, ce sera la femme-robot lui proposant de faire son choix entre deux douzaines d’options.

Mais cette fois-ci, c’est un véritable humain, quoique dépourvu de toute sympathie. « C’est fermé à l’arrière.

— Police, dit Jerome. Ouvrez le portail.

— Qu’est-ce que vous voulez ?

— Je viens de vous le dire. Ouvrez ce putain de portail. C’est une urgence. »

Le portail commence à rouler lentement, mais au lieu d’avancer, Jerome réappuie sur le bouton. « Vous êtes de la sécurité ?

— Gardien-chef, répond la voix grésillante. Si vous voulez la sécurité, faut appeler le service sécurité.

— Personne répond, dit Hodges à Jerome. Ils sont tous dans l’auditorium. Discute pas, vas-y. »

Jerome fait ce qu’on lui dit même si le portail n’est pas encore entièrement ouvert. Il écorche le flanc de la carrosserie remise à neuf de la Merco. « Ils l’ont peut-être chopé, dit-il. Ils avaient son signalement, alors peut-être qu’ils l’ont chopé.

— Non, ils l’ont pas chopé, dit Hodges. Il est à l’intérieur.

— Comment vous le savez ?

— Écoute. »

Ils ne distinguent pas encore les accents d’une vraie musique, mais par la vitre restée ouverte côté conducteur, ils perçoivent la progression sourde d’une basse.

« Le concert a commencé. Si les hommes de Windom avaient coincé un type bardé d’explosifs, ils auraient tout interrompu et seraient en train de faire évacuer les lieux.

— Comment a-t-il pu entrer ? demande Jerome en cognant sur le volant. Comment ? »

Hodges perçoit la terreur dans la voix du garçon. Tout ça à cause de lui. Tout à cause de lui.

« Je n’en ai aucune idée. Ils avaient sa photo. »

Devant eux se profile une large rampe de béton descendant jusqu’au quai de déchargement. Une demi-douzaine de roadies fument, assis sur des caisses d’amplis, leur boulot terminé au moins pour le moment. Une porte est ouverte sur l’arrière de l’auditorium et Hodges entend la musique s’agréger autour du riff de la basse. On entend un autre son aussi : des milliers de filles hurlant leur joie, toutes assises à leur insu sur ground zero.

Savoir comment Hartsfield a fait pour entrer ne compte plus, sauf si ça peut aider à le retrouver, mais comment diable vont-ils pouvoir y arriver dans un auditorium plongé dans l’obscurité et rempli de milliers de gens ?

Au moment où Jerome stoppe au bas de la rampe, Holly déclare : « De Niro s’était fait une crête iroquoise. Ça pourrait être ça.

— Mais de quoi vous parlez ? » demande Hodges en s’extrayant péniblement de la banquette arrière.

Un homme en vêtements de travail kaki s’est avancé dans l’embrasure de la porte ouverte pour les accueillir.

« Dans Taxi Driver, Robert de Niro joue un cinglé nommé Travis Bickle, explique Holly tandis que tous trois courent vers le gardien. Quand il décide d’assassiner cet homme politique, il se rase la tête pour pouvoir s’approcher sans être reconnu. Sauf au milieu, ça s’appelle une crête iroquoise. Brady Hartsfield n’a sûrement pas fait ça, il aurait eu l’air trop bizarre. »

Hodges se souvient des cheveux dans le lavabo. Ils n’étaient pas du blond (sans doute teint) des cheveux de la morte. Holly est peut-être déjantée mais il pense qu’elle a raison : Hartsfield y est allé le crâne rasé. Mais même comme ça…

Le gardien-chef s’avance à leur rencontre. « Que se passe-t-il ? »

Hodges sort sa carte d’identification et la lui présente rapidement, le pouce toujours posé à l’endroit stratégique. « Inspecteur Bill Hodges. Votre nom, monsieur ?

— Jamie Gallison. »

Ses yeux passent brièvement de Jerome à Holly.

« Je suis sa coéquipière, dit Holly.

— Stagiaire », dit Jerome.

Les roadies observent. Certains ont prestement écrasé des cigarettes qui contenaient peut-être une substance un peu plus forte que du tabac. Par la porte ouverte, Hodges aperçoit des projecteurs de chantier éclairant un espace de rangement rempli d’accessoires et de décors de fond de scène.

« Monsieur Gallison, nous avons un sérieux problème, dit Hodges. J’ai besoin que vous demandiez à Larry Windom de venir ici, tout de suite.

— Ne faites pas ça, Bill. »

Même dans sa détresse croissante, il a conscience que c’est la première fois que Holly l’appelle par son prénom.

Il ne l’écoute pas. « Monsieur, j’ai besoin que vous l’appeliez sur son portable. »