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Les tremblements et tressaillements de Brady s’accentuent. Ça ne plaît pas du tout à Holly car elle aperçoit quelque chose, une petite lumière jaune, sous son T-shirt. Jaune égale problème.

« Jerome ? demande Tanya. Qu’est-ce que tu fais ici ? »

Un placeur s’approche. « Libérez le passage ! crie-t-il par-dessus la musique. Libérez le passage, messieurs dames ! »

Jerome saisit les épaules de sa mère. Il l’attire à lui jusqu’à ce que leurs fronts se touchent. « Il faut que tu sortes d’ici, m’man. Prends les filles et va-t’en. Tout de suite. Fais sortir le placeur avec toi. Dis-lui que ta fille est malade. Je t’en prie, pose pas de questions. »

Elle le regarde dans les yeux et ne pose pas de questions.

« M’man ? commence Barbara. Qu’est-ce… » Le reste se perd dans la clameur du groupe et de l’accompagnement choral du public. Tanya prend Barbara par le bras et s’approche du placeur. En même temps, elle fait signe à Hilda, Dinah et Betsy de la suivre.

Jerome se retourne vers Holly. Elle est penchée sur Brady, qui continue à frissonner tandis que des tempêtes cérébrales font rage dans sa tête. Ses pieds font des claquettes, comme si, même dans son inconscience, il sentait toujours le rythme endiablé des ’Round Here. Ses mains voltigent de façon désordonnée et lorsque l’une d’elles s’approche de la petite lumière jaune sous son T-shirt, Jerome la rabat d’une claque comme un défenseur de basket intercepte un tir dans le panneau.

« Je veux sortir d’ici, gémit la fille en fauteuil. J’ai peur. »

Jerome peut comprendre — lui aussi veut sortir d’ici, et il crève de peur — mais pour le moment, elle doit rester où elle est. Brady la bloque à sa place, de toute façon, et ils n’osent pas le déplacer. Pas encore.

Holly a devancé Jerome, comme souvent. « Vous ne pouvez pas bouger pour l’instant, ma chérie, dit-elle à la fille. Détendez-vous et profitez du concert. » Elle se dit que tout ça serait bien plus simple si elle avait réussi à le tuer plutôt qu’à juste catapulter son cerveau de détraqué jusqu’au fin fond du Pérou. Elle se demande si Jerome abattrait Hartsfield si elle le lui demandait. Sans doute pas. Dommage. Avec tout ce bruit, probable que personne ne le remarquerait.

« Mais vous êtes folle  ? demande la fille en fauteuil, fascinée.

— C’est ce que tout le monde me demande », dit Holly. Et — très prudemment — elle commence à soulever le T-shirt de Brady. « Tiens-lui les mains, dit-elle à Jerome.

— Et si j’y arrive pas ?

— Alors flingue cet enculé. »

Le public, debout, se balance et tape des mains. Les ballons de plage ont recommencé à voltiger. Jerome jette un rapide coup d’œil par-dessus son épaule et voit sa mère remonter l’allée avec les filles en direction de la sortie, sous l’escorte du placeur. Un pour nous, enfin, se dit-il, et il se remet au travail. Il attrape les poignets volants de Brady et les immobilise ensemble. Ils sont glissants de sueur. C’est comme de maintenir deux poissons qui se débattent.

« Je sais pas ce que vous faites, mais faites vite ! » crie-t-il à Holly.

La lumière jaune provient d’un gadget en plastique qui ressemble à une télécommande customisée. Au lieu de boutons numérotés, il y a un interrupteur, de ceux qu’on a dans son salon pour éteindre et allumer la lumière. Un fil sort du gadget. Et passe sous les fesses de l’homme.

Brady émet un grognement et soudain une odeur acide se répand. Sa vessie n’a pas résisté. Holly regarde la poche urinaire sur ses genoux, mais aucun tuyau ne semble y être connecté. Elle la soulève et la tend à la fille en fauteuil. « Tenez-la-moi.

— Beuh, c’est du pipi », dit la fille. Puis : « Non, c’est pas du pipi. Il y a quelque chose dedans. On dirait de la pâte à modeler.

— Posez ça. » Jerome doit crier pour être entendu. « Posez ça par terre. Doucement. » Puis à Holly : « Dépêchez-vous, bordel ! »

Holly est en train d’étudier le témoin lumineux. Et le petit bouton blanc de l’interrupteur. Elle pourrait le pousser dans un sens ou dans l’autre et n’ose faire ni l’un ni l’autre, parce qu’elle ignore quelle est la position off et quelle est la position boum.

Elle soulève Truc 2 du ventre de Brady. C’est comme ramasser un serpent gorgé de venin, et elle doit rassembler tout son courage. « Tiens ses mains, Jerome, tiens bien ses mains.

— Elles glissent », grogne Jerome.

Ça, on le savait déjà, se dit Holly. Un enfant de putain qui glisse entre les mains. Un fourbe enculé de mes deux.

Elle retourne le gadget, intimant à ses mains de ne pas trembler et s’efforçant de ne pas penser aux quatre mille personnes qui ignorent que leur vie dépend maintenant de la pauvre déséquilibrée Holly Gibney. Elle regarde le couvercle des piles. Puis, en retenant son souffle, elle le fait coulisser et le laisse tomber par terre.

À l’intérieur, il y a deux piles AA. Holly glisse un ongle sous l’extrémité de l’une et se dit, Dieu, si Tu es là, fais que ça marche. Un instant, son doigt refuse de bouger. Puis l’une des mains de Brady échappe à Jerome et la heurte sur le côté de la tête.

Holly sursaute et la pile qui la tracassait s’éjecte du compartiment. Holly attend que le monde explose et comme rien ne se passe, elle abaisse l’interrupteur de la télécommande. La lumière jaune est déjà éteinte. Holly se met à pleurer. Elle saisit le fil maître et l’arrache de Truc 2.

« Tu peux le lâcher maint… », commence-t-elle. Mais c’est déjà fait. Jerome est tout près d’elle et l’étreint si fort qu’elle peut à peine respirer. Holly s’en fout. Elle étreint Jerome à son tour.

Le public lance de folles acclamations.

« Ils pensent qu’ils acclament les chanteurs, mais en fait ils nous acclament nous, parvient-elle à chuchoter à l’oreille de Jerome. Ils ne le savent pas encore, c’est tout. Tu peux me lâcher maintenant, Jerome. Tu me serres trop fort. Lâche-moi avant que je tombe dans les pommes. »

42

Hodges est toujours assis sur la caisse dans la zone de dépôt, et il n’est pas seul. Un éléphant est assis sur sa poitrine. Quelque chose est en train de se produire. Ou bien le monde est en train de se retirer ou bien c’est lui qui se retire du monde. Il penche pour la deuxième solution. C’est comme s’il était derrière une caméra et que la caméra reculait sur un de ces rails de travelling. Le monde est toujours aussi lumineux, mais il rétrécit, et il est entouré d’un cercle croissant d’obscurité.

Il se cramponne de toute la force de sa volonté, attendant soit une explosion, soit pas d’explosion.

Un roadie se penche sur lui et demande si ça va. « Vous avez les lèvres bleues », l’informe le gars. Hodges lui fait signe de le laisser. Il doit écouter.

De la musique, des vivats, des hurlements joyeux. Rien d’autre. Pour le moment, du moins.

Tiens bon, se dit-il. Tiens bon.

« Quoi ? demande le roadie, se penchant plus près. Quoi ?

— Je dois tenir bon », chuchote Hodges.

Mais c’est à peine s’il peut respirer. Le monde a rapetissé à la taille d’un dollar d’argent à l’éclat féroce. Puis ça aussi c’est oblitéré, non parce qu’il a perdu connaissance mais parce que quelqu’un marche vers lui. C’est Janey, démarche lente et chaloupée. Elle est coiffée de son Borsalino, incliné de manière sexy sur le coin de l’œil. Hodges se souvient de ce qu’elle a répondu quand il a demandé comment il avait eu la chance de se retrouver dans son lit : Je ne regrette rien… On peut s’en tenir à ça ?