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— Ce serait chouette si vous pouviez le coincer avant qu’il viole une autre quinquagénaire à la sortie du travail.

— On fait de notre mieux. »

Pete a l’air légèrement contrarié, et quand le serveur rapplique pour leur demander si tout se passe bien, il le renvoie d’un geste de la main.

« Je sais, dit Hodges, le ton rassurant. Le Braqueur des Prêteurs sur gages ? »

Pete retrouve le sourire. « Young Aaron Jefferson.

— Hein ?

— C’est son nom. Il se faisait appeler Y. A. quand il jouait dans l’équipe de football de City High. Tu sais, comme Y. A. Tittle. Sauf que sa copine — aussi la mère de son gamin de trois ans — nous a dit qu’il appelait Tittle Tété. Quand on lui a demandé s’il plaisantait ou s’il était sérieux, elle a dit qu’elle n’en avait aucune idée. »

Encore une histoire vieille comme le monde, si vieille qu’elle pourrait être tirée de la Bible… d’ailleurs, peut-être que la Bible en contient une version quelconque. « Laisse-moi deviner. Il enchaîne les braquages…

— Quatorze à son actif. Avec son fusil à canon scié, comme Omar dans The Wire.

— … et avec sa chance de cocu, il s’en sort à tous les coups. Puis il trompe la gosse qui lui sert de copine. Ça la rend furax et elle le balance. »

Pete pointe du doigt son vieux coéquipier. « En plein dans le mille. Et la prochaine fois que Young Aaron s’amène chez un prêteur sur gages ou à un comptoir d’encaissement de chèques, on aura de l’avance sur lui, et alors “la nuit nous appartient”, mon pote.

— Pourquoi attendre ?

— Encore à cause de la proc’, dit Pete. Si Diana la Dinde te demande de lui cuisiner un steak à point et que tu te pointes avec un steak saignant, elle le renvoie en cuisine illico.

— Mais vous le tenez.

— J’te parie de nouveaux pneus à bandes blanches que Y. A. passe l’été à la prison du comté et Noël à la prison fédérale. Ça prendra peut-être plus de temps pour Davis et le Violeur du Parc mais on les aura. Tu veux un dessert ?

— Non. Oui. » Au serveur : « Vous faites toujours le baba au rhum ? Celui au chocolat noir ? »

Le serveur prend l’air offensé. « Oui, monsieur. Évidemment.

— Je vais en prendre une part, alors. Et un café. Pete ?

— Non, ça ira, je vais terminer la bière. » Sur quoi, il se sert un dernier verre. « T’es sûr que c’est une bonne idée, le dessert, Billy ? On dirait que t’as pris un peu de poids depuis la dernière fois, non ? »

C’est vrai. Depuis qu’il est à la retraite, Hodges ne se prive pas, mais c’est seulement depuis quelques jours qu’il apprécie vraiment ce qu’il mange. « Je pense me mettre aux Weight Watchers. »

Pete acquiesce. « C’est vrai ? Et moi je vais me faire moine.

— Va t’ faire foutre. Et le Tueur à la Mercedes ?

— On interroge toujours le voisinage de Trelawney — Isabelle y est, d’ailleurs — mais je serais étonné qu’elle ou un autre découvre quoi que ce soit de nouveau. Y a pas une porte à laquelle on a pas déjà frappé une demi-douzaine de fois. Le type a volé le traîneau de luxe de Trelawney, il est sorti du brouillard, il a fait son business, puis il est reparti dans le brouillard et a abandonné la caisse… point barre. Oublie Monchieur Y. A. Tété, c’est le mec à la Mercedes qu’a une vraie chance de cocu. S’il avait fait sa petite cascade ne serait-ce qu’une heure plus tard, y aurait eu des flics partout. Pour contrôler la foule.

— Je sais.

— Tu crois qu’il le savait, lui ? »

Hodges hausse les épaules pour montrer son incertitude. Si lui et Mr Mercedes engagent la conversation sur le site du Parapluie Bleu, peut-être qu’il lui demandera.

« Ce connard d’assassin aurait pu perdre le contrôle de la voiture et se foutre en l’air, mais non. Voiture allemande : les meilleures d’après Isabelle. Quelqu’un aurait pu sauter sur le capot et lui boucher la vue, mais non. L’un des plots en acier auxquels était accroché le ruban jaune aurait pu se coincer sous la voiture, mais ça n’est pas arrivé non plus. Et quand il a garé la bagnole derrière l’entrepôt, quelqu’un aurait pu le voir sortir sans son masque, mais non, y avait personne.

— Il était cinq heures vingt du matin, fait remarquer Hodges, et même à midi, cette zone aurait été quasiment aussi déserte.

— Ouais, la récession, maugrée Pete. Je sais, je sais. J’imagine que la moitié des gens qui bossaient dans ces entrepôts étaient au City Center ce jour-là, à attendre qu’ouvre cette putain de foire à l’emploi. Un peu d’ironie, c’est bon pour la circulation sanguine.

— Rien de nouveau, donc ?

— Le calme plat. »

Le dessert de Hodges arrive. Il sent bon et est encore meilleur.

Le serveur parti, Pete se penche vers Hodges. « Mon plus grand cauchemar, c’est qu’il recommence. Qu’une autre brume nous arrive du lac et qu’il recommence. »

Il dit qu’il ne le fera pas, pense Hodges en s’enfournant une grosse cuillerée de délicieux gâteau dans la bouche. Il dit qu’il n’en ressent absolument aucun besoin. Qu’une fois a suffi.

« Ça ou autre chose, dit-il.

— On s’est disputés avec ma fille, en mars. Méchamment disputés. Je ne l’ai pas vue de tout le mois d’avril. Elle a sauté tous ses week-ends.

— Ah bon ?

— Ouais. Elle voulait aller à une compétition de pom-pom girls. Bring the Funk, je crois que ça s’appelait. Pratiquement tous les lycées de l’État y participaient. Tu te souviens, Candy a toujours été une pom-pom girl acharnée ?

— Ouais, bien sûr », répond Hodges.

Non, il ne s’en souvenait pas.

« Quand elle avait quatre ou cinq ans, on pouvait pas lui faire enlever sa mini-jupe plissée. Deux mamans avaient prévu d’accompagner les filles. Et j’ai dit non à Candy. Tu sais pourquoi ? »

Bien sûr qu’il sait pourquoi.

« Parce que ça se passait au City Center, voilà pourquoi. Je pouvais pas m’empêcher d’imaginer la centaine de petites midinettes en mini-jupe et leurs mères agglutinées devant les portes fermées, au crépuscule cette fois. Mais tu sais que la brume se lève aussi le soir. Je voyais cet enculé leur foncer dessus avec une autre Mercedes volée — ou un Hummer, pourquoi pas — et les gamines et leurs mamans rester plantées là comme des biches prises dans le pinceau des phares. Alors j’ai dit non. Si tu l’avais entendue me hurler dessus, Billy. Mais j’ai quand même dit non. Elle m’a pas adressé la parole pendant un mois et elle me parlerait toujours pas si Maureen l’y avait pas emmenée. J’ai dit à Mo qu’y avait pas moyen, qu’elle avait pas intérêt à le faire, et elle m’a dit, c’est pour ça que j’ai divorcé, Pete, parce que j’en ai eu assez de t’entendre dire pas moyen et t’as pas intérêt. Et bien sûr, il ne s’est rien passé. »

Il termine sa bière et se penche à nouveau vers Hodges.

« J’espère qu’y aura plein de monde avec moi quand on le chopera. Si je le coince tout seul, je suis capable de le tuer rien que pour m’avoir mis ma fille à dos.

— Alors pourquoi espérer qu’y ait plein de monde ? »

Pete réfléchit à ce que Hodges vient de dire puis sourit lentement. « C’est pas faux.

— Ça t’arrive de repenser à Mrs Trelawney ? »

Hodges pose la question de manière détachée mais il a beaucoup repensé à Olivia Trelawney depuis que cette lettre a atterri sur le sol de sa cuisine. Et même avant ça. À plusieurs reprises au cours de cette période de retraite grise, il a même rêvé d’elle. Ce long visage — ce visage de chien battu. Le genre de visage qui semble dire personne ne me comprend et le monde entier est contre moi. Tout cet argent et malgré tout incapable de s’estimer heureuse, ne serait-ce que de pouvoir jouir d’une liberté financière totale. Ça faisait des années que Mrs T. n’avait plus à tenir ses comptes ou à craindre d’entendre sur son répondeur des messages d’agents de recouvrement, mais elle ne savait faire que se plaindre, tenant une interminable liste de coiffeurs incompétents et de serveurs impolis. Mrs Trelawney et ses robes à encolure bateau informes, lesdits bateaux semblant toujours tanguer quelque peu sur bâbord ou sur tribord. Ses yeux humides semblant toujours au bord des larmes. Personne ne l’avait aimée, la Trelawney, pas plus Kermit William Hodges, inspecteur de 1re Division que les autres. Et personne n’avait été surpris quand elle s’était suicidée, pas même l’inspecteur Hodges. La mort de huit personnes — sans parler du nombre bien supérieur de blessés — devait peser lourd sur une conscience.