Выбрать главу

« Comment ça, repenser à elle ? demande Pete.

— Je veux dire, peut-être qu’elle disait la vérité, après tout. À propos des clés. »

Pete lève les sourcils. « Elle pensait dire la vérité. Tu le sais aussi bien que moi. Elle s’en était tellement persuadée elle-même qu’elle aurait pu passer au détecteur de mensonges sans problème. »

C’est vrai. Olivia Trelawney n’avait représenté une surprise pour personne. Dieu sait qu’ils en avaient vu des gens comme elle. Les criminels de carrière se comportaient en coupables même quand ils n’avaient pas commis le ou les crimes pour lesquels on les interrogeait parce qu’ils savaient très bien qu’ils étaient coupables de quelque chose. Les citoyens honnêtes, eux, ne pouvaient tout simplement pas y croire, et lorsque l’un d’entre eux se faisait interroger avant la mise en accusation, c’était rarement, Hodges le sait, pour un crime à main armée. Non, ça avait généralement à voir avec une voiture. Je croyais que c’était un chien que j’avais écrasé, ils vont te dire, et peu importe ce qu’ils auront vu dans leur rétroviseur après l’horrible double choc, ils y croiront dur comme fer.

Juste un chien.

« Je me pose quand même la question, dit Hodges, espérant avoir l’air pensif plutôt qu’insistant.

— Bill, t’as vu ce que j’ai vu. Et si jamais t’as besoin d’une remise à niveau, passe voir les photos quand tu veux.

— J’imagine que t’as raison. »

Les premières notes de « Une nuit sur le mont Chauve » retentissent en provenance de la veste en tweed Men’s Warehouse de Pete. Il en sort son téléphone portable, regarde le numéro et dit : « Faut que je réponde. »

Hodges lui fait un signe de la main : je t’en prie.

« Allô ? » Pete écoute. Ses yeux s’agrandissent, il se lève si brusquement que la table se renverse presque. « Quoi ? »

Les gens se sont arrêtés de manger pour le regarder. Hodges l’observe avec intérêt.

« Ouais… ouais ! J’arrive tout de suite. Quoi ? OK, OK. Vas-y, m’attends pas. »

Il raccroche et se rassoit. Tout d’un coup, tous ses sens sont en éveil et à cet instant précis, Hodges l’envie amèrement.

« Je devrais manger avec toi plus souvent, Billy. T’es mon porte-bonheur, tu l’as toujours été. On en parle et ça arrive !

— Qu’est-ce qui arrive ? »

Pensant, C’est Mr Mercedes. Et ce qu’il se dit ensuite est à la fois ridicule et pathétique : Il était censé être à moi.

« C’était Izzy. Elle vient de recevoir un appel d’un lieutenant de police de Victory County. Un garde-chasse a repéré des ossements dans une carrière il y a à peine une heure. La carrière se trouve à moins de trois kilomètres de la maison de vacances de Donnie Davis, et devine quoi ? Il semblerait que les ossements portent des lambeaux de robe. »

Il brandit sa main par-dessus la table. « Tape-m’en cinq, mec. »

Pete range son téléphone dans la poche déformée de son veston et en ressort son porte-monnaie. Hodges secoue la tête, ne se faisant absolument aucune illusion sur ce qu’il ressent : du soulagement. Un énorme soulagement. « Non, c’est moi qui paye. Tu dois pas retrouver Isabelle, toi ?

— Si.

— Alors file.

— OK. Merci pour le repas.

— Une dernière chose. Du nouveau à propos de Turnpike Joe ?

— Police d’État, ça, dit Pete. Et les Pédéraux maintenant. Je leur laisse. D’après ce que je sais, ils n’ont rien. Ils attendent qu’il recommence et comptent sur un coup de chance. » Il regarde sa montre.

« Vas-y, vas-y. »

Pete commence à partir, s’arrête, fait demi-tour et dépose un gros baiser sur le front de Hodges. « C’était chouette de te voir, mon chéri.

— Dégage, lui dit Hodges. Les gens vont croire qu’on est ensemble. »

Pete fout le camp avec un grand sourire sur la figure et Hodges repense au petit surnom qu’ils avaient l’habitude de se donner autrefois : Les Chiens du Ciel[2].

Il se demande si son flair à lui est toujours aussi aiguisé aujourd’hui.

13

Le serveur revient pour demander s’il y aura autre chose. Hodges commence par dire non puis se rétracte et commande un autre café. Il a envie de profiter un peu plus, de savourer pleinement sa double satisfaction : ce n’était pas Mr Mercedes et c’était bien Donnie Davis, ce fils de pute moralisateur qui avait assassiné sa femme puis constitué un fonds de réserve chez son avocat pour récompenser quiconque aurait des informations pouvant aider à la localiser. Parce que, Seigneur Dieu, il l’aimait tellement, et tout ce qu’il souhaitait c’était qu’elle rentre à la maison pour qu’ils puissent tout recommencer comme avant.

Il a aussi besoin de réfléchir à Olivia Trelawney. Et à la Mercedes volée d’Olivia Trelawney. Qu’elle ait été volée, personne n’en a jamais douté. Mais en dépit de toutes ses protestations, personne n’a jamais douté qu’elle ait rendu le vol possible.

Hodges se rappelle un dossier dont leur avait parlé Isabelle Jaynes, alors fraîchement débarquée de San Diego pour les aider à avancer sur la participation involontaire de Mrs Trelawney au massacre du City Center. Dans l’histoire d’Isabelle, il s’agissait d’une arme. Elle et son coéquipier s’étaient rendus au domicile d’une famille où un garçon de neuf ans avait tiré sur sa petite sœur de quatre ans et l’avait tuée. Les gosses étaient en train de jouer avec un pistolet automatique que leur père avait laissé traîner sur son bureau.

« Le père n’a pas été mis en accusation mais c’est quelque chose qui le hantera toute sa vie, avait-elle dit. Attendez de voir, ça va nous donner le même genre de chose avec Mrs Trelawney. »

C’était un mois, peut-être moins, avant que la dénommée Trelawney n’avale les cachets et personne au sein de l’équipe chargée de l’enquête n’en avait eu grand-chose à foutre. Pour eux — pour Hodges —, Mrs T. n’était qu’une richarde pleurnicharde qui refusait d’accepter sa responsabilité dans ce qui était arrivé.

La Mercedes SL se trouvait en centre-ville quand elle avait été volée, mais Mrs Trelawney, veuve d’un époux fortuné décédé d’une crise cardiaque, vivait à Sugar Heights, une banlieue qui portait bien son nom où, derrière des portails fermés, de nombreuses allées menaient à de grosses McBicoques de quatorze pièces et plus. Hodges a grandi à Atlanta et à chaque fois qu’il traverse Sugar Heights, ça lui rappelle un quartier rupin d’Atlanta appelé Buckhead.

вернуться

2

Cf. La nouvelle « Bon ménage » dans le recueil Nuit noire, étoiles mortes, Albin Michel, 2012.