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« On va être le plus rapide possible », promit Pete. Il ne lui dit pas que cet interrogatoire serait le premier d’une longue série. Quand ils en auraient fini avec elle, elle s’entendrait raconter son histoire dans son sommeil.

« Bon, très bien. Je suis arrivée ici, chez ma mère, peu après dix-neuf heures jeudi soir… »

Elle lui rendait visite au moins quatre fois par semaine, leur dit-elle, mais le jeudi était le jour où elle restait dormir. Elle s’arrêtait toujours chez B’hai, un très bon restaurant végétarien au centre commercial de Birch Hill, où elle commandait leur dîner qu’elle réchauffait ensuite au four. (« Bien que Mère mange très peu, maintenant, bien sûr. À cause de la douleur. ») Elle leur expliqua qu’elle partait toujours de chez elle pour arriver après dix-neuf heures, parce que c’était l’heure où commençait le stationnement gratuit pour la nuit et où la plupart des places étaient libres. « Je ne fais jamais de créneau. Je n’y arrive tout simplement pas.

— Et le parking en bas de la rue ? » demanda Hodges.

Elle le regarda comme s’il était fou. « C’est seize dollars la nuit. Dans la rue, les places sont gratuites. »

Pete avait toujours la clé dans les mains même s’ils n’avaient pas encore annoncé à Mrs Trelawney qu’ils devraient la garder. « Vous vous êtes arrêtée à Birch Hill et avez commandé un repas à emporter chez… » Il consulta son carnet. « B’hai.

— Non, j’ai téléphoné pour commander. De chez moi, à Lilac Drive. Ils sont toujours heureux de m’entendre. Je suis une cliente de longue date et très appréciée. Hier soir, c’était kookoo sabzi pour Mère — c’est une omelette aux herbes avec des épinards et de la coriandre — et gheymeh pour moi. Le gheymeh est un délicieux sauté de petits pois, pommes de terre et champignons. Très léger pour la digestion. » Elle tire sur son encolure bateau. « J’ai de terribles remontées gastriques depuis l’adolescence. On apprend à vivre avec.

— Je présume que votre commande…, commença Hodges.

— Et du sholeh-zard en dessert, ajouta-t-elle. C’est un riz au lait à la cannelle. Et au safran. » Elle leur sourit fugitivement de son étrange sourire soucieux. Tout comme sa manie de tirer sur l’encolure de sa robe, ce sourire était une marque de fabrique Trelawney dont ils deviendraient rapidement familiers. « C’est le safran qui fait tout. Même Mère mange toujours tout son sholeh-zard.

— Oui, ça m’a l’air délicieux, dit Hodges. Et votre commande était-elle prête quand vous êtes arrivée ?

— Oui.

— Dans une boîte ?

— Oh non, trois.

— Dans un sachet, alors ?

— Non, seulement les boîtes.

— Ça n’a pas dû être évident de sortir de la voiture avec tout ça, dit Pete. Trois boîtes, votre sac…

— Et la clé, ajouta Hodges. N’oublie pas la clé, Pete.

— Et vous deviez être pressée d’arriver en haut, c’est pas marrant de manger froid.

— Je vois très bien où vous voulez en venir, dit Mrs Trelawney, et je peux vous assurer… » Courte pause. « … messieurs, que vous faites entièrement fausse route. J’ai mis la clé dans mon sac tout de suite après avoir coupé le moteur, c’est la première chose que je fais, à chaque fois. Quant aux boîtes, elles étaient empilées et ficelées… » Elle écarta les mains d’environ trente centimètres pour leur montrer. « … ce qui les rend très faciles à transporter. Et j’avais mon sac autour du bras. Comme ceci. » Elle plia le bras, y suspendit son sac et défila dans le grand salon, une pile de boîtes invisibles de chez B’hai entre les mains. « Vous voyez ?

— Oui, m’dame », répondit Hodges.

Il pensait voir autre chose aussi.

« Quant à me dépêcher… non. C’est inutile puisque les plats doivent être réchauffés de toute manière. » Elle fit une pause. « Pas le sholeh-zard, bien entendu. Inutile de réchauffer du riz au lait. » Elle lâcha un petit rire. Pas vraiment un rire, pensa Hodges, plutôt un gloussement. Vu que son époux était mort, le chaud lézard devait lui donner des idées. Une nouvelle couche d’antipathie s’ajouta à la précédente — presque assez fine pour rester invisible, mais pas tout à fait. Non, pas tout à fait.

« Voyons ce que vous avez fait une fois que vous êtes arrivée ici, dans Lake Avenue, dit Hodges, peu après dix-neuf heures.

— Oui, dix-neuf heures cinq, peut-être un peu plus.

— Hum-hum. Vous vous êtes garée… quoi ? Trois ou quatre numéros plus bas ?

— Quatre tout au plus. J’ai juste besoin de deux places de parking, comme ça je n’ai pas à manœuvrer pour me garer. Je déteste reculer. Je braque toujours du mauvais côté.

— Oui, m’dame, ma femme a exactement le même problème. Vous avez coupé le contact. Vous avez retiré la clé et l’avez mise dans votre sac à main. Vous avez accroché votre sac à votre bras et récupéré les boîtes avec vos repas…

— La pile de boîtes. Solidement ficelées entre elles.

— La pile, oui. Et ensuite ? »

Elle le regarda comme si, de tous les crétins dans un monde de crétins, il était le roi. « Et ensuite je suis allée chez ma mère. C’est Mrs Harris — la femme de ménage, donc — qui m’a ouvert. Le jeudi, elle s’en va dès que j’arrive. J’ai pris l’ascenseur jusqu’au dix-neuvième étage. Où vous êtes actuellement en train de me questionner au lieu de me dire quand je pourrai récupérer ma voiture. Ma voiture volée. »

Hodges prit mentalement note de penser à demander à la femme de ménage si elle avait vu la Mercedes de Mrs T. en partant.

Pete demanda : « À quel moment avez-vous ressorti la clé de votre sac, madame Trelawney ?

— Ressorti ? Pourquoi l’aurais-je… »

Pete agita la clé — pièce à conviction no 1. « Pour verrouiller la voiture en partant. Vous l’avez bien verrouillée, n’est-ce pas ? »

Le doute traversa fugitivement son regard. Ils le remarquèrent tous les deux. Puis l’éclair disparut. « Bien sûr que oui. »

Hodges soutint son regard qu’elle détourna vers le lac, de l’autre côté de la grande baie panoramique, avant de le fixer de nouveau sur lui. « Essayez de vous rappeler, madame Trelawney. Des gens sont morts et ceci est important. Vous rappelez-vous précisément avoir sorti votre clé de votre sac et avoir appuyé sur le bouton de fermeture automatique ? Et avoir vu les phares clignoter en signe de confirmation ? Vous savez ?

— Bien sûr que je sais. » Elle se mordilla la lèvre inférieure, s’en rendit compte, et arrêta.

« Vous souvenez-vous précisément de tout ça ? »

Pendant un court instant, son visage resta inexpressif. Puis son sourire hautain réapparut dans toute son irritante splendeur. « Attendez. Maintenant que vous me le dites. J’ai mis les clés dans mon sac après avoir récupéré les boîtes et être sortie. Et après avoir appuyé sur le bouton pour fermer la voiture.

— Vous en êtes sûre ? demanda Pete.

— Absolument. » Elle l’était, et le resterait. Tous deux le savaient. Tout comme un honnête citoyen interrogé pour délit de fuite dirait, une fois qu’on l’aurait retrouvé, qu’il était sûr que c’était un chien qu’il avait heurté.

Pete referma son carnet de notes et se leva. Hodges fit de même. Mrs Trelawney paraissait plus qu’impatiente de les raccompagner à la porte.

« Une dernière question », dit Hodges en arrivant près de la sortie.

Elle leva ses sourcils parfaitement épilés. « Oui ?