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Cette émission, c’est la même chose, sauf qu’il y a des pilules minceur et des compagnies d’assurances derrière pour dédramatiser le principe, ce qui fait dire à Hodges que les concurrents (car c’est bien ce qu’ils sont, même si le présentateur parle d’« invités ») repartent avec un peu plus de trente dollars et une bouteille de Night Train en poche. Et qu’il y a zéro flic prêt à faire une descente, car c’est tout aussi légal que la loterie nationale.

Quand le pugilat sera terminé, une féroce juge aux affaires familiales, drapée dans son habit de vertu impatientée, expédiera en public les demandes de divorce des médiocres avec une rage à peine dissimulée pour leur mesquinerie et leur stupidité. Puis viendra le tour du gros psychologue des familles qui fait pleurer ses invités (leur fait « franchir le mur du déni », comme il dit) et invite quiconque ose remettre en question ses méthodes à quitter le plateau. Hodges pense que le gros psy doit s’inspirer de vieilles vidéos d’entraînement du KGB.

Hodges carbure à cette merde télévisuelle haute en couleur tous les jours de la semaine, assis dans son La-Z-Boy avec l’arme de son père — celle que papa portait pendant ses patrouilles — posée sur la table basse à côté de lui. Il la ramasse toujours à plusieurs reprises pour regarder dans l’orifice du canon. Examiner ce tunnel obscur. Deux ou trois fois, il l’a glissée dans sa bouche, juste pour voir quelle sensation ça fait d’avoir un revolver chargé posé sur la langue et pointé vers le palais. S’y habituer, il imagine.

Si j’arrivais à boire, je pourrais penser à autre chose, se dit-il. Au moins pendant un an. Et si j’arrivais à penser à autre chose pendant deux ans, l’envie me passerait peut-être. Je pourrais me mettre au jardinage, ou à l’ornithologie, ou même à la peinture. Tim Quigley avait fait de la peinture en Floride. Dans un lotissement de flics retraités. D’après ce que les gens disaient, il s’était vraiment passionné pour la chose et avait même vendu quelques toiles au Venice Art Festival. Jusqu’à ce qu’il fasse une crise cardiaque. Après sa crise cardiaque, il était resté alité pendant huit ou neuf mois, paralysé de tout le côté droit. Plus de peinture pour Tim Quigley. Puis plus de Tim Quigley. Prends-toi ça.

La cloche retentit et, sans surprise, les deux demoiselles se jettent sur le maigrelet à la cravate improbable ; des ongles colorés fusent et des chevelures tout aussi colorées volent. Hodges tend une main vers le revolver, il a à peine le temps de l’effleurer qu’il entend la fente de la boîte aux lettres grincer et le courrier choir sur le sol de l’entrée.

De nos jours, avec les mails et Facebook, plus aucun courrier de grande importance n’arrive par la poste, mais il se lève quand même. Il va s’occuper de son courrier et laisser le Spécial Police de son père pour une autre fois.

2

Quand Hodges revient s’asseoir avec son petit tas de courrier à la main, le match de boxe est terminé et le présentateur est en train de faire ses adieux, promettant au public de TV Land que demain, il y aura des nains. De l’espèce physique ou mentale, ça il ne précise pas.

Il y a deux poubelles en plastique à côté du La-Z-Boy, une pour les bouteilles en verre et les canettes, l’autre pour les ordures ménagères. C’est là qu’atterrissent un prospectus de Walmart annonçant DES PETITS PRIX, une offre d’assurance décès adressée à NOTRE VOISIN PRÉFÉRÉ, une promotion de cinquante pour cent sur tous les DVD pendant une semaine seulement chez Discount Electronix, et un carton d’invitation « appelant le plus grand nombre » à voter pour un type qui se présente au conseil municipal. Hodges trouve qu’il ressemble au Dr Oberlin, le dentiste qui l’avait terrorisé quand il était gosse. Il y a aussi un catalogue des magasins Albertson et ça, Hodges le met de côté (couvrant momentanément l’arme de son père) car il est blindé de bons de réduction.

La dernière enveloppe semble être une véritable lettre — assez épaisse au toucher. Elle est adressée à Off. K. William Hodges (Ret.), 63 Harper Road. Il n’y a aucune adresse d’expéditeur. Dans le coin gauche de l’enveloppe où elle devrait normalement être indiquée se trouve son second smiley de la journée. Sauf que celui-ci n’a rien à voir avec le clin d’œil Walmart mais ressemble plutôt à une émoticône, avec ses grosses lunettes noires et ses dents blanches.

Ça réveille un souvenir en lui, et pas un bon.

Non, pense-t-il. Non.

Mais il éventre l’enveloppe si précipitamment qu’elle se déchire, déversant son contenu sur ses genoux : quatre pages dactylographiées en tout — pas tapées à la machine à écrire, mais dans une police qui y ressemble.

Cher Inspecteur Hodges.

Sans détourner son regard, il tend la main vers la table basse, renverse le catalogue Alberston au passage, promène ses doigts le long du revolver sans y prêter attention et saisit la télécommande. Il éteint la télé, coupant court aux remontrances de l’implacable juge aux affaires familiales, et reporte son attention sur la lettre.

3

Cher Inspecteur Hodges,

J’espère que vous ne voyez pas d’inconvénient à ce que je vous appelle inspecteur, bien que vous soyez retraité depuis six mois. Je considère que si des juges incompétents, des politiciens véreux et des généraux stupides peuvent garder leur titre après leur retraite, il devrait en être de même pour l’un des officiers de police les plus décorés de la ville.

Alors va pour Inspecteur Hodges !

Monsieur (un autre titre que vous méritez, car vous êtes un véritable Chevalier de l’Ordre et de la Paix), je vous écris pour plusieurs raisons, mais je tiens tout d’abord à vous congratuler pour vos années de service, 27 en tant qu’inspecteur et 40 en tout. J’ai vu un bout de la cérémonie de départ à la télé (Channel 2 Accès Public, une ressource méconnue de beaucoup) et j’ai cru comprendre qu’une petite sauterie était organisée le lendemain au Raintree Inn, près de l’aéroport.

Je parie que ça devait envoyer comme cérémonie de départ !

Je n’ai bien évidemment jamais assisté à de telles « fiestas » mais je regarde beaucoup de séries policières, et bien que je reste persuadé que la plupart transfigurent quelque peu le quotidien de votre « clique de flics », on y voit ce genre de petites fêtes parfois (NYPD, The Wire, Homicide, etc., etc.), et j’aime à penser que c’est ainsi, EXACTEMENT, que les Chevaliers de l’Ordre et de la Paix disent « adieu » à l’un de leurs compatriotes. Et je pense que c’est en effet le cas, car j’ai également lu des « scènes de fêtes de départ » dans au moins deux livres de Joseph Wambaugh, et elles sont similaires à ce que l’on voit à la télé. Et il doit savoir ce qu’il dit, car lui aussi est un « Off. Ret. ».

J’imagine des ballons au plafond, beaucoup d’alcool et de discussions salaces, et surtout un paquet d’anecdotes à propos du Bon Vieux Temps et des vieux dossiers. Il y a probablement de la musique aussi, forte et dansante, et peut-être même une strip-teaseuse ou deux « agitant leurs plumes d’apparat ». Et il y a sûrement des discours, bien plus drôles et sincères que ceux que l’on entend dans les cérémonies officielles « costard-cravate ».