Comment je m’en sors ?
Pas mal, se dit Hodges. Pas mal du tout.
À en croire mes recherches, en tant qu’inspecteur vous avez littéralement résolu une centaine d’affaires, et de celles qui ont été fortement médiatisées par la presse (Les Chevaliers du Clavier, comme disait Ted Williams). Vous avez attrapé des Assassins, des Gangs, des Pyromanes et des Violeurs. Dans un article (publié de telle façon que sa sortie coïncide avec votre cérémonie de départ), votre coéquipier de longue date (Off. Peter Huntley, 1er Échelon) vous décrit comme quelqu’un travaillant à la fois « dans les règles de l’art et avec une intuition prodigieuse ».
Un beau compliment !
Si tout ça est vrai, et je pense que ça l’est, vous devriez déjà avoir compris que je suis l’un de ceux, très peu nombreux, que vous n’avez pas attrapés. Pour être tout à fait juste, je suis celui que la presse a choisi d’appeler
a) Le Joker
b) Le Clown
ou
c) Le Tueur à la Mercedes
Je préfère le dernier !
Je suis sûr que vous avez « tout donné », mais malheureusement (pour vous, pas pour moi), vous avez échoué. J’imagine que s’il y a bien un « crèminel » que vous auriez voulu attraper, Inspecteur Hodges, c’est l’homme qui a délibérément foncé dans la foule des demandeurs d’emploi du City Center l’année dernière, tuant huit personnes et en blessant bien plus. (Je dois dire que j’ai dépassé mes attentes les plus folles.) Étais-je dans un coin de votre tête quand ils vous ont remis cette plaque lors de la Cérémonie Officielle de Départ ? Étais-je dans un coin de votre tête quand vos petits camarades Chevaliers de l’Ordre et de la Paix vous rappelaient les fois (simple supposition ici) où d’autres crèminels ont été pris la main dans le sac, et les tours joués aux uns et aux autres dans ce bon vieux Poste de Police ?
Je suis sûr que oui !
Il faut que je vous dise à quel point j’ai pris mon pied. (Et je suis sincère.) Quand j’ai « appuyé sur le champignon » et que j’ai foncé sur la foule avec la Mercedes de cette pauvre Mrs Olivia Trelawney, j’ai eu la plus grosse « trique » de toute ma vie ! Et est-ce que mon cœur battait à 200 pulsations la minute ? « Un peu mon n’veu ! »
Un autre smiley à lunettes.
Je vais vous raconter quelque chose de « personnel », et si vous avez envie de rire, allez-y, parce que c’est assez drôle finalement (même si je pense surtout que ça montre à quel point j’ai été prudent). J’avais mis un préservatif ! Une « capote » ! Je craignais l’Éjaculation Spontanée, et les traces d’ADN qui auraient pu en résulter ! Bon, ça n’est pas arrivé. En revanche, je me suis souvent masturbé en y repensant : comment ils essayaient de s’enfuir mais ne pouvaient pas (ils était entassés comme des sardines), leurs visages terrifiés (c’était tellement drôle) et la façon dont j’ai été propulsé vers l’avant quand la voiture a « foncé » dans le tas. Si fort que la ceinture s’est bloquée. Bon sang, que c’était excitant.
Pour être tout à fait sincère, je n’étais sûr de rien. Je pensais qu’il y avait 50 % de chances que je me fasse « gauler ». Mais je suis un « optimiste invétéré » et je me prépare toujours au Meilleur et non au Pire. Le préservatif c’était « personnel », mais je parie que votre équipe médico-légale (je regarde aussi Les Experts) a dû être sacrément déçue de ne trouver aucune trace d’ADN sur le masque de clown. Ils ont dû se dire, « Zut ! Ce petit malin de crèminel devait porter un bonnet de douche en dessous ! »
Eh ben oui, justement ! Je l’ai même rincé à la JAVEL !
J’aime me remémorer le bruit sourd du choc, le craquement des os et la façon dont la voiture a rebondi sur ses amortisseurs quand j’ai roulé sur les corps. Pour la puissance et la souplesse, rien de tel qu’une Mercedes V12 ! Quand j’ai appris que l’une de mes victimes était un bébé, j’ai biché ! Supprimer une si jeune vie ! Ah ! Pensez à tout ce qu’elle a loupé ! Patricia Cray, repose en paix ! J’ai eu la maman aussi ! De la confiture de fraises dans un sac de couchage ! Rha, quel pied ! J’aime bien penser au type qui a perdu un bras aussi, et encore plus aux deux qui ont fini paralysés. L’homme, juste à partir de la taille, mais Martine Stover n’est plus qu’un « légume » à présent. Eux auraient sûrement PRÉFÉRÉ y passer ! Que dites-vous de ça, Inspecteur Hodges ?
Alors là, vous devez vraiment vous demander à quel genre de pervers malade et tordu vous avez affaire. Je peux pas vraiment vous en vouloir, mais ça se discute ! Je pense qu’énormément de gens se seraient amusés eux aussi, et c’est pour ça qu’ils aiment autant les livres et les films (et les séries télé, de nos jours) qui traitent de Torture, de Démembrement, etc., etc., etc. La seule différence, c’est que moi, je l’ai fait. Mais pas parce que je suis fou (que ce soit de folie ou de rage). Non, juste parce que je ne savais pas exactement ce que donnerait l’expérience, seulement qu’elle serait excitante, et que j’en garderais « un souvenir mémorable », comme on dit. La plupart des gens portent des Chaussures de Plomb depuis leur plus jeune âge et sont condamnés à les garder aux pieds toute leur vie. Ces Chaussures de Plomb, c’est ce qu’on appelle LA CONSCIENCE. Moi, je n’en ai pas, ce qui me permet de m’élever bien au-dessus du troupeau des Gens Normaux. Mais s’ils m’avaient attrapé, ce jour-là ? Eh bien, je suppose que si la Mercedes de Mrs Trelawney avait calé ou autre (peu probable étant donné qu’elle semblait très bien entretenue), la foule se serait jetée sur moi et m’aurait mis en pièces. Je savais que c’était un risque à prendre et cela m’excitait d’autant plus. Mais je ne pensais pas réellement qu’ils en seraient capables, parce que la plupart des gens sont des moutons et que les moutons ne mangent pas de viande. (Je me serais sûrement fait tabasser un peu, mais c’est pas une petite raclée qui me fait peur.) On m’aurait probablement arrêté puis traîné en justice, et j’aurais plaidé l’aliénation mentale. Peut-être même que je suis aliéné (l’idée m’a traversé l’esprit plus d’une fois), mais c’est une aliénation particulière. Bref, le vent a tourné en ma faveur et je m’en suis tiré.
Le brouillard m’a bien aidé !
Il y a autre chose dont je me souviens, je l’ai vu dans un film, cette fois. (Je me rappelle plus le titre.) Il y a un Tueur en Série très dégourdi et les flics (l’un d’eux est Bruce Willis à l’époque où il avait encore des cheveux) n’arrivent pas à le coincer au début du film. Alors Bruce Willis dit : « Il recommencera parce qu’il ne peut pas s’en empêcher et tôt ou tard il commettra une erreur et on le chopera. »
Ce qu’ils finissent par faire !
Mais ça marchera pas avec moi, Inspecteur Hodges, car je ne ressens absolument aucun besoin de recommencer. En ce qui me concerne, une fois a suffi. J’ai mes souvenirs et ils sont aussi nets qu’un son de cloche. Et puis aussi, le fait que les gens étaient terrifiés après ça, car ils étaient persuadés que j’allais recommencer. Vous vous souvenez de toutes les manifestations publiques qui ont été annulées ? Ce n’était pas la même partie de plaisir, mais c’était quand même « très amusant[1] ».
Donc vous voyez, nous sommes tous les deux des « Retraités ».
En parlant de ça, je n’ai qu’un seul petit regret, c’est de n’avoir pu assister à votre fête de départ au Raintree Inn et lever mon verre à votre santé, mon bon vieil inspecteur. Car vous avez vraiment « tout donné ». Et l’inspecteur Huntley aussi, d’ailleurs, mais à en croire les journaux et Internet, c’est vous qui jouiez en Ligue Majeure alors que lui était et restera toujours un joueur de niveau triple A. Je suis sûr que le dossier est toujours dans les Non Classés et qu’il ressort de temps en temps tous ces vieux dossiers pour les étudier, mais ça n’ira pas plus loin. Nous savons ça tous les deux, vous et moi.
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Les mots accompagnés d’un astérisque sont en français dans le texte. (