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Pour finir, puis-je vous faire part d’une Petite Inquiétude ?

Dans certaines séries (et dans un livre de Wambaugh aussi, je crois, mais c’était peut-être bien un James Patterson), la grande fête avec ballons, alcool et musique est souvent suivie d’une scène finale tragique. L’Officier rentre chez lui et s’aperçoit que sans son Insigne et son Arme, sa vie n’a plus aucun sens. Ce que je peux comprendre. Quand on y pense, qu’y a-t-il de plus triste qu’un Vieux Chevalier retraité ? Bref, l’Officier finit par se tirer une balle (avec son arme de service). J’ai fait des recherches sur Internet et découvert que ce genre de faits n’appartient pas qu’à la fiction. Ça arrive vraiment !

Il y a un taux de suicide extrêmement élevé chez les policiers retraités !

Dans la plupart des cas, les flics qui commettent cet acte terrible vivent seuls, sans personne à leurs côtés susceptible de déceler des Signes Avant-Coureurs. Beaucoup, comme vous, sont divorcés. Beaucoup ne vivent plus sous le même toit que leurs enfants adultes. Je pense à vous, Inspecteur Hodges, tout seul dans votre maison de Harper Road, et je m’inquiète. À quoi ressemble votre vie maintenant que « l’excitation de la chasse » est derrière vous ? Passez-vous beaucoup de temps devant la télé ? Probablement. Avez-vous tendance à boire davantage ? Possible. Est-ce que les heures passent plus lentement maintenant que votre vie est devenue si vide ? Souffrez-vous d’insomnies ? Seigneur, j’espère que non.

Mais j’ai bien peur que ce ne soit le cas !

Vous devriez vous trouver un hobby pour ne plus avoir à penser à « celui qui nous échappé ». Et au triste fait que vous ne m’attraperez jamais. Ce serait trop dommage que vous vous mettiez à penser que toute votre carrière ne fut qu’une perte de temps simplement parce que le gars qui a tué tant de Gens Innocents vous a « glissé entre les doigts ».

Je ne voudrais pas que vous vous mettiez à penser à votre arme.

Mais vous y pensez déjà, n’est-ce pas ?

« Celui qui nous a échappé » voudrait terminer sur une dernière petite pensée. La voici :

VA TE FAIRE FOUTRE, MINABLE !

Non, je déconne !

Très sincèrement vôtre,

LE TUEUR À LA MERCEDES

Dessous, encore une émoticône tout sourire. Et encore en dessous :

P-S ! Vraiment navré pour Mrs Trelawney, mais quand vous remettrez cette lettre à l’inspecteur Huntley, dites-lui de ne pas se fatiguer avec les photos que je suis sûr que la Police a prises pendant les obsèques. J’y étais, mais seulement dans ma tête. (J’ai une imagination débordante.)

P-P-S : Vous voulez garder contact ? Me donner vos « impressions » ? Essayez Sous le Parapluie Bleu de Debbie. Je vous ai même créé un compte : « kermitfrog19 ». Je ne répondrai peut-être pas mais « Allez, on sait jamais ».

P-P-P-S : J’espère que cette lettre vous a remonté le moral !

4

Hodges reste assis là. Deux minutes. Quatre minutes. Six, huit. Complètement immobile. La lettre à la main et le regard fixé sur le poster d’Andrew Wyeth accroché au mur. Enfin, il pose les pages sur la table basse et prend l’enveloppe à la place. Le cachet de la poste est celui de la ville, ce qui ne l’étonne guère. Son correspondant veut qu’il sache qu’il n’est pas loin. Ça fait partie de la rigolade. Comme dirait son correspondant…

C’est le jeu !

De nos jours, il existe de nouveaux composants chimiques et des systèmes de scanner informatiques extrêmement performants pour relever des empreintes, mais Hodges sait que s’il remet la lettre à la police scientifique, ils n’en trouveront aucune hormis les siennes. Ce type est fou mais son auto-analyse — petit malin de crèminel — est tout à fait exacte. Sauf qu’il a écrit crèminel et pas criminel, et qu’il l’a écrit deux fois. Et aussi…

Attends une minute, attends une minute.

Qu’est-ce que t’entends par quand je la remettrai  ?

Hodges se lève, s’approche de la fenêtre, la lettre à la main, et regarde dehors, dans Harper Road. La petite Harrison passe en pétaradant sur sa mobylette. Elle est bien trop jeune pour conduire ce genre d’engin, quoi qu’en dise la loi, mais au moins elle porte un casque. La camionnette de Mister Délice passe en faisant tinter sa clochette ; quand il fait beau, il sillonne l’est de la ville entre la sortie des classes et le crépuscule. Une petite voiture électrique noire se traîne. Les cheveux grisonnants de la vieille derrière le volant sont enroulés dans des bigoudis. Ou est-ce que c’est un homme ? Ça pourrait très bien être un homme en robe avec une perruque. Les bigoudis seraient la petite touche finale…

C’est ce que le Tueur à la Mercedes autoproclamé (sauf qu’il avait raison, c’était la presse et les journaux télévisés qui l’avaient d’abord surnommé ainsi) veut te faire penser.

Mais non. Pas exactement.

Pas ce qu’il veut. Mais comment il veut que tu penses.

C’est le marchand de glaces !

Non, c’est l’homme travesti en femme dans la voiture électrique !

Mais non, c’est le type au volant du camion-citerne, ou le contractuel !

Comment rendre les gens paranoïaques… Eh bien, lâcher nonchalamment que tu ne connais pas seulement l’adresse de l’ex-détective, ça aide. Tu sais qu’il est divorcé, il suffit ensuite de présumer qu’il a un ou plusieurs enfants quelque part.

La pelouse. Elle a besoin d’un bon coup de tondeuse. Si Jerome ne se décide pas rapidement, se dit Hodges, il faudra que je l’appelle.

Un enfant ou des enfants ? Te leurre pas. Il sait que mon ex-femme s’appelle Corinne et que nous n’avons qu’un seul enfant : Alison. Il sait qu’elle a trente ans et qu’elle vit à San Francisco. Il sait aussi sûrement qu’elle mesure un mètre soixante-dix et qu’elle joue au tennis. Y a qu’à chercher sur Internet. De nos jours, tout est sur le Net.

La prochaine étape serait de remettre la lettre à Pete et sa nouvelle coéquipière, Isabelle Jaynes. C’est eux qui ont hérité du dossier Mercedes, ainsi que de deux ou trois autres affaires non résolues, quand Hodges a mis les voiles. Certains dossiers sont comme les ordinateurs, si on n’y touche pas, ils se mettent en veille. Cette lettre tirerait le dossier Mercedes de son sommeil, en vitesse.

Il retrace le parcours de la lettre dans sa tête.

De la boîte aux lettres au sol de l’entrée. Du sol de l’entrée au La-Z-Boy. Du La-Z-Boy à la fenêtre, où il aperçoit maintenant le camion de la poste revenir en sens inverse : Andy Fenster a fini sa tournée. D’ici à la cuisine, où la lettre atterrira dans un sac congélation totalement superflu, le genre avec une fermeture coulissante — parce que les vieilles habitudes sont difficiles à perdre. Ensuite, direction Pete et Isabelle. Puis de Pete à la police scientifique pour un agrandissement complet et une étude détaillée, qui viendront confirmer que le sac de congélation était superflu : pas d’empreinte, pas de poils, aucune trace ADN d’aucune sorte, du papier disponible dans tous les magasins Staples et Office Depot de la ville, et — enfin et surtout — une imprimante laser lambda. Ils seraient peut-être en mesure de déterminer quel genre d’ordinateur a été utilisé pour écrire la lettre (et encore, il n’en est pas vraiment sûr ; il n’y connaît rien en ordinateurs et quand il a un problème avec le sien, il s’adresse directement à Jerome, qui habite à portée de voix) et, le cas échéant, ils découvriraient qu’il s’agissait soit d’un Mac, soit d’un PC. Super.