Hodges est pris de court, mais pas Holly. « C’est une voiture RICO. RICO, c’est notre unité de lutte contre le Racket, l’Influence et la Corruption dans les Organisations. Nous réquisitionnons leurs biens. Et nous pouvons les utiliser comme bon nous semble parce que nous sommes la police.
— Ah bon. Ouais, bien sûr. Ça paraît logique. »
Beeson a l’air mi-satisfait, mi-bluffé. Mais il retourne chez lui, où il leur réapparaît, posté cette fois derrière un carreau de fenêtre.
« RICO c’est les fédéraux », signale doucement Hodges.
Holly incline la tête discrètement en direction de leur observateur et un léger sourire étire ses lèvres esquintées. « Vous croyez vraiment qu’il le sait ? » Comme ni l’un ni l’autre ne répond, elle passe au registre professionnel. « On fait quoi maintenant ?
— Si Hartsfield est là, je procède à une arrestation citoyenne. S’il n’y est pas mais sa mère oui, je l’interroge. Vous deux, vous restez dans la voiture.
— Je sais pas si c’est une bonne idée », dit Jerome.
Mais à voir sa mine — Hodges le voit dans le rétroviseur —, il sait d’avance que cette objection sera rejetée.
« C’est la seule que j’ai », dit Hodges.
Il descend de voiture. Avant qu’il ait refermé la portière, Holly se penche vers lui et dit : « Il n’y a personne. » Il ne dit rien, mais elle hoche la tête comme s’il l’avait fait. « Vous le sentez pas ? »
À vrai dire, si.
12
Hodges remonte l’allée, notant les rideaux tirés aux grandes fenêtres de devant. Il jette un bref coup d’œil dans la Honda et n’y voit rien digne d’intérêt. Il essaie la portière passager. Elle s’ouvre. L’intérieur est chaud et sent le renfermé, avec un léger relent d’alcool. Il referme la portière, monte les marches du porche et sonne. Il entend le cling-clong résonner dans la maison. Personne ne vient. Il essaie encore, puis frappe. Personne ne vient. Il cogne avec le côté de son poing, très conscient du regard de Mr Beeson en face qui n’en perd pas une. Personne ne vient.
Il va jusqu’à la porte du garage et glisse un œil par l’une des petites vitres. Quelques outils, un mini-réfrigérateur, pas grand-chose d’autre.
Il sort son portable et appelle Jerome. Cet îlot d’Elm Street est très paisible et il entend — faiblement — les mesures d’AC/DC de la sonnerie lorsque l’appel aboutit. Il voit Jerome répondre.
« Demande à Holly de sauter sur son iPad et de consulter les archives foncières de la ville pour me trouver le nom du propriétaire du 49 Elm Street. Elle peut faire ça ? »
Il entend Jerome demander à Holly.
« Elle dit qu’elle va voir ce qu’elle peut faire.
— Bien. Je fais le tour. Ne raccroche pas. Je te fais un rapport toutes les trente secondes environ. Si tu n’entends rien pendant plus d’une minute, appelle le 911.
— Vous êtes sûr que vous voulez faire ça, Bill ?
— Oui. Précise bien à Holly que c’est pas grave si elle trouve pas le nom. Je veux pas qu’elle se mette martel en tête.
— Elle est d’un parfait sang-froid, répond Jerome. Déjà en train de pianoter. N’oubliez pas de donner des nouvelles.
— Compte sur moi. »
Il passe entre le garage et la maison. Le jardin de derrière est petit mais bien entretenu. Il y a un parterre de fleurs rond au milieu. Hodges se demande qui les a plantées, Môman ou Fiston. Il monte les trois marches en bois du seuil de derrière. Il y a une porte-moustiquaire métallique avec une deuxième porte derrière. La porte-moustiquaire est ouverte. La porte de la maison ne l’est pas.
« Jerome ? Rapport. RAS. »
Il regarde par la vitre et voit une cuisine. Elle est en ordre. Juste quelques assiettes et quelques verres dans l’égouttoir près de l’évier. Un torchon soigneusement plié est suspendu à la poignée du four. Il y a deux sets de table posés sur la table. Pas de set pour Papa Ours, ce qui correspond au profil que Hodges a esquissé sur son bloc-notes à feuilles jaunes. Il frappe à la porte, puis cogne. Personne ne vient.
« Jerome ? Rapport. RAS. »
Il pose son téléphone sur le seuil et sort son étui plat en cuir, content d’avoir pensé à le prendre. Il contient les clés à crocheter les serrures de son père : trois tiges métalliques avec des crochets de tailles différentes au bout. Il choisit la taille médiane. Bon choix : elle glisse facilement dans la serrure. Il bidouille un peu, tournant d’un côté puis de l’autre, cherchant à faire jouer le mécanisme. Il s’apprête à s’interrompre pour faire un rapport à Jerome quand la serrure accroche. Il tourne, d’un coup vif et sec, exactement comme son père lui a appris, et il entend un déclic lorsque le verrou cède côté cuisine. Entre-temps, son téléphone s’est mis à croasser son nom. Il le ramasse.
« Jerome ? RAS.
— Vous m’avez foutu la trouille, dit Jerome. Qu’est-ce que vous faites ?
— J’entre par effraction. »
13
Hodges met un pied dans la cuisine des Hartsfield. L’odeur le frappe aussitôt. Elle est ténue, mais bien présente. Son portable dans la main gauche et le colt de son père dans la droite, il se laisse guider par son odorat, d’abord dans le salon — vide, même si la télécommande et les catalogues éparpillés sur la table basse l’incitent à penser que le canapé est le repaire de Mrs Hartsfield — puis dans l’escalier. Au fur et à mesure qu’il monte les marches, l’odeur s’accentue. Pas encore une puanteur, mais ça en prend le chemin.
Il y a un petit couloir à l’étage avec une porte à droite et deux à gauche. Il vérifie d’abord la pièce de droite. C’est une chambre d’amis qui n’a pas vu d’amis depuis longtemps. Elle est aussi stérile qu’une salle d’opération.
Il fait un nouveau rapport à Jerome avant d’ouvrir la première porte à gauche. C’est de là que provient l’odeur. Il respire un bon coup et entre rapidement, se collant au mur jusqu’à ce qu’il s’assure qu’il n’y a personne derrière la porte. Il ouvre la penderie — une porte qui se replie le long d’un gond central — et écarte les vêtements. Personne.
« Jerome ? Rapport.
— Il y a quelqu’un ? »
Ben… en quelque sorte. Le dessus-de-lit a été remonté sur une forme qui ne trompe pas.
« Attends un peu. »
Il regarde sous le lit et ne voit rien d’autre qu’une paire de chaussons, une paire de tennis roses, une socquette blanche et quelques moutons de poussière. Il soulève le couvre-lit et voici la mère de Brady Hartsfield. Sa peau a une pâleur de cire, avec une faible nuance verte sous-jacente. Sa bouche est ouverte. Ses yeux, poussiéreux et vitreux, se sont enfoncés dans leurs orbites. Il soulève un bras, le fléchit légèrement, le laisse retomber. La rigueur cadavérique a disparu.
« Écoute, Jérome. J’ai trouvé Mrs Hartsfield. Elle est morte.
— Oh, mon Dieu. » La voix d’adulte de Jerome se brise sur le dernier mot. « Qu’est-ce que vous…
— Attends un peu.
— Vous m’avez déjà dit ça. »
Hodges pose son portable sur la table de chevet et baisse le couvre-lit jusqu’aux pieds de Mrs Hartsfield. Elle porte un pyjama en soie bleu. Le haut est taché par ce qui ressemble à du vomi et un peu de sang, mais il n’y a aucune trace visible de blessure par balle ou arme blanche. Son visage est enflé, mais il n’y a ni marques de ligature ni ecchymoses autour du cou. Le gonflement est dû à la lente marche de la mort vers la décomposition. Il remonte son haut de pyjama juste assez pour voir son ventre. Il est légèrement enflé, comme son visage, mais c’est l’effet des gaz, selon lui. Il se penche pour regarder l’intérieur de sa bouche et voit ce qu’il s’attendait à voir : des glaires coagulées sur la langue et dans les fosses entre les joues et les gencives. Elle a dû se soûler, régurgiter son dernier repas, et partir comme une rock star. Le sang provient peut-être de sa gorge. Ou d’un ulcère à l’estomac.