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— Ivan le Terrible… Ce n’était pas le premier tsar de l’ancienne Russie ?

Le visage de Danielson ne laissait pas voir l’ombre d’une émotion.

— Ivan le Terrible faisait fonctionner les chambres à gaz au camp de la mort de Treblinka, en Pologne, où huit cent soixante-dix mille personnes ont été assassinées.

— Cette histoire n’a rien à voir avec moi.

— Il y a des témoins oculaires.

— Pour des événements qui ont eu lieu il y a un demi-siècle ? Allons donc !

— Je peux prouver les deux accusations qui pèsent contre vous. Les meurtres liés à la Condor, et votre véritable identité. Selon que vous reconnaîtrez l’une ou l’autre, vous comparaîtrez devant un tribunal californien ou devant une cour spéciale israélienne en tant que criminel de guerre. Que préférez-vous ?

— Vous êtes fou.

— Vous vous répétez.

— N’importe quel avocat réduira en bouillie le témoignage de quelqu’un qui souffre d’une maladie atteignant le cerveau.

Pierre haussa les épaules.

— Si mon histoire ne vous intéresse pas, je la livrerai à la presse. Je connais bien Barnaby Lincoln, qui travaille au Chronicle.

Il commença à se lever péniblement de son siège. Les yeux de Danielson se plissèrent.

— Que voulez-vous au juste ?

Pierre se laissa retomber.

— Voilà qui me paraît plus raisonnable, dit-il. Ce que je veux, Ivan, c’est cinq millions de dollars, de quoi faire vivre ma femme et ma fille quand la maladie de Huntington aura finalement raison de moi.

— C’est une grosse somme.

— De quoi acheter mon silence.

— Si j’étais le monstre que vous dites, qu’est-ce qui vous fait croire que vous pouvez vous en tirer à si bon compte ? Si j’ai tué autant de monde, je n’hésiterai certainement pas à vous éliminer aussi, de même que votre femme et votre fille.

Pour une fois, Pierre s’estima heureux d’avoir cette chorée, qui masquait le fait qu’il tremblait littéralement de peur.

— J’ai pris mes précautions, dit-il. Les informations que je possède sont entre les mains de personnes à qui je fais confiance, au Canada comme aux États-Unis. Vous ne les trouverez jamais. S’il arrive quoi que ce soit à ma famille ou à moi-même, elles ont pour instructions de les rendre publiques.

Danielson demeura un long moment silencieux. Puis il déclara posément :

— Je ne suis pas du genre à aimer me faire piéger.

Pierre ne répondit pas.

Le vieillard observa un nouveau silence. Puis il murmura :

— Donnez-moi une semaine pour me retourner. Ensuite…

À cet instant, la porte du bureau s’ouvrit brusquement, poussée par un garde de la sécurité en uniforme. Danielson bondit sur ses pieds.

— Qu’y a-t-il ?

— Excusez-moi de vous interrompre, monsieur, mais nous avons détecté la présence d’un émetteur dans cette pièce.

Les yeux de Danielson s’étrécirent.

— Fouillez cet homme, aboya-t-il.

Puis, d’une voix forte, comme pour s’assurer que cela figurerait dans le dossier, il ajouta :

— Je n’ai rien avoué. J’ai seulement voulu éviter de contrarier une personne qui souffre de graves troubles mentaux.

Le garde saisit Pierre sous l’aisselle gauche, le leva de son siège et commença à palper brutalement ses vêtements. Au bout d’un moment, il découvrit le minuscule micro fixé à l’intérieur de sa chemise. Il l’arracha pour le montrer triomphalement à Danielson.

Pierre s’efforça de ne pas laisser transparaître sa peur.

— Ça ne changera rien. Il y a sept policiers et représentants de différents corps du gouvernement qui vous attendent à l’extérieur pour vous interroger. Et deux survivants de Treblinka vous ont identifié formellement…

Danielson abattit son poing sur le bureau. Au début, Pierre crut qu’il s’agissait d’un geste de frustration. Mais une partie du dessus du meuble se releva obliquement, dévoilant une console de commande. Danielson appuya sur une série de touches, et soudain une mince paroi de métal tomba du plafond, juste au ras des genoux de Pierre. Si ses pieds n’avaient pas reculé tout seuls à cause de la chorée, il aurait eu les orteils sectionnés.

Le garde était médusé. Ou il ignorait l’existence du mécanisme, ou il ne s’était pas attendu à le voir un jour en action. Pierre était également sidéré, mais Marchenko Danielson était un criminel multimillionnaire qui se préparait depuis cinquante ans à une éventualité de ce genre. L’immeuble avait sans doute une sortie secrète.

— Venez, dit le garde en empochant le micro et en poussant brutalement Pierre devant lui.

Ils passèrent devant la secrétaire bouche bée, traversèrent l’antichambre en direction des ascenseurs. L’homme appuya sur le bouton d’appel, mais le petit carré de plastique ne s’éclaira pas. Il essaya de nouveau et lâcha un juron. Marchenko avait dû neutraliser les cabines pour empêcher les agents de l’OSI d’arriver jusqu’ici. Il allait leur falloir un moment pour gravir les trente-sept étages à pied, à supposer que les hommes de la sécurité de Marchenko ne cherchent pas à les en empêcher.

Le garde qui agrippait Pierre le lâcha subitement. Sans sa canne, restée dans le bureau de Marchenko, Pierre s’affaissa par terre. Le garde le considéra avec une grimace de dégoût.

— Bordel ! Vous êtes un putain d’infirme !

Il contempla l’ascenseur comme s’il faisait un gros effort de réflexion. Puis :

— Je pense que ça ne risque rien si je vous laisse ici.

Il se dirigea vers l’angle du couloir derrière lequel il disparut. Pierre entendit une porte qui s’ouvrait et le pas pesant du garde qui descendait l’escalier, sans doute pour rejoindre ses collègues dans le hall de l’immeuble.

Pierre était seul dans le couloir. Relevant la tête, il vit la secrétaire à travers la paroi vitrée de l’antichambre. Elle le regardait, indécise. Il tendit une main vers elle. Elle se leva, lui tourna le dos et disparut à l’intérieur du bureau. Pierre poussa un long soupir. Si seulement il pouvait rester couché là sans bouger. Mais ses jambes dansaient continuellement, et sa tête ballottait frénétiquement.

La secrétaire reparut. Elle tenait sa canne sous le bras ! Elle s’avança vers lui et lui tendit la main pour l’aider à se relever.

— Je ne sais pas ce que vous avez fait, lui dit-elle, mais c’est inhumain de vous traiter de cette manière.

Pierre saisit la canne et s’appuya dessus.

— Merci, dit-il.

— Que se passe-t-il ? demanda-t-elle. Où est Mr Danielson ?

— Vous connaissiez l’existence de cette paroi secrète ?

Elle secoua la tête.

— Le bruit m’a terrifiée, quand elle est tombée. J’ai cru à un tremblement de terre.

— Il doit y avoir des hommes armés dans l’escalier. Vous ne devriez pas rester à cet étage. Descendez vous cacher quelque part.

Elle le regarda, écrasée par tout ce qui se passait.

— Et vous, comment allez-vous faire ?

Il voulut hausser les épaules, mais le mouvement fut noyé dans la chorée.

— Je me débrouillerai, dit-il. Allez, descendez vous mettre à l’abri.

Elle obéit. Il la vit disparaître à l’angle du couloir. Hésitant sur ce qu’il devait faire maintenant, Pierre décida de retourner dans le bureau. Il essaya le téléphone, mais il n’y avait pas de tonalité.

Il s’efforça d’imaginer la scène à l’entrée de l’immeuble. Les flics avaient dû arriver en force dès que le micro avait été découvert. La sécurité s’était peut-être opposée quelques instants à leur passage. La police avait dû envahir l’escalier. Pierre chercha à se rappeler la configuration de l’immeuble, telle qu’il l’avait remarquée le jour de l’assemblée annuelle des actionnaires. Aujourd’hui, il était si nerveux à l’idée de la confrontation qui allait suivre qu’il n’avait fait attention à rien. Une façade d’acier et de verre, un hélicoptère en train de se poser sur le toit…