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Doux Jésus ! Un hélicoptère ! Marchenko n’avait pas dû fuir vers le bas, mais vers la terrasse ! Son hélico l’attendait trois étages plus haut !

Il se dirigea en boitillant vers l’angle du couloir. La porte de l’escalier était clairement indiquée, à côté des toilettes. Il la poussa et sentit aussitôt un courant d’air sur sa figure. La cage d’escalier était en béton nu. Les marches étaient gris clair. Il commença à les gravir péniblement. Il y avait des demi-paliers. Il calcula qu’il lui faudrait en compter au moins six avant d’arriver sur le toit.

Il n’avait plus besoin de sa canne maintenant qu’il pouvait s’agripper à la rampe. Mais il n’osait pas l’abandonner. Elle faisait des moulinets à la Charlot dans sa main libre agitée de mouvements désordonnés.

Il entendait, plus bas, le faible écho de plusieurs pas dans l’escalier. Mais il y avait trente-sept étages à gravir depuis le hall, et ce n’était pas rien, même pour quelqu’un de bien entraîné. Il espérait, tandis qu’il grimpait lentement ses demi-étages l’un après l’autre, que la police et les agents de l’OSI s’étaient rendu compte que Marchenko avait un hélicoptère sur le toit.

Les poumons de Pierre étaient en feu, sa respiration sifflante. Son cœur fit un bond lorsqu’il entendit des coups de feu venant d’en bas.

Il était au trente-neuvième étage à présent. C’était indiqué en chiffres noirs tracés à la main sur la porte coupe-feu en métal gris. Il se prit à regretter son éducation canadienne qui l’avait empêché de demander une arme à Avi avant de pénétrer dans l’immeuble.

Il exerça une pression sur la rampe pour continuer à grimper, mais son pied glissa soudain. Sa jambe était partie toute seule sur la gauche au lieu d’aller en avant comme il le lui demandait. Sa canne se coinça entre deux barreaux de la rampe. Il tomba en s’appuyant sur elle. Il y eut un craquement à l’endroit où elle forçait. Elle retint son poids une seconde, mais Pierre lâcha prise et roula jusqu’au palier précédent. Son coude gauche heurta durement le sol en béton. Il ressentit une vive douleur. Il porta sa main droite à l’endroit qui lui faisait mal et s’aperçut qu’il saignait. Sa canne avait glissé deux mètres plus bas. Il rampa jusqu’à elle et se redressa en prenant appui dessus. Il attendit de reprendre son souffle, puis reprit péniblement son ascension.

Il atteignit le palier suivant. Il fallait encore grimper. La porte portait le numéro 40. Mais il vit qu’il y avait encore deux étages au-dessus de lui. Et il n’était même pas sûr qu’il y aurait une porte donnant sur la terrasse ! S’il n’y en avait pas, il faudrait qu’il redescende pour essayer de trouver l’accès à la plate-forme d’hélicoptère !

Marche après marche, il poursuivit sa pénible ascension. Les pas, au-dessous de lui, se rapprochaient. Avi et ses collègues devaient être au moins au vingtième étage.

Finalement, Pierre atteignit le dernier palier. Il y avait bien une porte, sur laquelle était tracé, cette fois-ci en bleu et au pochoir, le mot TERRASSE. Pierre tourna la poignée, poussa la porte et vit devant lui l’étendue de béton qui dominait la tour de la Condor. Déjà, le soleil commençait à décliner et il l’avait droit dans les yeux. Il s’agrippa à l’angle du mur pour ne pas perdre l’équilibre. Le vent soufflait avec force, et son sifflement avait couvert le bruit de la porte.

Marchenko se tenait à vingt mètres de là, penché sur un bac en métal vert et blanc qui contenait probablement des outils pour la maintenance de l’hélicoptère. Celui-ci n’était pas en vue, mais le sol de la terrasse était marqué d’un large cercle jaune, et Marchenko levait fréquemment les yeux vers le ciel.

Le vent s’engouffrait dans la cage d’escalier avec un ululement sinistre. Pierre s’avança sur la terrasse. Elle était carrée, entourée d’un parapet qui devait faire un mètre de haut. Côté sud, quelques mouettes étaient perchées en rang. Il y avait deux superstructures en ciment qui abritaient probablement les machineries d’ascenseur. Deux petites paraboles et trois grosses étaient fixées dans un angle, tandis qu’un autre abritait un relais hyperfréquence. Sur le toit de l’un des abris pour la machinerie d’ascenseur, il y avait un gyrophare rouge et, sur l’autre, deux projecteurs éteints.

Marchenko ne s’était pas encore aperçu de la présence de Pierre. Il tenait un téléphone portable dans la main gauche. Il venait probablement de l’utiliser pour appeler l’hélicoptère.

Pierre essaya d’évaluer ses chances. Il n’avait que trente-cinq ans, bordel, et Marchenko quatre-vingt-sept ! Il ne devrait pas y avoir de problème. Il suffisait qu’il ceinture cette vieille ordure et qu’il lui fasse descendre l’escalier à la rencontre des flics qui arrivaient à la rescousse.

Mais qui pouvait savoir ce qui allait se passer ? Il y avait de fortes chances, en fait, pour que Marchenko soit armé et que ce soit lui qui le tue. Mais rien n’indiquait qu’il eût une arme à feu sur lui. L’arme favorite d’Ivan Grozny, en fait, un demi-siècle plus tôt, était un tuyau de plomb. Cependant, même sans arme, il était probablement encore plus fort que Pierre.

Il n’aurait peut-être pas à intervenir. Il leva de nouveau les yeux pour inspecter le ciel. Aucun hélicoptère en vue. Avi et ses hommes allaient bientôt arriver, et…

— Vous !

Marchenko venait de se retourner et avait vu Pierre. Son cri effraya les mouettes qui s’envolèrent, leurs cris à peine audibles tant le vent soufflait fort. De sa démarche lente de vieillard, il s’avança vers Pierre, qui se rendit compte qu’il avait intérêt à s’écarter de l’entrée de la terrasse s’il ne voulait pas risquer d’être précipité d’une poussée dans l’escalier.

En boitillant, il se déplaça obliquement vers le parapet nord. Marchenko changea de direction, raccourcissant encore la distance qui les séparait. Pierre songea au Pequod et à Moby Dick, chacun manœuvrant sur l’océan démonté pour essayer de prendre l’autre à revers.

Ce monstre me poursuit, mais c’est moi qui l’aurai.

Tel le capitaine Achab, sa canne lui tenant lieu de jambe de bois, Pierre se lança en avant de toute la vitesse dont il était capable. Il savait qu’il serait stupide de battre en retraite. S’il se laissait acculer au parapet, Marchenko n’aurait aucun mal à le faire basculer et il s’écraserait quarante étages plus bas. Il fonça au contraire vers le centre de la terrasse, ses cheveux flottant dans le vent qui lui glaçait cruellement les os.

Le visage large de Marchenko était tordu de fureur. Pas seulement contre lui, devina Pierre, mais contre le pilote de l’hélico qu’il avait appelé et qui ne venait pas. Il n’y avait toujours aucun signe d’un engin volant dans le ciel, cependant zébré de traînées blanches comme les marques d’un fouet sur le dos d’un forçat.

Il n’y avait plus que cinq mètres qui les séparaient. Le crâne chauve de Marchenko luisait de transpiration. Sous la lumière rasante du soleil couchant, on eût dit qu’une mince pellicule de sang le coiffait. Les étages l’avaient essoufflé lui aussi. L’issue secrète de son bureau devait déboucher sur l’escalier et non sur un ascenseur.

Le vieillard écarta les bras comme pour empêcher Pierre de le dépasser. Ce dernier aurait voulu lever sa canne pour l’utiliser comme une arme, mais il ne pouvait le faire que s’il trouvait un autre appui, par exemple le bac à outils ou l’un des locaux d’ascenseur. Il commença à obliquer en direction du plus proche.